Les chasseurs aux chiens courants (1) désireux de se
constituer un modeste équipage, et qui sont suffisamment avertis pour y
parvenir, ont un avantage marqué sur les chasseurs au chien d'arrêt. Ils ont la
possibilité de régler à leur volonté la cadence de leur plaisir.
Selon leurs goûts et suivant leurs moyens, ils peuvent fixer
le nombre de leurs chiens et faire choix du train qu'ils doivent soutenir.
C'est une grande faveur. Personne n'ignore, en effet, l'influence que peut prendre
l'allure des chiens poursuivant sur celle du gibier poursuivi quand il passe à
portée de fusil. Le tempérament des chiens rejoint celui des chasseurs, qui
sont beaucoup plus à leur aise pendant la durée d'une chasse qui se déroule à
leur idée, sans les faire bouillir d'impatience ou sans les inquiéter par une
maestria qui les étouffe.
Lorsque vient le moment d'agir, ils savent qu'ils ont des
chances de tirer sur un animal donné qui, selon toutes les probabilités, leur
offrira un but animé d'un mouvement s'accordant avec la cadence naturelle de
leur tir, qui en profite largement. Ils ont donc à peu près toutes les chances
pour eux.
La composition des équipes humaines et canines
judicieusement sélectionnées est la condition principale de la vraie chasse aux
chiens courants. Elle gouverne indirectement les tirs qui s'y pratiquent.
Entre nous, elle a de quoi faire, étant donné qu'il s'agit
d'une question de tempéraments et de tirs particuliers. Le plus difficile
consiste à former une équipe, si réduite soit-elle, où chacun ait les mêmes
idées et la force ou la mollesse de vivre en bonne intelligence. Cela se trouve
cependant. La passion pour la chasse aux chiens courants réussit le miracle de
donner à ceux qui peuvent s'entendre la volonté de s'y résoudre.
Qu'on tente donc la même expérience dans un petit groupe de
chasseurs au chien d'arrêt se tenant de tout près par les mêmes penchants !
On verra s'ils posséderont tous un chien de la même race, par conséquent
théoriquement de même pied, pour arriver aux mêmes résultats !
Ce serait d'ailleurs peine perdue, car, parmi les chasseurs
au chien d'arrêt : les invétérés, l'élite, ne pensent qu'à s'éloigner de
leurs compagnons pour battre la plaine chacun de leur coté.
En admettant que cette union de chasseurs au chien d'arrêt
soit réalisable, elle ne servirait à rien. Qu'un perdreau parte devant un chien
d'arrêt bien dressé, de grands moyens ou de moyens plus restreints — il n'est
question ici que des pattes et non du nez, — ce perdreau, bien arrêté, n'en
fuira pas moins à la même vitesse. A cela, on ne peut exactement rien.
Même une mise au vol brutale, occasionnée par un chien
d'arrêt bourrant au commandement, n'influe pas, pratiquement, sur la vitesse ;
mais elle agit beaucoup sur l'ordre des oiseaux dans l'envolement d'une
compagnie.
Quoi qu'ils fassent, les chasseurs au chien d'arrêt
subissent, tandis quo les chasseurs aux chiens courants réglementent et
proportionnent à leurs moyens la vitesse de leurs objectifs. Les chasseurs au
chien d'arrêt tirent n'importe quel gibier, pourvu qu'il vaille la peine d'être
arrêté par leur chien. Ils ne peuvent donc s'entourer que d'habitudes
entrecoupées, et ils sont toujours sous le coup d'en réveiller une plus ou
moins enracinée, à laquelle le hasard des rencontres avait permis de
s'assoupir. Les chasseurs aux chiens courants ne tirent que le gibier qu'ils
sont venus chasser et ne s'occupent généralement, tout au moins à chaque
séance, que d'une seule espèce de gibier. Il leur est donc plus facile de se
spécialiser.
S'ils ont ce gibier bien dans le coude, cela ne veut pas
dire qu'ils le tireront dans une position avantageuse, et qu'ils auront partie
gagnée, quoiqu'on en pense. Le tir à la chasse aux chiens courants varie moins
par les positions diverses de la pièce que par les conditions qui l'entourent. Il
réclame la sûreté qui doit accompagner toute action dont la réussite vous tient
à cœur.
L'émotion diffère de celle qu'on éprouve en chassant devant
soi. Elle ne peut pas être la même, pour un gibier délibérément choisi, qu'au départ
de pièces qu'on sait normalement trouvables sans que l'on puisse prévoir
l'ordre de leur rencontre. Elle ne dépasse pas les effets d'une demi-surprise.
Le gros gibier, qu'on entend souvent s'approcher, supprime l'émotion surprise.
Excellente affaire pour les uns, mais pas pour les autres : car l'émotion
tout court demeure, qui prend parfois une tournure catastrophique lorsque
apparaît un sanglier.
Le poids du fusil, à moins de circonstances inattendues, ne
joue pas comme il sait le faire lorsqu'il s'ajoute à la fatigue d'une marche
ininterrompue.
Bref, le tir, à la chasse aux chiens courants, est particulier
parce que c'est une chasse particulière qu'il faut aimer particulièrement. II
est donc extrêmement délicat, et extrêmement simple, de donner des directives à
son sujet. Les fervents de cette chasse n’en ont pas besoin, et les
recommandations classiques pour le tir du gibier à poil, au bois, conviennent
parfaitement aux novices.
Un lièvre n'est jamais qu'un lièvre, de même qu'un lapin
n'est jamais qu'un lapin !
Un chevreuil aussi à ce compte-là ! Et pourquoi pas ? ...
« Les plombs ont rarement l'occasion de se loger dans
plus belle cible », ne manquent pas de penser ceux qui ne le connaissent
que par ouï dire, et s'imaginent qu'il ne peut pas exister de gibier plus
facile à tirer. C'est une profonde erreur ou bien une méconnaissance totale de la
réalité.
Il y a chevreuil et chevreuil, comme il y a chasseur et
chasseur ? Le chevreuil mondain et le chasseur mondain ont cours sur le
marché des élégances ; mais le chasseur et le chevreuil rustiques ont
aussi leur place sur la boule ronde où les forêts ont pris racine. Aussi
lorsqu'un chasseur, moins prédisposé à connaître et à goûter le genre de beauté
de la nature, s'apprête à recevoir un chevreuil vraiment sauvage, il risque
d'éprouver quelque surprise en le voyant paraître. Au lieu de la franche allure
bondissante de l'animal racé, que sa beauté ferait gracier si la haute valeur
culinaire que l'on sait ne le handicapait de sa concurrence imbattable, c'est
un être de couleur terne, petit à force de raser terre, qui traverse rapidement
la route. Cela le surprend et lui vaut de tirer trop haut et, le plus souvent,
derrière.
Le plomb va vite, mais le chevreuil aussi, et comme le moins
qu'on doive à sa noblesse est de le tuer proprement sans avoir à l'achever, il
ne faut pas craindre de prendre l'avance utile pour que les plombs l'atteignent
au défaut de l'épaule, ou bien au cou, et le foudroient. Le chevreuil n'est pas
spécifiquement difficile à tirer, cependant il est utile de ne pas oublier
qu'il se manque le plus souvent tant que l’expérience ne vous a pas enseigné
quand et comment il est opportun de presser la détente.
Le sanglier aussi va vite devant les chiens, et il se manque
encore bien plus.
La difficulté proprement dite de son tir en plein bois, son
prestige, sa réputation très noircie, et le nombre restreint des projectiles
qu'on lui réserve influent considérablement sur la manière de le tirer. II
n'est guère possible d'indiquer la façon de s'y prendre, puisque, devant les
faits, on ignore le caractère et les réactions de chacun. On doit faire preuve
d'initiative, de sang-froid et de métier dans le sens intelligent du terme :
c'est tout ce qu'on peut dire.
Un sanglier ayant passé l'âge des illusions, bon à tirer par
conséquent, ne s'arrête pas tous les jours à quinze pas en ayant l'air de vous
dire : « Mon écoute se présente-t-elle à vos souhaits ?»
Tout est possible à la chasse aux sangliers, même les
histoires qui s'y rapportent : coups d'extrême longueur, coups à bout
portant, coups de hasard les plus invraisemblables ne sont pas toujours des
inventions.
La très longue portée des balles et des chevrotines et
l'importance de l'objectif incitent à tenter des coups désespérés. Cela réussit
parfois, cependant on risque presque toujours de blesser le sanglier et de le
perdre. Chasser ne signifie nullement infliger des souffrances inutiles au
gibier, quelle que soit l'hostilité plus ou moins justifiée qu'on puisse lui
témoigner.
Comme la chasse aux chiens courants ne se rapproche en rien
d'un fermé de lapins, surtout en ce qui concerne la consommation des
cartouches, il ne faut pas regarder à rentrer une fois de plus avec des canons
propres. Plutôt que de ne pas tirer à bonne distance, et même pour mieux faire
à courte portée, il est plus raisonnable de s'en abstenir.
Tirer de près : telle est la recommandation la plus
sûre.
Raymond DUEZ.
(1) Voir Le Chasseur Français de mars 1951.
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