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Baux industriels et commerciaux

Droit de reprise

Le commerçant, l'industriel, l'artisan a droit, en principe, au renouvellement de son bail professionnel lorsque celui-ci arrive à expiration.

Le refus de la part du propriétaire d'accorder le renouvellement du bail l'expose à payer au preneur ainsi dépossédé une indemnité dite d'éviction égale, en principe, au préjudice causé à ce dernier par le défaut de renouvellement.

La législation sur la propriété commerciale prévoit cependant un certain nombre de cas dans lesquels le propriétaire peut, sans être astreint au payement de l'indemnité d'éviction, refuser le renouvellement du bail.

L'article 5 de cette législation, c'est-à-dire de la loi du 30 juin 1926, modifiée et complétée par la loi du 18 avril 1946, constitue en quelque sorte la charte du droit de reprise du propriétaire. Elle envisage trois hypothèses de ce droit de reprise.

1° Immeuble menaçant ruine.

— Ce droit de refuser le renouvellement de bail est reconnu au propriétaire s'il établit que l'immeuble doit être totalement ou partiellement démoli comme menaçant ruine ou étant en état d'insalubrité reconnue.

Le commerçant a le droit de rester dans les lieux jusqu'au commencement des travaux.

Il a droit de priorité pour louer dans l'immeuble reconstruit comme s'il s'agissait d'un immeuble sinistré par fait de guerre.

2° Reprise pour habitation.

— Le droit de reprise est également admis lorsque le propriétaire veut habiter lui-même les lieux ou les faire habiter par son conjoint, ses descendants ou leurs conjoints.

Avant la loi du 18 avril 1946, ce droit de reprise était également admis au profit des ascendants.

De même, avant cette loi, le droit de reprise était reconnu au bailleur pour occuper les lieux. Cette expression « pour occuper les lieux » paraissait plus libérale que celle « pour habiter les lieux ».

3° Reprise pour habitation commerciale.

— Le propriétaire a également le droit de reprendre les lieux loués en vue d’une occupation rigoureusement personnelle dans les cas suivants :

    a. Lorsque le preneur n'a pas exploité personnellement pendant quatre années entières et consécutives le fonds de commerce installé dans les lieux ; il en est ainsi, par exemple, d’un commerçant qui achète le fonds de commerce alors que le bail a moins de quatre ans à courir au moment de l'achat ;

    b. Lorsque le propriétaire a été sinistré dans son habitation personnelle ou dans son exploitation industrielle ou commerciale de telle sorte qu'il est dans l'impossibilité de l’occuper ou d'y exercer son entreprise ;

    c. Lorsque le propriétaire est une société anonyme ou en commandite par actions, ou une entreprise à succursales multiples, à moins que le propriétaire n'entre lui-même dans l'une de ces catégories.

4° Conditions du droit de reprise.

— En vue d'exercer le droit de reprise conformément aux dispositions qui précèdent, le propriétaire doit donner préavis par acte extrajudiciaire au commerçant ou industriel ou artisan.

Le délai de préavis à observer à cet effet est de deux mois à compter de la demande en renouvellement qui doit, à peine de nullité, mentionner la forme et le délai dans lequel ce préavis doit être donné ; ce délai est de rigueur.

5° Reprise pour reconstruire.

— Le propriétaire a également le droit de refuser le renouvellement du bail lorsqu'il veut reprendre les lieux pour reconstruire l'immeuble (art. 5 bis de la loi). ,

Trois obligations lui sont imposées dans ce cas :

    a. Il doit donner au locataire (commerçant, industriel ou artisan) congé par acte extrajudiciaire avec préavis d’une année ;

    b. Il est tenu de commencer les travaux dans les six mois qui suivent le départ du dernier locataire évincé des locaux ;

    c. Les locaux, une fois évacués, ne doivent plus être reloués jusqu’à la démolition.

6° Exercice en fraude du droit de reprise.

— La législation sur la propriété commerciale sanctionne cependant la reprise des locaux en fraude des droits du commerçant ou industriel.

I1 est précisé, en effet, que, au cas où il viendrait à être établi à la charge du propriétaire qu'il n'a exercé la reprise du bail que dans le but de faire fraude au droit du locataire, notamment par des opérations de location ou de revente, que ces opérations aient un caractère civil ou commercial, le locataire aura droit à l'indemnité d'éviction.

7° Reprise par le propriétaire bailleur du fonds.

— Il peut advenir que le propriétaire de l'immeuble loué soit aussi propriétaire du fonds de commerce qui y est exercé et que le local porte en même temps sur les deux (locaux et fonds de commerce).

Dans ce cas, le propriétaire peut exercer le droit de reprise à fin de bail et continuer l'exploitation commerciale ou industrielle du fonds sans être tenu à l'indemnité d'éviction. Mais il doit alors au commerçant une indemnité à concurrence du profit qu'il aura retiré de la plus-value apportée soit un fonds, soit à la valeur locative de l'immeuble du fait des améliorations matérielles effectuées par le locataire.

8° Reprise par le bailleur vendeur du fonds.

— Le propriétaire de l'immeuble qui a vendu le fonds de commerce ne peut ensuite, à fin de bail, exercer le droit de reprise à moins d'indemnité d'éviction. Cela se conçoit.

La loi précise à ce sujet que le propriétaire ou le principal locataire, qui, en même temps qu'il est bailleur des locaux qui font l'objet de la demande de renouvellement, est aussi le vendeur du fonds de commerce qui y est exploité et qui en a reçu le prix intégral, ne peut exercer le droit de reprise qu'à charge d'une indemnité d'éviction.

Cette obligation s’étend aux ayants droit du propriétaire. La Cour de cassation a jugé, sur ce point, qu'en raison des termes généraux de la loi on ne saurait apporter à l'application de ce texte une limitation contraire à son esprit en exonérant du payement de l'indemnité d'éviction qu'elle institue l'acquéreur de l’immeuble tenu des obligations nées du bail du fait que ce bail a été consenti par le vendeur du fonds de commerce à l’auteur du propriétaire dudit fonds.

9° Indemnité d'éviction.

— Lorsque le droit de reprise du propriétaire n'est pas reconnu légitime par le tribunal, il est tenu envers le commerçant, industriel ou artisan dépossédé, au payement de l'indemnité d'éviction.

L'indemnité est égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Elle ne peut être inférieure à la valeur du fonds à moins que le propriétaire ne démontre que le commerçant évincé possède d'autre fonds de commerce, ou que le local dont il s'agit abrite une succursale, ou encore que le propriétaire démontre que le préjudice est moindre.

10° Indemnité de plus-value.

— Le propriétaire peut être admis, comme on l'a vu, à exercer le droit de reprise des locaux pour un usage commercial ou industriel, sans être tenu au payement de l'indemnité d'éviction.

Il est néanmoins obligé de payer au commerçant sortant une indemnité à concurrence du profit qu'il aura retiré de la plus-value apportée par lui à la valeur locative de 1'immeuble par suite des aménagements effectués, sans que cette indemnité puisse dépasser le prix de la main-d'œuvre et la valeur des matériaux employés.

Toutefois le propriétaire peut être dispensé du payement de cette indemnité s'il préfère demander la remise des locaux en l'état où ils étaient lors de l'entrée en jouissance du preneur ou si ces aménagements effectués par le preneur deviennent, d'après une clause du bail, la propriété du bailleur.

L. CROUZATIER.

Le Chasseur Français N°650 Avril 1951 Page 238