Le coq de bruyère est rare dans nos montagnes et les
chasseurs qui ont la chance de lever et de prendre quelque beau mâle peuvent se
dire favorisés par saint Hubert. Aussi lorsque, avec un camarade et un bon
chien, on a trotté en vain plusieurs journées dans les vastes étendues
d'airelles et les bordures supérieures des forêts de hêtres et de sapins d'une
montagne pourtant réputée autrefois pour ses « pouloys », on n'hésite
pas à conclure : « II n'y en a plus, nous n'y reviendrons pas ... »
Et cependant ...
Nous avions l'habitude, mon bon camarade Ulysse et moi, de
faire l'ouverture à l'isard ensemble : qui voyait l'un savait que l'autre
était de la partie. Mais, cette année-là — il y a déjà plus de vingt ans, — je
n'avais pu le décider à m'accompagner sur les pics. « Je sais qu'il y a
des coqs à la Pêne de Louste, disait-il, un vacher de mon village les a levés
plusieurs fois, j'y vais. » Comme j'étais fort sceptique, chacun s'en alla
de son côté. Je passai cette journée d'ouverture dans la région du Pic du Midi
d'Ossau (qui n'était pas encore réserve nationale),mais j'attendis en vain dans
un passage réputé, le beau solitaire rejeté des hardes qui, cependant, sortait
de la forêt tous les jours à cet endroit.
Le soir je fis un détour pour voir Ulysse. Quand il entendit
ma voiture s'arrêter devant sa porte, il sortit, un petit sourire aux lèvres ...
Je devinai sa satisfaction.
— Alors, l'as-tu, le grand sàrri de Maillabat ?
— Non, les traqueurs d'une battue en forêt ont certainement
dérangé ses habitudes et je n'ai rien pris. Et toi ?
— Viens voir.
Sur la longue table de sa cuisine, bien rangés par taille,
les plumes lissées par une main à la fois rugueuse et amicale, trois superbes
tétras. Je n'en revenais pas : je ne cessais d'admirer les fortes pattes,
les becs légèrement crochus, la musculature puissante, le superbe liséré de
plumes dont la couleur coq de roche s'harmonise si bien avec le noir.
— Combien de coups ?
— Trois.
La beauté des mâles m'enchantait et la remarquable adresse
du tireur ne me surprenait pas.
— Où les as-tu trouvés ?
— Tu verras cela dimanche.
— Combien de levés ?
— Cinq ; si tu avais été là, je ne pense pas que tu
aurais pu tirer ; deux sont partis beaucoup trop loin.
Cette remarque me soulagea, car je regrettais ma longue
course mutile.
— A présent, choisis le tien, ajouta-t-il d'un ton à la fois
bon et ferme.
Je protestai, j'eus beau dire que je n'avais nul droit à une
part, il porta un coq dans ma voiture.
La question de la partie du dimanche suivant ne se posait
pas : nous allions chasser les « pouloys ».
Le samedi soir, nous montions vers la cabane des bergers où
nous devions passer la nuit, et, le lendemain matin, nous étions en chasse au
lever du jour. Arrivés sur les lieux où, une semaine avant, avaient été pris
les trois beaux tétras, nous avancions à petits pas en silence, quand partit en
bondissant, au milieu des touffes de hêtres rabougris, un superbe renard. Lui
aussi était à la chasse aux coqs ! Il échappa au coup qui lui était
destiné et alla se mettre en sûreté dans un chaos de rochers.
Un instant après, un coq partait dans les brandes, mais
Ulysse leva son fusil et le bel oiseau s'abattit lourdement sur les branches
d'un jeune hêtre, à une trentaine de mètres. Je mis mon arme à la bretelle et
courus pour aller ramasser la victime ; j'avais fait une vingtaine de pas
lorsqu'un autre coq s'enleva devant moi en plein découvert. Il alla se poser
environ trois cents mètres plus loin et plus bas.
— Je sais où il est, dit Ulysse. Vas-y. Je te guiderai. Avec
force gestes il me fit arriver à l'endroit précis où le tétras s'était posé.
J'avais le doigt sur la détente et, quand je donnai un coup de pied aux touffes
de hêtre dont les branches couraient sur le sol, je m'attendais à l'envol,
puissant et lourd, de l'oiseau convoité.
— II n'y est plus, dis-je à Ulysse qui s'était rapproché.
— Méfions-nous, il n'est pas si loin que tu le crois.
— Pourtant, s'il était par ici, il se serait levé !
— Laisse-moi faire.
Et il recommença à secouer très consciencieusement toutes
les touffes. Rien, absolument rien.
Nous venions de mettre le fusil à la bretelle et nous
cherchions des yeux l'emplacement où nous allions nous installer pour notre
déjeuner, lorsqu'un coup d'aile claqua à une quinzaine de mètres derrière nous ;
l'oiseau plongeait. Mon rapide coup de fusil lui enleva une partie des plumes
du dos, mais il resta les ailes étendues et alla s'abattre environ trois cents
mètres plus bas, dans les arbres et les broussailles du ravin. Pour moi, il
devait être considéré comme perdu. Avec un sens très sûr de la direction dans
les couverts et une remarquable appréciation des distances, Ulysse alla tout
droit au point de chute et ramassa le coq, qui s'était abîmé dans sa
fantastique dégringolade.
—Le reste de la journée se passa dans un incessant
va-et-vient à travers les rocailles et les bosquets de hêtres. Mais pas un coq
ne se leva, et le coin semblait vide ; les renards, d'ailleurs,
paraissaient avoir fait bombance, à en juger par les plumes qui marquaient
l'emplacement des festins.
L'année suivante, j'allai avant l'ouverture — sans fusil
évidemment — explorer les mêmes parages. J'eus beau battre les touffes, jeter
des pierres dans les rocailles, monter, descendre, aller partout où pouvaient
remiser les tétras, je ne vis pas un seul oiseau. J'interrogeai alors un berger :
— Je n'ai entendu qu'un seul coq au printemps, dit-il, et un
braconnier l'a tué.
Après avoir rendu compte de l'insuccès de mes recherches à
mon camarade, je n'eus pas de peine, cette fois, pour le décider à revenir avec
moi vers les raillères et les pics que hantent les isards ... et les
enragés amateurs de fortes émotions.
Jean ELDAK.
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