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Puissance et précision

dans le tir de chasse

Les chasseurs sont généralement convaincus que le poids de la charge employée dans une arme est le principal facteur de l'efficacité du tir ; il semble, en effet, que, plus on lance de projectiles dans la direction d'un gibier, plus on a de chances de l'atteindre, manière de voir qui n'est exacte que dans le cas d'un tir réglé. Mais, dès qu'il s'agit d'un tir rapide sur but mobile, il est nécessaire de modifier quelque peu une conclusion aussi simple. Nous nous proposons, dans cette causerie, d'examiner les motifs de cette différence d'appréciation.

Nous rappellerons d'abord que la portée efficace d'une arme d'un calibre donné est la distance à laquelle cette arme permet de causer à un certain type de gibier des blessures suffisantes pour en assurer la capture. Cette définition implique donc l'emploi d'un numéro de plomb déterminé de manière à donner un nombre d'atteintes suffisant dont chacune aura une puissance minima. Cela revient, en pratique, à toucher la pièce au moyen de cinq grains assez gros pour pouvoir rompre les grands os de l'animal. Nous ne reviendrons pas sur cette définition, et il sera entendu dans les considérations qui vont suivre qu'il s'agit toujours du même gibier et des plombs appropriés.

Examinons maintenant de quelle manière le calibre ou, mieux, le poids de la charge, car la notion de calibre tend actuellement à perdre sa signification à certains points de vue, agit en pratique sur les résultats du tir suivant qu'il s'agit d'un tir réglé ou d'un tir rapide.

Dans le tir réglé, le chasseur dispose, en effet, du temps nécessaire au parfait centrage du groupement, tenu compte de la précision moyenne des armes de chasse ; dans le tir rapide, au contraire, la juxtaposition du centre de groupement avec le gibier n'existe jamais et comporte une double marge d'incertitude due à la fois à l'erreur d'appréciation de la correction de tir et à un pointage moins précis par suite de la rapidité de son exécution.

On admet généralement que cette marge d'incertitude est caractéristique de la qualité des tireurs, et l'on estime que les meilleurs d'entre eux ne s'écartent guère d'erreurs voisines de 1/100 de la distance, alors que les tireurs ordinaires vont jusqu'à 2/100. Ces valeurs sont un peu empiriques, elles expriment, à notre avis, une moyenne acceptable sous réserve d'écarts maximums pouvant obéir à la loi générale des écarts et elles se rapportent à l'observation de tireurs en bonne forme, sans fatigue excessive. D'autre part, ce que l'on sait de la manipulation des appareils de pointage et de la précision variable des gestes d'un opérateur semble indiquer que, pour un même sujet, l'erreur dans l'appréciation des longueurs augmente plus vite que la distance à laquelle elles sont appréciées. Faute d'indications numériquement exactes, nous ne ferons état de ces dernières considérations que pour signaler le sens dans lequel peuvent varier les erreurs de pointage avec la distance et la fatigue. Cette dernière, due au poids de l'arme portée, est un nouveau facteur d'imprécision.

Dans le tir réglé, la différence d'efficacité entre les calibres est en général beaucoup moins importante que ne le pensent les chasseurs. Dans son ouvrage sur le tir des fusils de chasse, le général Journée, comparant à ce point de vue le tir du calibre 20 à celui du calibre 12, déclare qu'il a, suivant les cas, une infériorité de portée efficace de 4 à 6 mètres seulement. On admet communément qu'entre les trois calibres les plus usuels : 20, 16 et 12, tirés à charge normale avec des plombs appropriés aux gibiers, l’accroissement de la portée efficace est en moyenne de 2 mètres pour la perdrix, de 3 mètres pour le lapin et le faisan, et de 4 mètres pour le lièvre. Ces appréciations coïncident d'ailleurs avec le handicap de calibre imposé aux tireurs aux pigeons.

Dans le tir rapide, l’erreur de pointage minimise les résultats ci-dessus, puisque le but à atteindre se trouve placé dans une zone de moindre densité de la gerbe. Tirer à 39 mètres avec une erreur de 39 centimètres ne vaut guère mieux que de tirer à 35 mètres avec une erreur de 35 centimètres, et pour des tireurs ordinaires il est encore moins avantageux de tirer à 39 mètres avec une erreur de 78 centimètres. Ceci tient à la loi de décroissance de la densité du groupement à partir de son centre. L'augmentation du calibre ou de la charge accroît évidemment la portée efficace, mais, dès que l'on cherche, dans le tir rapide, à profiter de cette augmentation, pour tirer un peu plus loin, une partie de cet avantage se trouve perdue par le manque de précision du pointage. C'est pour la même raison qu'il ne faut pas penser aux avantages des forages rétrécis au delà d'une portée raisonnable, car ce genre de forage exige du chasseur un écart personnel d'autant plus réduit que le groupement est serré.

Il serait d'ailleurs possible de calculer, pour les différents calibres et des forages déterminés, quels sont les résultats qui peuvent être obtenus avec diverses charges de plomb. On pourrait faire état également de l'influence de différentes valeurs de l'erreur de pointage dans les limites entre lesquelles nous connaissons à peu près sa valeur. Mais, à notre avis, ces considérations théoriques n'ont pas un grand intérêt en regard de ce que l'on peut constater sur le terrain ; nous avons déjà fait remarquer, dans ces causeries, que la pratique de la chasse à tir confirme que les résultats obtenus dépendent beaucoup plus de l'adresse individuelle que des calibres employés par les chasseurs. Sauf des cas très particuliers comme le tir aux pigeons (qui n'est pas de la chasse d’ailleurs) ou le tir spécial du gibier d'eau, la moyenne des pièces tuées par un chasseur ne varie guère quel que soit le calibre qu'il emploie, surtout lorsque la nature du gibier et sa distance varient continuellement, ce qui est le cas de nos chasses françaises. Dans une de nos précédentes causeries, nous avons même signalé l'avantage que les chasseurs âgés ont à accepter une réduction de calibre.

Puissance et précision ne vont pas toujours ensemble dans te tir sur but mobile, et l'augmentation de la charge de plombs ne paraît intéressante que pour mieux garnir une gerbe plus ouverte destinée à un gibier rapproché et difficile. Mais il convient de se rappeler que, dans les tirs courants, les calibres 12, 16 et 20 répondent à tous les besoins et que l'on vient à bout de tous nos gibiers avec la charge moyenne de 23 grammes de plomb, celle du calibre 16. Autour de ce dernier, laissons la bride à nos préférences personnelles suivant le terrain de chasse, nos forces et nos habitudes. Le meilleur calibre à adopter n'est pas le plus puissant, c'est celui qui nous permet de tirer avec le plus d'adresse et de rapidité,

Depuis quelques années, on mentionne assez souvent à l'étranger l'emploi de certains calibres surchargés employant des poudres progressives. Sans méconnaître l'intérêt, qui s'attache à toute nouvelle étude balistique, nous ne voyons pas l'avantage qu'il peut y avoir à employer de telles armes. En effet :

— si c'est en tir réglé, elles n'offrent aucun avantage sur le calibre normal employant la même charge ;

— si c'est en tir rapide, en admettant que l'on arrive à les doter d’un recul acceptable avec un poids normal, nous ne pensons pas, pour les motifs développés dans la présente causerie, que la moyenne des tireurs gagne quelque chose à leur adoption.

En contrepartie, le chasseur aura le désagrément d'avoir recours à des munitions spéciales et passablement coûteuses.

M. MARCHAND,

Ingénieur E. C. P.

Le Chasseur Français N°650 Avril 1951 Page 193