Un récent article, qui était de ma part un aveu d'ignorance
en ce qui concerne le sport du patinage à roulettes sur route, m'a valu une
lettre extrêmement intéressante et instructive de M. Jean Ginès, qui, de
Gujan-Mestras, en Gironde, préside, si l'on peut dire, au destin du patin à
roulettes d'ormeau, qui est pratiqué dans ce département plus que dans aucun
autre. J'ai d'abord pensé à demander au Chasseur Français la publication
pure et simple de la lettre de M. Ginès, mais elle est un peu longue, et
peut-être l’énumération des records et des prouesses réalisés sur patins demande-t-elle
quelque ventilation, quelque sélection, pour mettre en valeur les faits
spectaculaires.
Des courses de patineurs à roulettes sur la route Bordeaux-Arcachon
eurent lieu vers 1924-1925 et contribuèrent à attirer l'attention des jeunes
gens de Gujan-Mestras, qui fondèrent une association sportive dont M. Ginès fut
secrétaire. Très vite, ces jeunes gens acquirent une véritable maîtrise et
firent parler d’eux. Dans la course Alouette-Arcachon et retour (100 kilomètres
par relais), ils réalisèrent 3 h. 35, soit plus de 28 kilomètres à l'heure de
moyenne. C'est l'allure, sur cette route, d'un bon cycliste, très multiplié et
aidé par le vent. Mais la course se disputait par relais.
Voici mieux :
Il s'agit cette fois de champions isolés luttant seuls
contre la montre.
Dufour (Gujan-Mestras) couvre 1.000 mètres en 1'35"
(près de 43 kilomètres à l'heure).
II détient aussi le record mondial des 5.000 mètres en 8'58"
(plus de 33 kilomètres à l'heure), Stengel (Allemagne) celui des 10 kilomètres
en 19'42", Duverdier (France) celui des 20 kilomètres en 40'20", Circia
(Italie) celui des 30 kilomètres en 1h.6'.
Le patinage sur route est principalement pratiqué en France,
Belgique et Italie. (On remarquera que ce sont les trois pays qui fournissent
le plus grand nombre de coureurs cyclistes sur route.)
Sur piste, le patinage à roulettes se pratique davantage en
Angleterre, Allemagne, Suisse, Portugal, Espagne, Egypte. Il s'agit alors de
patinage artistique et de rink-hockey, et, aux États-Unis, de roller-catch, ce
qui, dit M. Ginès, est « un peu trop viril pour des Européens ».
Mais revenons à notre chère Gironde, et notons que les 23 et
24 septembre derniers les patineurs de Gujan-Mestras, sur six titres de
champions de France, en enlevèrent quatre, se taillant encore et toujours la
part du lion.
Sont-ils si jeunes ? Certes non. Dufour et Broustand,
qui ont débuté à dix-huit ans, ont participé cette année encore à toutes les
épreuves et s'y sont classés dans les dix premiers, malgré leurs quarante ans.
Que résulte-t-il de tout cela, et quelle conclusion en
peut-on tirer ? D'abord que le sport du patinage à roulettes sur route
n'est viable que sur d'excellentes routes plates et bitumées, mais qu'il permet
des vitesses se rapprochant beaucoup de celles des champions cyclistes. Je
crois pouvoir établir le rapport 4 à 5. Un bon amateur entre deux âges devrait
pouvoir couvrir ses 100 kilomètres presque aussi vite que sur son vélo, et
pourtant, si le vélo n'a subi, en somme, que des perfectionnements de détail
depuis vingt ans, le patin à roulettes en a subi bien moins encore. C'est
toujours celui de mon jeune temps, à quatre roulettes d'ormeau, montées sur
billes. Le patin à roues caoutchoutées n'a pas donné ce que l'on attendait, et
l'on en est encore à l'ormeau sur ciment comme, en matière de chemins de fer,
au fer sur fer.
A-t-on, sur deux pistes parallèles (l'une en ciment ou
plancher, l'autre en glace), songé à opposer un champion du patinage à
roulettes et un du patinage à glace ? Je l'ignore. Il serait curieux
d'être fixé sur le rapport des vitesses. Encore un aveu d'ignorance de ma part !
Quant au patinage artistique, sans douter des beaux effets
qu'on tire des roulettes d'ormeau, ils ne sauraient se comparer à la grâce
infinie, aérienne, divine d'un champion et surtout d'une championne de la lame
d'acier, celle-ci possédant par ailleurs un atout que j'appellerai d'ordre
irréel : le silence.
Il n'existe à mon avis rien de plus immatériel et
merveilleux que les évolutions d'une vedette de la glace, si ce n'est celles
d'un voilier dans le vent ; mais nous n'avons pas voulu ici nous lancer
dans des considérations esthétiques.
Le patinage à roulettes est un sport que nos merveilleuses
routes nous permettent de pratiquer de ville à ville. Il est surprenant que si
peu de jeunes gens s'y consacrent, et il est à souhaiter que cet article incite
beaucoup d'entre eux à s'y essayer. Il existe même, de l'aveu de M. Ginès,
certaines villes, comme Agen, qui commencent à acquérir une célébrité de villes-billard,
où le sol de toutes les rues, ou presque, est tellement lisse qu'on y pourrait
très bien circuler sur patins à roulettes. A quand le facteur sur roulettes
d'ormeau ?
Et ce serait vraiment faire du très neuf avec du très vieux,
car le patin à roulettes existe depuis très longtemps, et je me vois encore
patinant au skating de l'avenue Rapp quelques années après l'exposition de
1889. J'avais dix ou douze ans. Quand j'avais eu de bonnes notes, on m'offrait
une location de patins à billes et, quand mes notes étaient médiocres, je
devais me contenter du roulement lisse !
Voici plus drôle : je me souviens d'une première leçon
de patinage donnée au coureur de fond Corre, qui venait de se faire battre par Terront
sur vingt-quatre heures à la galerie des machines.
Il n'était pas fier sur roulettes, le grand champion
cycliste d'alors. Deux professeurs le soutenaient, un sous chaque bras, comme
un maçon tombé d'un échafaudage. Je n'ai pas suivi ses progrès ; il a dû
en faire comme tout le monde. Le Skating-Rink était un endroit chic qui faisait
concurrence au Pôle-Nord de la rue de Clichy. Tout cela a disparu, mais la
route l’Alouette-Arcachon va peut-être connaître un retour de vogue de ce beau
sport, le sport des ailes aux pieds !
Henry DE LA TOMBELLE.
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