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Élevage

Le "cornage" des chevaux

Dans le monde du sport hippique, on a beaucoup parlé et discuté, ces temps derniers, au sujet d'un différend d'ordre judiciaire qui oppose deux propriétaires, après la vente d'un cheval, dont l'acheteur demande la résiliation en prétextant que l'animal n'est pas tout à fait sound. Le mot anglais sound doit être traduit ici « en parfaite santé et aptitude pour les services auxquels on le destine », courses et reproduction, garantie supplémentaire à la loi du 2 août 1884 sur les vices rédhibitoires, comprenant, entre autres, le « cornage », qui, dans le cas présent, paraît bien avoir été suspecté.

On désigne sous le nom de cornage une défectuosité de la fonction respiratoire, se manifestant par des bruits anormaux, surtout pendant l'inspiration, après les efforts violents, et dont le timbre peut varier depuis un très léger sifflement jusqu'à un ronflement accentué, donnant l'impression que l'animal qui le fait entendre se trouve menacé d'asphyxie. Ces symptômes sont provoqués, le plus généralement, par des lésions des cavités nasales ou de la trachée (polypes, tumeurs), mais surtout du larynx, qui gênent le passage de l'air inspiré avant son arrivée aux poumons, où il apporte l'oxygène indispensable à l'hématose au cours du travail. Il existe pourtant des chevaux dont le cornage se montre dans des circonstances spéciales : chez les uns, quand ils mangent l'avoine à l'écurie ; chez d'autres, quand on les fait tourner ou reculer, ou encore chez ceux qui reçoivent dans leur ration, pendant un certain temps, de la « gesse chiche » ou « jarosse », fourrage de la famille des légumineuses.

En principe, on distingue deux sortes de cornage : le cornage aigu et le cornage chronique, ou encore un cornage sec et un cornage gras, en ne tenant compte que de la tonalité du bruit, par comparaison avec celui de la toux, qui pourtant ne se produit qu'à l'expiration.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, le cornage aigu est le moins dangereux, parce qu'il est presque toujours passager, sous la dépendance de certaines maladies : angines, bronchites, pharyngites, et surtout la gourme des jeunes chevaux, du fait des fréquents abcès qui se forment pendant leur évolution dans la région de la gorge.

Le cornage chronique, spécialement désigné dans la loi, quand il est bien caractérisé, est toujours très grave, ne présentant aucune tendance à la guérison, quel que soit le traitement thérapeutique utilisé ; sa disparition ne peut être obtenue que par une intervention chirurgicale, qui n'est pas sans danger, connue sous le nom d'opération de Williams, consistant dans l'ablation d'une portion de la muqueuse du larynx. L'opération de 1'« aryténoïdectomie », qui se pratiquait autrefois, en enlevant un des cartilages du larynx, pour élargir l'ouverture du passage de l'air dans ce conduit, et dont les résultats étaient souvent décevants, a été tout à fait abandonnée.

Les causes du cornage chronique sont très complexes, mais on peut dire que, dans la majorité des cas, 90 p. 100 environ, elles sont dues à l'atrophie et à la paralysie des muscles du larynx, ceux du côté gauche étant le plus généralement atteints, par suite de leur innervation particulière. Mais l'origine première de cet état de choses reste attachée à l'apparition de certaines maladies infectieuses : gourme, pneumonie, fièvre typhoïde et autres épidémies de toux, sans autre qualification, si fréquentes dans les écuries d'entraînement, où, après guérison, il est des chevaux qui ne retrouvent jamais ni leur condition, ni l'intégrité de leur puissance respiratoire et cardiaque, indispensable dans les luttes du turf.

Cette dernière constatation nous ramène aux « faits de la cause », comme on dit au Palais, dont nous allons faire un exposé sommaire.

Le prince Ali Khan a vendu, le 24 août dernier, à un négociant de Calcutta son cheval Farad, pour la somme de 1.500.000 francs, le contrat de vente spécifiant que le cheval devait être reconnu « sound », ainsi qu'il a été dit plus haut.

Après avoir couru à Deauville, Farad fut examiné par M. Garcin, vétérinaire attitré des sociétés de courses, qui constata que sa respiration n'était pas normale. Le prince, n'acceptant pas cette manière de voir, demanda l'avis d'un autre vétérinaire, et, comme cela se passe toujours depuis Hippocrate et Galien, celui-ci déclara que le cheval respirait tout à fait normalement et qu'il n'y avait pas lieu de le supposer « atteint dans ses voies respiratoires ».

Finalement, faute de pouvoir s'entendre, on a fait appel à la justice, et le tribunal de la Seine a, par l'intermédiaire du président Degouy, statuant en référé, désigné pour un nouvel examen du cheval, à titre d'expert, le docteur vétérinaire Dechambre, sous-directeur de la ménagerie du jardin des Plantes.

La personnalité du Dr Dechambre étant hors de cause, non moins que sa compétence professionnelle, nous prenons la liberté de penser que l'observation et l'étude des pensionnaires d'une ménagerie, aux ronflements ou grognements si variés, ne le prédisposait pas à cette désignation.

Celle d'un vétérinaire habitué des champs de courses et des centre d'entraînement, ayant en plus la pratique de l'équitation, aurait eu nos préférences ; on n'apprécie bien un pudding qu'en le goûtant, dit un proverbe anglais, que nous transposons pour la circonstance : on ne juge bien un cheval qu'en le montant, ce que font couramment les vétérinaires anglais, consultés à propos de l'achat d'un cheval. Dans le litige actuel, le rôle de l'expert est particulièrement délicat, car, si le cornage est un bruit anormal, il n'est nulle part spécifié, ni par personne, où finit la normalité et où commence l'anomalie, la défectuosité. En attendant les décisions qui vont être prises et le jugement qui en résultera, il nous semble à propos de rappeler aux parties en cause un sage conseil, qui a bien peu de chance d'être entendu, l'amour-propre des privilégiés de la Fortune les plaçant au-dessus de ces contingences terre à terre et pourtant fort raisonnables : « Un mauvais accommodement vaut toujours mieux qu'un bon procès ! »

J.-H. BERNARD.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 169