Au masculin, le laque est un objet d'art. Au féminin,
la laque désigne le produit naturel résineux que l'on retire de la
famille des arbres dite Anacardiacée.
Bien que fort analogue à la manière dont on recueille le
caoutchouc des hévéas, par des incisions sur les troncs, la récolte possède des
modalités très variables selon les régions et les arbres.
Les plantations sont exploitées au printemps de leur
troisième année et les arbres mesurent au maximum 1m,50. Les premières incisions
fournissent un mauvais latex contenant trop d'eau avec un taux de 30 à 35 p.
100. Pour avoir une bonne laque, il ne faut pas que ce taux dépasse 20 à 23 p.
100. On incise avec des couteaux spéciaux tous les deux ou trois jours, pendant
tout le printemps et l'été, ce qui fait près d'une centaine d'entailles.
Celles-ci sont couplées en oblique pour constituer des « V »
dirigeant l'écoulement vers une conque ou un récipient.
Le produit recueilli est conservé pendant un an en vases
hermétiquement clos, pour permettre une décantation. Les particules les plus
lourdes s'agrègent en bas et forment le nuoc thiêc, servant comme
mastic. Au-dessus, on obtient un produit de colmatage : le son thit,
puis un mélange de son gioi constituant la laque ordinaire formée de son
nhi, de qualité inférieure, et de son thaï ou laque parfaite. A la
surface se situe une huile dense ou son mat giau.
La laque est un exsudât de l'ordre des latex que l'oxygène de
l'air oxyde et transforme en laque. C'est le plus parfait des vernis, ne se
fendillant ni craquelant, extrêmement souple et adhérent, non attaquable par
l'eau ou les acides.
Dans l'art, les laques ont une origine extrêmement ancienne,
et on ne peut savoir qui des Chinois ou des Japonais en furent les créateurs.
Cependant on s'accorde sur le point botanique que l'arbre à laque du Japon
n'est pas indigène et n'aurait été importé que vers le IIIe siècle, lors de l’invasion
de la Corée par l'empereur Jingo.
Cependant les Japonais prétendent, d'après une vieille
tradition légendaire, que le prince royal Xamato-Daki, de la famille de
l'empereur Keiko, vers l'an 100 avant J.-C., étant à la chasse dans les monts Aki-Yama,
découvrit cette gomme noire sur la cassure d'une branche. Son écuyer Takaho-No-Sukune,
l'ayant recueillie, s'en servit comme vernis et ainsi naquit la laque ...
Archéologiquement, les laques chinois conservés dans les
musées ont tous une origine plus ancienne que ceux du Japon. On en possède de
la dynastie des Han, soit du début du IIIe siècle avant J.-C. Ils viennent de
Chine. Pour le Japon, les pièces sont beaucoup plus récentes, mais il faut
tenir compte de la mention de laques noires et rouge, par Shi-Hei, en son
ouvrage Engishiki, datant de 875.
En toute justice, il faut cependant admettre que les laques
du Japon sont artistiquement bien supérieurs.
En Chine, on les classe en trois groupes selon leurs
techniques. Ceux peints ou Houa-Ts'i ne sont pas des objets décoratifs, mais
utilitaires, meubles ou ustensiles de poterie ou de fer. Parfois la décoration
est faite d'incrustations de nacre ou d'ivoire. En laque jaunie par addition de
camphre, et avec des applications de minces feuilles d'or, on obtient des Houa-Kin-Ts'i.
Moins anciens sont les laques sculptés selon l'expression
traditionnelle, alors que plus exactement il s'agit de modelages d'une pâte
assez hétérogène de fibres, fils, papier et coquilles d'œufs broyés. Parfois on
reproduit ces œuvres uniques dans une pâte spéciale à moulage ou tchao-hong,
que l’on recouvre ensuite avec soin de laque ordinaire.
Il y a enfin les laques les plus prisés : ceux de
Coromandel, d'après le nom de la région des ports d'exportation vers l'Europe,
aux temps de la Compagnie royale des Indes. Antérieurement, on les nommait Bantam-Lacquer.
La technique des « Coromandel » est très voisine de celle des émaux
champlevés sur cuivre. On obtient des contrastes de tons clairs et mats, en
entaillant des plaques de laques en formes d'alvéoles. Sur ces creux on
projette des pigments en poudre, d'où les colorations propres à ces
réalisations.
Les études sur les laques, sur leur iconographie, sont très
anciennes, et dès 1387 l'écrivain Tsao-Tcha'o les décrivait en treize volumes
sous le titre de Kokou-Yao-Louen. On en extrait qu'un siècle avant, sous
la dynastie des Yan, il existait de magnifiques laques peints en paysages avec
des tons vermillon très délicats. La dynastie des Mings, entre 1368 et 1643, a
laissé de fort beaux meubles, mais surtout des paravents. Cette dynastie sombra
dans le chaos, mais celle qui lui succéda remit en honneur ces arts
magnifiques, et un de ses empereurs, Kiang-Hi, fonda en 1680 des ateliers dont
les laques rouges sont célèbres. Un de ses successeurs, K'ien-Long, dans la
seconde moitié du XVIIIe siècle, donna une impulsion géante aux meubles laqués.
Actuellement, c'est à Fou-Tchéou, puis à Canton, que subsistent les meilleures traditions
d'art.
Le très pointilleux amour-propre national des Japonais
n'admet ni la supériorité, ni l'antériorité des laques chinois. Il attribue à
l'empereur Koan, dès le IIIe siècle avant J.-C., la création d'ateliers de
laquage. Cependant, il faut pousser au règne de Kotoku, vers 650, pour trouver
des mentions probantes. En fait, on ne possède aucun laque antérieur au VIIIe
siècle. Mais déjà, à cette époque, la technique est en pleine possession de sa
maîtrise et il faut supposer une longue évolution antérieure pour la justifier.
Certains laques sont incrustés, les Heimon, et d'autres avec des dessins « poivrés »
d'or, recouverts de laques, les Makkinro. C'est de cette époque que l'on
possède aussi les premières statues en matière plastique, plâtre ou glaise,
entoilées laquées. Les Japonais les nomment des Xanshitsu, et les Chinois, des
T'ouan-Houan.
Après une période florissante, on assiste à une décadence au
Xe siècle. Deux cents ans après, un renouveau se dessine, surtout à Kyoto, au
point qu'au XVe siècle ce sont les Chinois qui vont prendre des leçons chez
leurs élèves japonais. Avec les XVIIe et XVIIIe siècles, deux artistes, Korin et
Ritsuko, vont promouvoir les laques à leur maximum d'épanouissement. C'est justement
la période où Versailles adopte avec enthousiasme l'art extrême-oriental, qui
marquera profondément les productions de la Cour.
On ne saurait oublier que l'Indochine a également donné de
fort beaux laques, peints, incrustés, sculptés et même en relief. Mais ce ne
sont là que rarement des objets civils. Le plus souvent, il s'agit d'ornements
de pagodes. Des statues de ces pays présentaient une curieuse tradition :
les yeux n'en étaient jamais peints par leur artiste, et c'était le bonze qui y
procédait au cours d'une cérémonie publique dite « de l'ouverture des yeux
de Buddha ».
Actuellement, il existe une école de Beaux-Arts, à Thudau-Mot,
qui est l'héritière et la conservatrice des méthodes les plus renommées de
l'Indochine.
Janine CACCIAGUERRA et A. DE GORSSE.
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