Ce n'est pas sans un certain malaise que les techniciens de
l'hélice assistèrent vers 1944 à l’avènement du moteur à réaction. L'hélice
avait en effet été à la base de la propulsion dans les airs ... et elle
régnait toujours seule depuis quarante ans ! Certes, ces techniciens
connaissaient les travaux et les résultats obtenus dès 1935 par un ingénieur
italien dans le domaine de la propulsion par réaction. Travaux de précurseur ?
Non, avaient-ils jugé : impossibilité matérielle de réaliser l'idée ! ...
L'on sait de quelle façon les progrès techniques réalisés en
sidérurgie et en mécanique dans le monde permirent aux ingénieurs anglais de
réaliser ce qui avait été conçu dix ans plus tôt, et lorsque leurs, avions à
réaction tracèrent dans le ciel, à dix mille mètres d'altitude au-dessus des champs
de bataille, leurs immenses orbes vaporeuses, les techniciens de l’hélice
durent se rendre à l'évidence. Au règne de l'hélice, venait d'être porté un
coup ... Un coup qui pouvait lui être mortel ! ...
Mais ce serait mal connaître ces techniciens d'aviation que
de croire qu'ils s'avouèrent vaincus ! ... Avec acharnement, ils
avaient, pendant quarante ans, amélioré sans cesse le rendement de l'hélice
alors qu'elle régnait seule. Avec passion, ils se penchèrent sur leurs planches
à dessin et leurs règles à calcul ... L'hélice n'était pas encore au
summum de ses possibilités ! L'apparition du turbo-réacteur, ce redoutable
concurrent, après les avoir stupéfiés, stimula leur « matière grise ».
Quelques années passèrent … et, voici bientôt près de
trois ans, ce fut la revanche des héliciers ... la turbine à gaz
exigeait une hélice pour devenir le turbo-propulseur (1). Les premiers
essais d'adaptation furent entièrement satisfaisants. Les héliciers avaient
réussi à dessiner les profils et les formes de nouvelles hélices permettant
d'utiliser avec un rendement fort intéressant l'énorme puissance fournie par le
turboréacteur. D'autre part, des essais effectués en soufflerie supersonique
avaient prouvé que l'hélice pouvait s'accommoder de vitesses très supérieures à
celles qu'on jugeait ne pas pouvoir être dépassées par elle, quelque dix ans
auparavant. Certes l'on assiste à une évolution radicale dans les profils et les
formes des pales, l’hélice 1950, équipant par exemple la dernière turbine de
5.500 CV à 14.000 tours-minute, n'a que très peu de ressemblance avec celle
montée sur un moteur à pistons moderne de 2.800 CV.
Pour arriver aux résultats actuels, une infinité de pales de
toutes dimensions et de toutes formes fut essayée au tunnel aérodynamique. Les
unes à pales échancrées aux deux bords, d'autres ayant certaines ressemblances
avec les hélices marines, ou celles des moulins à vent, d'autres encore en
forme de battoir de laveuse ou de cimeterre.
Certaines formes ne donnèrent que de très médiocres
résultats, mais ces essais de maquettes au tunnel donnèrent des indications
très précises aux techniciens de l'hélice. Il fut acquis que les profils de
l'hélice à haute vitesse devaient être le plus minces possible et avec bec
tranchant, ce bec étant « affûté » comme la lame d'un couteau ou
celle d'un rasoir à main.
D'autre part, la forme de l'extrémité de la pale de l'hélice
classique 1940 s'avéra défectueuse aux vitesses soniques. Les pales à bouts rectangulaires
seraient actuellement celles qui offrent le meilleur rendement. Coulées en
acier, leur structure se prête d'autre part plus facilement à l'usinage des
profils à très faible épaisseur relative.
Ainsi, les caractéristiques de l'aile d'un avion de grande
vitesse et celles de la pale d'hélice destinée à atteindre des vitesses
soniques, et même supersoniques, ne manquent pas de surprendre les techniciens
par leur analogie.
La question du poids entre aussi en jeu d'une façon
considérable dans le rendement de l'hélice. Les techniciens de l'hélice
bénéficièrent eux aussi des progrès faits en sidérurgie et en mécanique. Il y a
une dizaine d'années, une hélice de trois mètres de diamètre équipant un avion
de transport pesait 175 kilogrammes et « absorbait » 1.200 CV ;
aujourd'hui une hélice de quatre mètres de diamètre pèse 180 kilogrammes et
elle peut équiper des moteurs de 2.400 CV tout en bénéficiant d'améliorations
considérables : variabilité maximum de pas trois fois supérieur, commande
de renversement du pas (pour le freinage au sol) et dispositif de dégivrage.
Hélice supersonique : L'on voit ainsi comment
l'on s’achemine vers la réalisation de l'hélice supersonique. C'est déjà la lutte
entre les techniciens du réacteur et ceux qui croient toujours aux possibilités
de l'hélice. Il est évident que, si ces derniers atteignent les vitesses
soniques et supersoniques, ils marqueront des points sur les partisans du réacteur
« pur ». L'avantage de la plus faible consommation du moteur à
pistons et le meilleur rendement du turbo-propulseur l'emporteraient sur les
servitudes de poids et de consommation du turbo-réacteur.
Actuellement, le rendement de l'hélice atteint 80 p. 100 à la
vitesse de 1.000 kilomètres à l'heure (Mach=0,8) ; hélice tripale à sens
unique de rotation.
Au-dessus de cette vitesse, pour dépasser celle du son, les héliciers
ont à leur disposition la formule des hélices contrarotatives à six ou huit pales.
Il est bon de rappeler à ce sujet les travaux du fameux et regretté ingénieur
Charles Vaseige. En pleine clandestinité, ce dernier, véritable précurseur,
poursuivit à Saint-Étienne l'étude et la mise au point d'une hélice contra-rotative
à six pales ; j’eus l'honneur de collaborer à ces travaux en étroit
contact avec son adjoint, l'ingénieur Crauc.
Ce type d'hélice est maintenant définitivement au point. Il possède
évidemment tous les perfectionnements modernes : pas variable en vol,
réversibilité, dégivreur, etc. C'est un chef-d'œuvre de mécanique de haute
précision. Les partisans du réacteur lui reprochent sa complexité et les soins
délicats qu’exige son entretien.
Néanmoins, en y adaptant les pales aux nouveaux profils et
aux nouvelles formes, ce sera l'hélice supersonique de l'an 1951 ... Les
héliciers n'ont pas dit leur dernier mot ! ... Ils veulent voler à 1.500
kilomètres à l'heure ! ...
Maurice DESSAGNE.
(1) Voir Le Chasseur Français du mois d'août 1949.
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