Il y a quelques années, nous avons eu le privilège
d'assister à une conférence sur les fermentations. Le conférencier,
bactériologiste connu a laissé un nom dans la science internationale,
Après avoir entendu son exposé très documenté, chacun pouvait
se dire : « En somme, tout, dans la nature, se résume à un phénomène
de fermentation. »
Quelque surprenant que cela puisse paraître, les microbes,
puisqu'il s'agit d'eux seuls, attaquent aussi bien les minéraux que les matières
organiques.
L'étude des microbes a donné naissance, depuis Pasteur, à
une science d'abord appelée microbiologie, puis, bactériologie (du mot
bactérie).
Rappelons que ces infiniment petits ne sont visibles qu'au
microscope, et que leur unité de mesure est le micron, qui vaut un millième de
millimètre.
Ces microbes ont, en général, des dimensions variant entre 1
et 10 microns. Ils ont des formes très diverses ; en points, sphériques,
ovoïdes, allongés, en virgule, en bâtonnets, en fuseaux ; certains possèdent
une queue spiralée. Dans une même espèce, quelques-uns peuvent se mouvoir au
moyen de poils ou cils.
Leur reproduction se fait par bourgeonnement, par
scissiparité ou par spores.
Leur nombre est immense, leurs familles sont très nombreuses ;
certains sont utiles, d'autres nuisibles ; la grande majorité forme le
groupe des indifférents.
Ce sont les agents de transformation de beaucoup de denrées
alimentaires ; les levures, ou Saccharomices, nous donnent les
vins, les cidres et les poirés, les bières, les alcools de bouche ; notons
que ces levures appartiennent à des variétés différentes. Celles du vin de
table ne sont pas les mêmes que celles du Champagne. Les moûts de brasserie
fermentent à l'aide d'une levure spéciale, et la bière subit en tonneaux deux
autres fermentations, haute et basse, dues à deux levures différentes. Même
chose pour la distillerie de bouche. Cette différenciation a donné naissance à
l'industrie des levures sélectionnées.
La panification et la pâtisserie emploient aussi des levures.
Le Mycoderma aceti s'est octroyé le monopole de la
fabrication du vinaigre (vin et alcool).
La fermentation de la choucroute est assurée par des levures
associées à des microbes, tels l'Oidium lactis et différents Bacterium.
Dans les produits laitiers; c'est le ferment lactique qui
fait cailler la caséine du lait et qui est, par cela même, à la base de
l'industrie fromagère.
Dans l'affinage, les fromages à pâte crue sont transformés
par des microbes du groupe Tirotrix ; ceux à pâte cuite sont transformés
par différents ferments, dont le ferment lactique ; c'est aussi ce
dernier qui fait « mûrir » la crème du lait avant son barattage. Dans
l'industrie, les feuilles de tabac subissent une fermentation assez complexe,
de même en tannerie les jus sont envahis par une flore hétérogène où on trouve
des Bacterium luteum, Bacillus putridus, et quelques autres, sans
oublier quelquefois des champignons parasites, type Penicillium.
Le rouissage, qui nous permet d'avoir des textiles végétaux,
n'est en somme que la désagrégation de la matière pectique qui emprisonne les
fibres, due aux Bacterium amylobacter, Granulobacter pectinorum,
et à quelques autres.
A la ferme, les fourrages verts sont le siège de
fermentations dues principalement au Bacillus subtilis, et, comme toute
désagrégation dégage de la chaleur, on lui attribue un certain nombre
d'incendies dus à des fourrages engrangés insuffisamment secs. Même
transformation pour les engrais verts et les fourrages ensilés.
Les déjections animales solides et liquides sont l'objet de
fermentations intenses, avec dégagement de gaz ammoniac et carbonique.
En vase clos, une fermentation spéciale produit, avec le fumier
de ferme, un gaz combustible.
Ce rapide exposé ne nous a pas permis de citer tous les
produits dus aux fermentations. Voyons maintenant comment se comporte la flore
microbienne des sols au point de vue de la fertilisation. Celle-ci a été
étudiée par différents auteurs, dont M. Vinogradsky.
Une constatation s'impose. Si l'étude des maladies humaines,
animales et végétales a pu être poursuivie et réalisée avec une certaine
rapidité, c'est que l'on a pu exactement réaliser en laboratoire le milieu où
vit le microbe considéré. Mais on comprendra que cela a été impossible pour les
sols. On ne peut apporter le champ au laboratoire, ni ce dernier dans le champ ;
il a donc fallu, après bien des tâtonnements, trouver un moyen sûr pour
réaliser en vase clos la vie des bacilles du sol, d'où un retard assez considérable.
Maintenant le retard est en partie comblé, et on peut espérer
que, dans quelques années, la biologie des sols entrera dans la pratique.
Nous avons écrit que les matières minérales étaient attaquées
par les microbes ; en effet, M. Vinogradsky a étudié tout un groupe de
micro-organismes qui vivent presque uniquement de minéraux ; en premier
lieu, les eaux sulfureuses, riches en sulfates, sont un excellent bouillon de
culture pour des microbes en forme de filaments qui absorbent le soufre sous
forme de granules microscopiques; l'auteur leur a donné le nom de sulfobactéries.
De même, les eaux ferrugineuses sont habitées par d'autres bactéries,
qui se gorgent d'oxyde de fer et que le même auteur appelle ferrobactéries.
Ces micro-organismes seraient-ils, à l'origine, les premiers
de certains gisements de soufre, les seconds de ceux de fer ? ...
A la fin du siècle dernier, on estimait que dans les couches
superficielles du sol vivaient les aérobies (de air) et qu'au-dessous, dans la
partie tassée, se trouvaient les anaérobies (sans air) ; depuis, on a
constaté que ces deux catégories de micro-organismes vivent ensemble ; le
second, vivant sans oxygène, a besoin du premier qui absorbe ce corps.
On désigne sous le nom d’Azobacter l'ensemble des
bactéries qui absorbent l'azote de l’air et, de ce fait, enrichissent le sol en
cet élément ; ces bacilles ont la forme de corps ovoïdes, certains sont
munis de poils leur permettant de se déplacer.
Ce sont des bacilles analogues qui vivent dans les nodosités
des plantes de la famille des légumineuses, dont le type est la luzerne, permettant
à ces plantes de végéter sans apport d'engrais azotés.
Ces bacilles ont besoin d'un sol assez riche en chaux.
Un second groupe de microbes fertilisateurs du sol sont les
bacilles nitrificateurs ; nous en distinguerons trois espèces.
Les bacilles appelés ammonificateurs détruisent les
combinaisons azotées des matières organiques et les transforment en composés
ammoniacaux.
Notons en passant que l'azote de la cyanamide de chaux se
transforme de la même façon.
Ensuite d'autres bacilles, ferments nitreux du type Nitrococcus
et Nitrosomonas, transforment ces composés ammoniacaux en nitrites.
Enfin une troisième espèce, appelée du nom général de Nitrobacter,
transforme les produits nitreux en nitrates, seule forme de l'azote assimilable
par les plantes.
Les Nitrobacters se présentent sous forme de petits
bâtonnets ; ces trois catégories de bacilles vivent en communauté et ont
besoin, pour vivre, d'une certaine température, d'eau, d'air et de chaux.
Quand nous aurons dit que d'autres familles de bacilles attaquent
la cellulose à ses différents états de dureté, nous aurons passé en revue les
principaux bacilles intéressant la fertilisation des sols.
On comprend alors pourquoi une feuille de vigne desséchée,
tombée à l'automne, restant sur le sol pendant la mauvaise saison, disparaît
aux beaux jours sans laisser de trace, ses diverses transformations la
réduisant à deux corps : l'eau, qui s'évapore ou pénètre dans le sol ;
l'acide carbonique, qui s'échappe dans l'atmosphère.
D'après M. Vinogradsky, 1 gramme de terre de jardin
desséchée contient 24.000 bacilles nitrificateurs.
Une parcelle cultivée et fumée : 2.360.
Une prairie naturelle en partie couverte de mousse : 700.
Ces chiffres se passent de commentaires, quant aux soins à
donner aux prairies.
Quelles sont les conclusions pratiques que le vigneron, qui
marche sur un sol où vivent des milliards de microbes, va-t-il tirer de cet
exposé ?
Va-t-il se décider à faire des labours profonds ou à
ensemencer les microbes fertilisateurs ?
Ni l'un, ni l'autre.
Il faudra chauler sa vigne modérément, opération inutile si
le sol ou le sous-sol sont calcaires.
Pour être logique, il faudra employer de préférence des
engrais organiques comme : azote, les déchets de laine, sang desséché,
corne, cyanamide.
Pour l'acide phosphorique, les os verts broyés doivent
produire bon effet.
Quant à la potasse, employer de préférence le sulfate.
Le fumier de mouton s'est révélé par la pratique un
excellent engrais pour la vigne.
Quant à la chaux, si cela est nécessaire, le calcaire
finement broyé doit être suffisant.
Dans la pratique, il paraît difficile d'employer de tels
engrais, car le marché en serait insuffisamment approvisionné.
A défaut, on facilitera le développement des bactéries
fertilisantes par des travaux de surface et des chaulages modérés.
V. ARNOULD,
Ingénieur agronome.
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