Accueil  > Années 1951  > N°650 Avril 1951  > Page 214 Tous droits réservés

Ration des alevins de truite

Dans ma dernière chronique, j'ai indiqué quelle était la principale source de nourriture des alevins de truite : rate fraîche, rate congelée, rogue de poisson de mer, farines alimentaires complètes. J'indique qu'actuellement la nourriture la plus répandue en France est, soit la rate fraîche, soit la rate congelée, à condition qu'elle puisse être conservée à au moins -10° et additionnée de vitamine B, et, tout récemment, une farine complète qui sort actuellement dans le commerce et qui, dans des expériences officielles, a donné d'excellents résultats, employée seule et sans nourriture de complément.

En matière d'alimentation piscicole, il ne faut pas se dissimuler que la principale source de documentation se trouve dans les travaux du « Fish and Wild Life Service » américain. En effet, ce service est extrêmement développé et les chercheurs américains disposent de moyens dont nous n'avons aucune idée en France ou en Europe. Depuis quelques années, les Américains sont parvenus à étudier d'une façon très scientifique les conditions de ration alimentaire des salmonidés d'élevage. Actuellement, le mieux que nous ayons à faire en France est de se renseigner auprès d'eux et d'employer leurs méthodes après les avoir éventuellement améliorées ou adaptées.

Je signale, à ce sujet, le très remarquable et récent travail de A. W. Tunison, qui représente la somme de plusieurs années d'expérimentation. Tunison recommande, pour les piscicultures qui se procureront difficilement de la rate ou de la rogue fraîche, d'utiliser des farines complètes. Je cite ci-dessous quelques phrases caractéristiques du travail de Tunison :

« Les mélanges de nombreux produits alimentaires sont supérieurs à l'emploi d'un seul ingrédient, comme un mélange de viandes fraîches est généralement supérieur à l'emploi d'une seule viande. La raison en est qu'un produit alimentaire peut être riche en un seul principe nutritif, tandis qu'un autre peut fournir un élément différent, et, en employant plusieurs aliments, le mélange qui en résulte est mieux équilibré et plus complet. Les différents aliments ont une action complémentaire les uns par rapport aux autres. Aucun aliment donné n'est complet pour les animaux de tous âges. Le lait est la nourriture des jeunes animaux, mais la vache ne peut vivre de son propre lait. Certains peuvent dire que le foie de bœuf est un aliment complet pour la truite ; le foie est déficient en calcium ; plus tard, la truite grandira plus vite si l'on ajoute 2 p. 100 de sel à la ration de foie ... »

« Plusieurs années ont été nécessaires pour obtenir un mélange d'aliments séchés satisfaisant. Il a été essayé pendant les cinq dernières années, et c'est un mélange relativement élevé en protéines si on le compare à une ration destinée aux porcs et à la volaille, et, à cause de cela, il est relativement coûteux. Des hydrates de carbone peuvent être utilisés à la place de protéines et réduire ainsi le prix, mais, malheureusement, la truite n'est capable d'utiliser que 10 à 20 p. 100 seulement des hydrates de carbone digestibles ... »

Je résume ci-dessous le travail de Tunison.

Le mélange d'aliments séchés qu'il indique est à base de poudre de lait, de protéines animales (farine de poissons), de farines végétales, riches notamment en protéines, et d'hydrates de carbone, plus certaines vitamines et produits divers.

Tunison ne recommande pas, en général, l'emploi de poisson frais dans l'alimentation de la truite, mais considère que la farine de poissons est un aliment plus économique et que le stockage de poisson frais est tout un problème. Il reproche surtout au poisson frais d'être une nourriture déficiente en vitamines B1. Il prohibe certains aliments comme toxiques pour la truite, tels que la farine de graine de lin et la farine de certains poissons ; quant au manque de vitamine B, il se traduit par des troubles parmi les poissons d'élevage, troubles dus notamment au manque d'acide pantothénique, acide qui entre justement dans le complexe vitamine B.

Tanison donne également de nombreux conseils sur la façon de donner la nourriture aux truites.

L'intérêt de l'aliment complet réduit en farine est, d'une part, la facilité de sa conservation, d'autre part, et surtout, que des tables de rations peuvent être établies en fonction de l'âge des sujets et de tous les autres facteurs, notamment du facteur température de l'eau, dont, malheureusement, on ne tient guère compte en France.

Un aliment complet peut sembler cher. Il revient en pratique bien souvent meilleur marché qu'un aliment naturel ; d'une part, en raison du fait qu'il entraîne une croissance plus régulière et une mortalité moindre ; d'autre part, en raison du fait que la nourriture est mieux utilisée.

Les farines alimentaires complètes s'utilisent de plus en plus en Amérique (États-Unis et Canada) en pisciculture. Je crois que c'est là l'avenir d'un grand nombre de piscicultures, notamment en matière de production d'alevins. Pour ces derniers surtout, l'irrégularité d'approvisionnement en rate fraîche ou en rogue entraîne quelquefois le jeûne pendant deux ou trois jours. Or l'apport d'une nourriture régulière est capital pour leur bonne croissance. Les problèmes de l'alimentation animale sont bien connus des ingénieurs agronomes et se traduisent par des tables de calcul de rations. Ils devront donc être franchement attaqués en France et résolus sous forme, d'une part, d'un aliment complet donnant toute satisfaction, d'autre part, de tables de rations adaptées à l'espèce de poisson, à la taille, au poids et à tous facteurs extérieurs.

Je reviens, à ce sujet, sur un point que Tunison a particulièrement mis en évidence, celui de la ration journalière de nourriture à donner à telle ou telle espèce en fonction de la température de l'eau.

A une température de 1 à 2°, à un alevin de salmonidé de 2 à 3 centimètres on pourra servir 5,8 p. 100 de son poids comme ration journalière, alors qu'à 12° cette ration pourra atteindre 12 p. 100. Pour un alevin de 8 à 10 centimètres, la ration journalière sera à peine de 2 p. 100 de son poids à 1°, de 2,7 p. 100 de son poids à 4°, de 3,5 p. 100 à 8°, de 4,5 p. 100 à 12° et environ 5p. 100 à 18°. Les rations peuvent donc varier, pour un poisson d'une taille et d'un poids donnés, du simple au double, et même au triple, et l'on voit l'importance capitale du facteur température, dont, je le répète, on est très mal informé en France. Je sais bien que tous les pisciculteurs savent que la truite pousse plus vite dans une eau chaude que dans une eau trop froide, à condition évidemment de ne point dépasser la limite supérieure de 20 à 22°, mais je crois que c'est la première fois que des chiffres aussi précis nous sont donnés.

Je ne puis donc que recommander aux pisciculteurs de tenir compte de ces quelques données capitales s'ils veulent éviter perte de poissons, mauvaise croissance et gaspillage de nourriture. Des recherches sont actuellement en cours en France pour établir de telles normes. Il est facile de prédire un bel avenir à la maison qui saura donner à sa clientèle, en même temps qu'un aliment complet, des tables de rations tenant compte des divers facteurs indiqués ci-dessus. Cette rationalisation en salmoniculture est chose faite aux États-Unis et au Canada ; il est temps de l'entreprendre en France.

DELAPRADE.

Le Chasseur Français N°650 Avril 1951 Page 214