Dans une causerie parue il y a quelques mois dans cette
revue, nous avons signalé la controverse existant, dans la pratique, au sujet
de la sanction pénale applicable à l'infraction consistant à laisser des chiens
errer en état de divagation dans la campagne. Nous rappelons que la difficulté
tient à ce que la prohibition relative à la divagation des chiens se retrouve,
assortie de sanctions différentes, dans deux textes distincts. D'une part,
l'article 483. § 3, du Code pénal punit d'une amende de 2.000 à 12.000 francs,
qui peut être aggravée d’un emprisonnement allant jusqu'à huit jours, ceux qui,
hors la, chasse, auront laissé divaguer leurs chiens à la poursuite on à la
recherche du gibier. D'autre part, un arrêté ministériel du 19 février 1949,
lequel se substitue à toute une série d'arrêtés antérieurs pris en application de
l'article 9 de la loi sur la chasse, punit des peines prévue par l'article 11
de la loi du 3 mai 1844 (peines correctionnelles) ceux qui auront contrevenu
aux arrêtés ministériels concernant, notamment, la protection des oiseaux,
particulièrement en interdisant de laisser divaguer les chiens dans les bois ou
la plaine. Alors que la plupart des sociétés départementales de chasseurs
considèrent qu'il s'agit là d'un délit de chasse relevant de la juridiction
correctionnelle, un assez grand nombre de tribunaux correctionnels, saisis de
poursuites pour divagation des chiens, se déclarent incompétents pour en
connaître, sous prétexte qu'il s'agit là d'une simple contravention de police.
Cette dernière thèse a, été récemment consacrée par un
jugement du tribunal correctionnel de Gap, rapporté dans la Semaine
juridique du 28 décembre dernier (n° 5939), alors que la thèse contraire a
été consacrée par un arrêt de la Cour d'appel d'Orléans du 26 mai 1950 (Semaine
juridique du 14 septembre 1950, n° 5702) et précédemment par un arrêt de la
Cour d'appel de Montpellier du 22 décembre 1949 et un jugement du tribunal
correctionnel de Châteauroux du 8 février 1950 (Semaine juridique du 18
mai 1950, n° 5540). Il est à souhaiter que la cour de cassation soit saisie de la
question et mette fin à la controverse par un arrêt solidement rédigé et ne
laissant subsister aucune incertitude sur la solution qu'elle entend faire
prévaloir.
En fait, la Cour de cassation, par des arrêts déjà anciens a
admis la coexistence, dans le cas qui nous occupe, de deux sanctions
différentes, selon le cas ; on peut citer, en ce sens un arrêt du 5 août
1887 (Recueil Dalloz, 1888-1-86) et un autre du 12 janvier 1934 (Dalloz
hebdomadaire, année 1924 p. 123). Mais on ne peut attacher à ces arrêts une
grande autorité parce qu'ils sont antérieurs à l'ordonnance du 4 octobre 1945
dont l'article 10 a modifié les dispositions du Code pénal relatives à la
divagation des chiens et introduit notamment la disposition de l'article 483,
§3, dont nous donnons ci-dessus le texte. Avant cette ordonnance, on n'avait
d'autre disposition que celle de l'article 471-15° du Code pénal à appliquer au
fait de divagation des chiens lorsqu'il était considéré comme simple
contravention de police.
A notre avis, la difficulté doit se résoudre de la manière
suivante : dans tous les cas prévus par l'arrêté ministériel du 19 février
1949, c'est-à-dire où la prohibition de la divagation a pour objet la
protection des oiseaux utiles à l'agriculture, c'est la pénalité da l'article
11 de la loi sur la chasse qui doit être appliquée, à la condition que la
divagation soit la conséquence d'un fait volontaire imputable au prévenu et ceci
en application du principe général suivant lequel tout délit de chasse suppose
nécessairement à la charge du prévenu un fait personnel. Si la preuve n'est pas
rapportée de l'existence de ce fait personnel, par exemple s'il apparaît que le
maître du chien n'est intervenu en rien et n'est aucunement responsable de la
divagation, il n'y a pas délit de chasse, et seule la pénalité prévue par
l'article 483 du Code pénal peut être appliquée. C'est d'ailleurs ce qu'ont
admis un certain nombre de jugements, et notamment un jugement du tribunal
correctionnel de Bourg du 25 octobre 1922, publié au journal La Loi du 6
décembre 1922, et ce que nous avons soutenu dans notre ouvrage La Chasse et
le Droit, p. 215.
D'autre part, nous estimons que le jugement du tribunal de
Gap cité plus haut commet une erreur en interprétant les mots hors la chasse
de l'article 403, § 3, du Code pénal comme signifiant à la fois hors le temps
où la chasse est ouverte et hors l'action de chasse, ce qui limiterait
l'application de cette disposition à la période de clôture de la chasse. Ces
mots n'ont d'autre objet que d'exclure la pénalité lorsque les chiens
prétendument en divagation participent à une chasse dans des conditions normales,
car il ne saurait alors être question de divagation.
Paul COLIN,
Docteur en droit, avocat honoraire à la Cour d’Appel de
Paris.
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