La pénurie des pneumatiques a inquiété, ces derniers temps,
les milieux automobiles. Chaque usager a pu se rendre compte de la difficulté à
se procurer des pneumatiques de remplacement. Pourtant l'an dernier, à pareille
époque, tout semblait peu à peu rentré dans l'ordre. Les stocks se
reconstituaient, et le marché noir ne devenait plus qu'un mauvais souvenir. Le
30 juillet 1949, la liberté était rendue au marché. La production, de 66.000
tonnes en 1938, passait à 93.000 tonnes en 1948. Production et consommation
s'équilibraient. Tout allait vers le mieux, au début de 1950, lorsque
éclataient les grèves. Chez Michelin, pour ne parler que de ce fabricant, la
grève engloba quelques dizaines de milliers d'ouvriers et s'étendit sur plus de
deux mois. Le calme revenu, la production reprit bientôt son envolée pour
atteindre, en fin d'année, une moyenne de 10.000 tonnes par mois. Mais, avec la
tension internationale, la montée en flèche des cours du caoutchouc sur les
marchés mondiaux, la difficulté d'approvisionnement aux sources asiatiques, le
stockage pour réserve de guerre, joint à une demande sans cesse croissante du
marché intérieur, créèrent une véritable ruée des usagers sur tous les pneumatiques
disponibles. Et nous voici à nouveau aux plus mauvais jours. Il s'agit donc de
redoubler d'effort afin d'équilibrer l'usure due à une circulation toujours
plus intense. Il serait vain d'attendre une amélioration sensible du côté de
l'importation ou de restrictions dans l'exportation. On notait en effet, en 1949,
une exportation de 17.620 tonnes, soit 18 p. 100 environ de la production, dont
plus de 11 p. 100 étaient dirigés vers les territoires d'outre-mer. Pour 1950,
on arrive sensiblement aux mêmes pourcentages. Quoi qu'il en soit, on ne peut
qu'applaudir aux dernières mesures prises par les pouvoirs publics concernant
la libération à l'importation en provenance d'Italie, de Suisse et de
Grande-Bretagne. On espère beaucoup de ce côté au cours de la présente année.
Dans le même esprit, l'exportation de pneumatiques a été soumise au
contingentement de sortie à dater d'octobre dernier. Si les usines maintiennent
leur production actuelle et dirigent leurs efforts vers le pneumatique de
tourisme, le poids lourd ayant été grand privilégié jusqu'à ce jour, il n'est
pas douteux que la crise s'achemine vers son dénouement. Dénouement qui
pourrait même se précipiter si la psychose de stockage de certains usagers
faisait place à une plus juste et plus saine compréhension des choses. Quittons
un instant le marché français pour porter nos regards sur la situation mondiale
de la production du caoutchouc, tant naturel que synthétique. Les pays
producteurs de gomme, tous plus ou moins asiatiques, sont bouleversés par la
guerre, la révolution ou le désordre. Les plantations d'hévéas sont détruites,
abandonnées ou laissées sans soins. En cas de conflit, les belligérants de race
blanche seraient coupés de leur source d'approvisionnement.
Aussi reparle-t-on, en Amérique surtout, du caoutchouc de
synthèse. La dernière guerre avait donné naissance, par la force des choses, à
un essor prodigieux de la fabrication des gommes synthétiques et des textiles
artificiels, en particulier la rayonne, qui s'était montrée souvent supérieure
au coton. Les Allemands surtout produisaient plus de 100.000 tonnes de
caoutchoucs artificiels, connus plus communément sous le nom de « buna »
(à base de butadiène). De puissantes usines américaines furent créées et,
partant du butadiène et du styrène, elles présentèrent le Q. R. S. Jusqu'à ces
dernières années, le caoutchouc synthétique était d'un prix de revient beaucoup
plus élevé que les gommes naturelles. Avec le développement des moyens de
production, on était arrivé à un prix supérieur de 50 à 60 p. 100 seulement. La
hausse récente des prix mondiaux du caoutchouc naturel vient de réduire encore
ces marges. Voici que de nouvelles usines américaines de production de
caoutchouc de synthèse, fermées depuis la fin des hostilités, se rouvrent et s’équipent.
La résistance à l'usure du synthétique est considérable. Il vient renforcer la
bande de roulement du pneumatique, la gomme naturelle étant souvent réservée au
collage de l’armature. Les choses en sont là pour l'instant. Attendons
l'orientation que vont prendre les événements pour tirer des conclusions sur
l'avenir du caoutchouc synthétique ou sur une nouvelle revanche du caoutchouc
naturel. Ce dernier sera toujours fort de son faible prix de revient. Il est
toujours attristant de voir quelles peines se donnent les hommes pour produire
à grands frais ce que la nature nous offre si généreusement.
La durée de service d'un pneu, qui détermine son économie
d'utilisation, dépend avant tout de sa résistance à l'usure. Si l'on étudie de
près la question, on s'aperçoit que l'usure n'est pas fonction exclusivement du
degré abrasif du sol, mais qu’un autre facteur important intervient : la
température de fonctionnement du pneumatique. Des essais effectués tant par des
laboratoires que par des maisons de pneumatiques il ressort, en gros, que si
un- pneu peut parcourir 50.000 kilomètres à la vitesse de 60 kilomètres à
l'heure, par une température atmosphérique de 4° C, il ne fera plus que 30.000
kilomètres à 15°, 17.000 à 27°, et seulement 10.000 kilomètres à 30°. Bien
entendu, l'échauffement du pneu dépend du travail qu'il effectue en roulant. Il
sera d'autant plus considérable que la vitesse est plus grande, la charge plus
élevée, la pression de gonflage plus basse et l'élasticité des enveloppes plus
faible.
C'est ce qui explique l'usure rapide des pneumatiques de
poids lourds, dont la charge entraîne des températures pouvant atteindre 100°.
Les véhicules industriels et commerciaux ont absorbé, à eux seuls, un tonnage
respectable de gommes. L'échauffement entraîne un ramollissement de la gomme,
d'où résistance moindre à l'abrasion. En outre, les toiles de coton se
déshydratent et perdent leur résistance, d'où risque de rupture et
d'éclatement. Pire, la chaleur entraîne parfois le décollage des toiles entre
elles et nuit à la liaison de la gomme sur la carcasse. On arrive à conclure que
la résistance de l’armature d'une carcasse n'est pas à proprement parler
fonction de l'épaisseur de ses flancs. Elle dépend au contraire de sa
souplesse, de sa basse pression et de sa texture. C'est ce oui justifie
l'emploi: de la rayonne, dont la résistance à chaud est supérieure an fil de
coton. Les recherches se poursuivent d'ailleurs, de ce côté, inlassablement.
Signalons l'apparition des nouvelles carcasses dans lesquelles s’allient le
textile et le métal sous forme de toile de fils d'acier très souples.
En Amérique, au cours de ces deux dernières années, on
assiste à la mise au point du pneumatique sans chambre à air. On utilise pour
sa fabrication le caoutchouc synthétique, dont l'étanchéité est beaucoup plus
grande que le caoutchouc naturel. Non seulement il ne se dégonfle pas, mais il
est increvable. L'enveloppe en question forme sur la jante un ensemble rigoureusement
étanche. L’increvabilité est obtenue grâce à un revêtement interne de l’enveloppe,
constitué par un mélange spécial adhérant à l’objet perforant et qui vient
obstruer le trou au moment de l'extraction de l'objet cause du mal. C’est un
peu ce qui se passait, jadis, avec les ingrédients que l'on introduisait dans
les chambres à air pour les rendre invulnérables aux perforations.
Enfin, signalons l'apparition de pneus bons conducteurs de
l'électricité. Ceux-ci trouvent leur emploi avec les camions citernes à liquides
combustibles, où l'accumulation des charges électrostatiques peut devenir
dangereuse. La mise à la terre du châssis est ainsi assurée. Ils évitent les
fameuses chaînes qui traînent si lamentablement a l’arrière de ces véhicules.
Les mêmes pneus assurent également, avec les postes radio-récepteurs de bord
dont la vulgarisation s'accentue, la suppression des bruits parasites par une
parfaite mise à la terre. Presque tous les pneumatiques américains y
parviennent grâce à l'incorporation au caoutchouc de charges conductrices.
G. AVANDO,
Ingénieur E. T. P.
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