Championnat et Coupe de France de football s'acheminent vers
leurs journées décisives. Les deux compétitions ont obtenu un vif succès
populaire. Comme dans un roman d'aventure, construit par un spécialiste habile,
les surprises, les coups de théâtre, les renversements n'ont pas été ménagés.
Les « supporters » des équipes rivales ont connu des émotions
nombreuses. Les records de recettes ont été battus et les trésoriers des clubs
ont réussi à équilibrer des budgets comparables à ceux d'importantes maisons de
commerce. Qu'on s'en félicite ou qu'on le déplore, le football professionnel
est dominé par la question d'argent, comme, d'ailleurs, tous les spectacles,
qui ne vivent que grâce au concours bénévole du public passant aux guichets.
Qui dit spectacle sous-entend troupe et dettes. Mais, en ce
qui concerne plus précisément le football, la masse entassée sur des gradins
tient moins à assister à une pièce agréablement jouée et aux péripéties
captivantes qu'à saluer la victoire finale de ses favoris. Dans la pièce, c'est
avant tout le dénouement qui compte. Pour conserver la faveur des foules
locales, l'équipe doit gagner. Battue, elle perd vite la faveur de la ville
dont elle arbore les couleurs, même si sa défense est valeureuse, ses échecs
immérités.
II est donc nécessaire aux clubs de s'assurer les services
des meilleurs joueurs. Ceux-ci, en quelque sorte, sont mis aux enchères. Les
prix varient de quelques centaines de mille francs pour d'obscurs pousseurs de
ballon à plusieurs millions pour les étoiles.
Mais le recrutement national ne suffit pas. Le football
français doit faire appel à la main-d'œuvre étrangère, si nous osons ainsi
dire. Nous sommes largement importateurs d'avants efficaces et d'arrières sûrs.
Sagement, la Fédération limite l'invasion en fixant un pourcentage maximum
d'étrangers dans les équipes. Des naturalisations rapides tempèrent d'ailleurs
la rigueur de la loi.
Avant la guerre, l'Europe centrale nous fournissait la majeure
partie des footballeurs immigrés. Cette source se trouvant tarie, nous nous
sommes tournés vers les pays du Nord : Hollande, Suède, Norvège, voire
Islande. Plus récemment, l'Amérique du Sud a été prospectée. Le mélange
d'éléments aussi disparates avec des Flamands, des Bretons, des Gascons, des
Provençaux, des Algériens compose des cocktails parfois bizarres. L'amalgame
est souvent long à se faire. Il arrive même que la vedette brésilienne ou
Scandinave soit priée de retourner chez elle, parce qu'elle ne parvient pas à
s'adapter au football tel qu'on le pratique sous nos latitudes.
Pour quelles saisons le Nord de l'Europe, le Sud du
continent américain ont-ils le privilège d'exporter des joueurs de balle ?
A cette question, nous devons faire deux réponses différentes.
Les « nordistes » n'ont pas introduit chez eux le
professionnalisme. En principe, les joueurs s'entraînent et luttent pour leur
seul plaisir. La saison est limitée par le climat à quelques semaines.
Enneigés, les terrains demeurent impraticables l'hiver. Dans ces conditions, il
apparaît normal que de jeunes hommes soient tentés par les mensualités, par les
primes importantes qui leur sont offertes. Beaucoup parmi eux conservent un
état d'esprit désintéressé. Ils sont séduits par une occasion merveilleuse de
visiter la France, d'apprendre notre langue. Ils demeurent, avant tout, des
étudiants qui puisent dans le sport leurs ressources.
Les Sud-américains, eux, appartiennent à des nations où le
football est roi, où il déchaîne les passions, où un avant véloce et subtil est
aussi populaire qu'un matador en Espagne. Ils encaissent des salaires élevés. A
première vue, il semble étrange qu'ils répondent aux appels de la lointaine
Europe. Cependant, plus nombreux d'année en année, ils s'embarquent pour nos
rivages. Le prestige du vieux continent reste grand, comme l'attrait du voyage,
des terres inconnues. Et puis, dans des pays où chaque gamin rêve de devenir un
footballeur célèbre, la concurrence est acharnée. La vogue est éphémère.
Certains internationaux dont on nous vante les exploits s'expatrient parce que,
chez eux, ils ne trouvent plus de contrats. Leur gloire a bien été réelle, mais
elle est passée.
Sur nos stades, « nordistes » et « sudistes »
se sont affrontés avec des fortunes diverses. Il est impossible de concevoir
des manières, des styles, des tempéraments plus opposés. L'observateur a goûté
un vif plaisir à les comparer et à les juger.
En règle générale, les Scandinaves nous sont apparus comme
de beaux athlètes, un peu lourds et manquant de souplesse. Leur esprit d'équipe
est parfait. Ils ne cherchent pas à briller, ne quêtent pas les
applaudissements. Ils sont disciplinés, consciencieux. Ils se dépensent sans
compter jusqu'à l'épuisement de leurs forces. Ce sont des artisans dénués de
fantaisie, de dons exceptionnels. Mais ils tiennent leur place, accomplissent
leur besogne. Avec eux, rares sont les mécomptes.
Les Sud-américains, eux, se présentent comme des artistes.
Telles les vedettes de music-hall, ils accomplissent leur numéro, souvent d'une
virtuosité éblouissante. Ils jonglent avec la balle, mystifient leurs
adversaires par des feintes diaboliques, font d'un côté à l'autre du terrain
des passes d'une précision absolue. Pour le spectateur qui veut, avant tout,
voir du jeu, la joie est sans mélange. Mais le résultat final de la partie
souffre parfois de la personnalité écrasante d'un soliste qui a tendance à
oublier ses partenaires, qui néglige les défenses ingrates, se lasse et prend
des mines dégoûtées quand ses camarades ne se mettent pas à l'unisson : en
résumé, les qualités et les défauts qu'on prête aux enfants prodiges, aux
acteurs trop encensés par la foule.
En définitive, il semble bien que, du point de vue de
l'efficacité pratique, les artisans se sont révélés plus utiles que les
artistes. En France, il est possible que les « as » Sud-américains
n'aient passé, pareils à des météores, que pour nous laisser des souvenirs.
Mais, objectera-t-on, que deviennent, dans cette comédie
internationale, les Français, qui conservent, malgré tout la majorité ? Eh
bien ! nos compatriotes sont demeurés égaux à eux-mêmes, avec des échecs
et des réussites. La France — on l'a répété — réunit et résume dans ses
paysages comme dans ses habitants les aspects et les caractères du monde. Cette
richesse — encore accrue par l'apport de l'Afrique — empêche, par sa
complexité, nos équipes d'avoir un style, une « manière » typiquement
nationaux. Les tempéraments, les aptitudes ne s'accordent pas toujours, malgré
des aspirations communes. Notre football est latin par sa spontanéité, la recherche
de la vitesse, sans que nous ayons acquis la technique de nos voisins d'Espagne
et d'Italie. Par sa virilité, il s'apparente au football anglais, modèle
inégalé.
Notre vœu, parfaitement réalisable, est que nos entraîneurs
découvrent la formule idéale réalisant la synthèse des vertus, physiques et
morales, de notre terroir. Pour cela, une cure de repliement sur nous-mêmes
serait salutaire. En cherchant bien, on trouverait dans nos villes et dans nos
villages des garçons qui, judicieusement conseillés et formés, remplaceraient
les joueurs étrangers et lutteraient « à la française ».
Jean BUZANÇAIS.
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