La culture des grumes de hêtre

Le hêtre (Fagus silvatica) constitue, par ordre d'importance, la seconde essence feuillue des forêts françaises (après le chêne). On le reconnaît facilement à son fût cylindrique et lisse, dont l'écorce est d'une couleur gris clair ou gris foncé suivant les stations, à ses rameaux portant des bourgeons alternes, fusiformes, allongés, bien détachés, à ses feuilles ovales, non dentées, mais bordées de poils quand elles sont jeunes, et, enfin, à ses fruits (les faînes) tétraédriques, entourés d'une membrane coriace, luisante, brun-châtaigne à maturité, et disposés par deux dans une enveloppe d'un brun verdâtre, garnie de petites pointes. Son bois est bien connu, blanc jaunâtre ou rougeâtre, dur, lourd, moucheté de petites maillures plus foncées.

Le hêtre est représenté dans tous les types de forêts. En montagne, il peut constituer un élément du taillis. On a déjà parlé dans ces colonnes des taillis furetés morvandiaux. Dans les taillis sous futaie, il constitue un élément intéressant de la réserve, mais il a tendance, à cause de son ombre dense et de la facilité avec laquelle il s'installe sous le couvert des autres essences, à se montrer envahissant et à éliminer celles-ci. En futaie, il constitue aussi bien des futaies régulières, dont les peuplements dits équiennes sont formés d'arbres à peu près de même âge, que des futaies jardinées où, à l'intérieur d'une même parcelle, toutes les classes d'âge sont représentées suivant des proportions bien définies par des courbes type.

Le hêtre existe presque partout en France, sauf dans les plaines du Sud-Ouest et dans la majeure partie de la région méditerranéenne. Il constitue de très belles forêts dans l'Est de la France, dans la Meuse, la Haute-Marne, la région parisienne, la Haute Normandie, et en montagne. Il préfère les sols calcaires, mais on le trouve aussi dans des sols siliceux ou argileux, où la qualité de son bois est évidemment moins bonne. On le trouve en plaine et aussi à altitude élevée, mais, en haute montagne, son bois est nettement plus dur et plus nerveux. Hors des forêts, on le trouve dans tous les grands parcs et même, en Normandie, en alignement le long des routes.

Le hêtre de belle qualité, à bois bien blanc et lisse, par exemple celui de la Haute-Marne, de la Meuse ou de la Meurthe-et-Moselle et des régions limitrophes, est débité par tranchage ou par déroulage pour donner des placages avec lesquels on fabrique des contre-plaqués et des bois améliorés. C'est également dans les forêts de ces régions que les grandes marques françaises de pianos achètent les sciages dont elles ont besoin pour leurs sommiers porte-clés et diverses autres pièces.

D'autres utilisateurs recherchent également les hêtres de belle qualité, par exemple les fabricants de machines agricoles et les carrossiers. La régie Renault achète elle-même des coupes de hêtres et les débite dans ses scieries pour diverses pièces de la carcasse de ses camions et autocars. Le hêtre est également un bois apprécié des ébénistes, en particulier des fabricants de sièges. Beaucoup de mobiliers de cuisine, d'école, de bureaux sont en hêtre. Les jouets, les articles de ménage (ramasse-couverts, planches à pain, rouleaux à pâtisserie, moulins à café, boîtes à sel, cintres de portemanteaux, pinces à linge, etc.), de nombreux outils et manches, les escabeaux, les sabots et bien d'autres objets tournés ou sculptés sont faits aussi en bois de hêtre. En menuiserie, le hêtre est également représenté. Il existe, dans l'Est, de très beaux parquets de hêtre. La liste complète des objets en bois de hêtre est presque impossible à établir : depuis les pelles des boulangers, les jougs des bœufs, les bâts des mulets, les avirons, les dos des brosses, les soufflets, les cadres des scies, jusqu'aux caisses à poisson, etc. On fait aussi des traverses de chemin de fer.

Les petits bois de hêtre constituent un excellent chauffage, le meilleur de tous, mais peuvent être utilisés pour la cartonnerie, la fabrication de panneaux de fibres, ou pour la préparation de cellulose pure pour l'industrie chimique.

Il est donc intéressant de savoir comment on cultive cette essence.

Nous ne reviendrons pas sur les traitements en taillis et en taillis sous futaie, déjà exposés dans ces colonnes.

Nous n'étudierons aujourd'hui que la futaie. On sait que le hêtre se cultive aussi bien en futaie régulière qu'en futaie jardinée.

En futaie régulière, on adopte généralement une révolution pas trop longue, 120 ou 150 ans, car, conservés trop vieux, les hêtres ont tendance à se tarer et ils perdent leur fertilité. Sur les bons sols à hêtre, par exemple les sols calcaires de l'Est de la France, on adoptera une révolution de 150 ans (rarement 180), de façon à fabriquer des grumes de plus de 1m, 60 de circonférence au milieu de leur longueur, susceptibles d'être achetées par les dérouleurs à un prix avantageux.

La vieille futaie de hêtres a généralement un couvert dense, et sous son ombre vivent peu de morts-bois. Le sol est couvert de feuilles mortes qui se décomposent lentement. De rares plantes herbacées y fleurissent. A la faveur des dernières éclaircies, de faibles trouées apparaissent dans les cimes, et dans les taches un peu éclairées naissent des semis, mais aussi diverses graminées, et quelquefois de la ronce. Il faut donc, avec les peuplements de hêtres, se montrer extrêmement prudent, suivre la régénération plutôt que la provoquer, laisser peu à peu le sol se garnir de semis et se garder de faire des coupes brutales qui amèneraient la ronce et les morts-bois, mais pas les semis de hêtres.

La période de régénération durera longtemps : vingt-cinq ans, quelquefois trente. La régénération se constituera par taches, qui peu à peu se raccorderont. On verra lentement se former des fourrés de semis bombés au centre, où la lumière est maxima. Peu à peu on enlèvera les grands arbres pour dégager les fourrés denses et bien venants. Il faut toujours se montrer prudent et ne pas oublier que les jeunes semis craignent une insolation trop brusque. Quand on enlèvera les derniers grands arbres, les semis les plus âgés auront trente ou quarante ans et constitueront des gaulis, rattachés les uns aux autres par des fourrés de semis plus jeunes.

Il faudra pratiquer dans ce jeune recrû des nettoiements, enlevant les essences secondaires gênantes (charmes et bois blancs), les jeunes hêtres fourchus ou branchus ou tarés, mais sans faire de trouées dans les peuplements. Il ne faut pas oublier que, quand les arbres sont jeunes, ils doivent pousser en peuplements denses pour croître en hauteur et perdre leurs basses branches. C'est à ce stade de la vie de la futaie que se forment les fûts, nets de branches, capital générateur de bois de qualité sans nœuds. Ainsi grandissant, les gaulis deviendront bas perchis et perchis et les nettoiements céderont la place aux coupes d'éclaircie.

Le nombre total de tiges à l'hectare sera progressivement réduit par les éclaircies pour arriver à deux cent cinquante tiges environ, en éliminant les arbres fourchus ou vissés (défauts qui semblent héréditaires), les fûts flexueux, malingres ou brogneux, et en essayant d'obtenir une bonne répartition des tiges et un espacement régulier. Il ne faut pas rechercher la longueur des tiges, mais la grosseur. Seule la grosseur paie.

Des bois sains et bien calibrés, tel est, à notre avis, le but vers lequel doit tendre la sylviculture en futaie régulière de hêtres.

Il y a assez peu de maladies des bois sur pied. On se méfiera surtout des nœuds gouttières, des trous sur les fûts, des grosses branches cassées dans les cimes, par où peuvent pénétrer des champignons. On évitera que le sol devienne mouilleux. On ne laissera pas trop vieillir les arbres, sinon le cœur des fûts reviendrait rouge et nerveux. On soignera surtout les arbres abattus, qui doivent être exploités hors sève et sciés avant le printemps pour éviter l'échauffure, altération irrémédiable du bois.

Le FORESTIER.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 168