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Le blongios nain

Le blongios est un minuscule héron qui atteint à peine la taille d’un geai, mais son cou démesuré et ses grandes pattes le font paraître un peu plus gros. Le corps est très comprimé latéralement et se différencie à peine du cou lorsqu'on tient l'oiseau pendu par le bec et de face. Le plumage du mâle adulte est d'une tonalité générale ocre jaune, avec la gorge blanche et quelques flammèches brunes sur les flancs. Le vertex, le dos et la queue sont d'un noir à reflets métalliques bleuâtres. Le bec est très pointu, en forme de dague, à bords lisses et tranchants, et d'une couleur Jaune sale, variée de brun sur l'arête supérieure. Les pattes, d'un vert de gris ou vert jaunâtre assez variable portent trois doigts et un pouce très longs, terminés par des ongles recourbés, avec celui du médian pectine. Les pieds des autres hérons présentent d'ailleurs les mêmes caractères, et tous ces échassiers perchent volontiers, soit sur les roseaux, soit sur les grands arbres, suivant les genres et les habitats. L'iris varie du jaune foncé an jaune pâle. Pas d'ornements, ni aigrettes, ni longues plumes décomposées comme en portent les grands cousins, les hérons cendré et pourpré, ce dernier surtout à la somptueuse parure.

Le blongios a simplement la base du cou ornée de quelques plumes bouffantes en jabot. Mars sa silhouette générale est assez élégante et l'oiseau fait très propre, surtout le mâle, de plumage clair.

Le jeune et la femelle sont entièrement grivelés et flammés de brun foncé sur fond ocre sale, avec le bec et les pattes verdâtres.

Ce petit héron nous arrive sur les rives de la Dordogne dans le courant de mai. Il affectionne particulièrement les îlots couverts d'une épaisse végétation, les anses envahies de roseaux. C'est là qu'il établit son nid, grossièrement formé de tiges entrecroisées sans art ni confort. La femelle y dépose cinq à six œufs d'un blanc sans taches, de la grosseur de ceux de la tourterelle.

La journée, le blongios reste tapi dans les fourrés et il est assez difficile à mettre à l'essor. Au moment des nids, le mâle répète inlassablement et à intervalles réguliers un cri rauque et guttural : « rrau ! rrau ! rrau ! » Lorsque l'oiseau se sent découvert, il prend les positions les plus curieuses et les plus variées : tantôt tassé sur lui-même et roulé en boule, tantôt planté droit sur ses pattes, le cou étiré verticalement, raide comme un bâton, le corps tellement allongé qu'il semble s'être suspendu par le bec à une brindille. La plupart du temps, l'animal peut rester inaperçu, tellement son mimétisme est parfait.

Un jour, au cours d'une partie de pêche en bateau, nous vîmes sur le talus de la rive un blongios qui se contorsionnait. Il se laissa appréhender sans trop de difficultés : il avait une patte brisée. Je tenais l'oiseau dans ma main et il allongeait son cou démesuré et mobile, le tordait, le raccourcissait avec des mouvements reptiliens assez comiques, d'ailleurs. Les yeux eux-mêmes avaient la fixité de ceux d'un serpent. Tout à coup : tsac ! tsac ! deux coups de bec dans le poignet nu et déjà deux gouttes de sang perlent ... J'appris ainsi à mes dépens que le blongios peut détendre son cou comme un ressort et frapper violemment ses proies ou ses ennemis. Désormais sur mes gardes, j'emportai l'animal pour tâcher d'étudier son comportement de plus près. Après avoir raccommodé son membre tant bien que mal, je le logeai dans une vaste cage avec des roseaux, de l'eau claire, enfin tout le confort désirable. Mais l'oiseau refusait toute nourriture et restait prostré dans un coin. Un matin, je ne vis pas mon pensionnaire ; le croyant mort ou échappé, je passai la tête par l'ouverture de la cage pour regarder à l'intérieur. Vlan ! le terrible petit poignard emplumé jaillit d'un coin sombre et vint se planter dans ma joue, à deux centimètres de l'œil ! Inutile d'ajouter que ce bretteur impénitent fut renvoyé dare-dare à ses roseaux, avant même sa complète guérison !

Le blongios se nourrit de limnées, petits poissons, menus insectes aquatiques, têtards, etc. Mais je le soupçonne de piller parfois les nids de la grande rousserolle, avec laquelle il cohabite dans la phragmitaie. Le bec pointu a tôt fait de tuer et d'ingurgiter les oisillons à peine éclos.

Cet oiseau n'est, je crois, commun nulle part, et bon nombre de chasseurs ne le connaissent pas. Chez nous, il est souvent confondu par les non-initiés avec le râle du genêt, qui pourtant n'habite pas les mêmes lieux. Tous les ans, au printemps, il nous honore régulièrement de sa visite, mais toujours en nombre très restreint.

Il ne vaut rien comme gibier, ou du moins pas grand'chose. Mais le chasseur amant de la nature est toujours heureux de mettre dans son carnier un oiseau rare et de mœurs singulières.

Pierre ARNOUIL.

Le Chasseur Français N°650 Avril 1951 Page 195