La numismatique est une science. C'est celle qui étudie les monnaies
dans leurs rapports avec l'histoire, l'art, l'archéologie et la civilisation. Son
intérêt est extrêmement important, car les fouilles, en restituant les
monnaies, permettent de posséder les représentations gravées de monuments
disparus, de même que les effigies de personnages importants ; elles
démontrent aussi les importances militaires, économiques, commerciales ou autres
qu'eurent dans les temps passés certaines villes ou certains potentats.
C'est de la sorte que l'on connaît exactement la tête du Zeus
de Phidias grâce à une monnaie de bronze d'Hadrien ; celle de l'Athéna du même
sculpteur, au Parthénon, par des tétradrachmes ; la Vénus de Praxitèle par
des pièces de Cnide ; la Victoire de Samothrace sur des tétradrachmes de
Démétrios Poliorcète ; ou des monuments comme ceux de l'Acropole
d'Athènes, le temple d'Artémise à Éphèse, le Colisée, etc.
Ainsi, par le fait de la gravure monétaire, on connaît en
détail l'évolution des arts depuis le VIIe siècle de la Grèce jusqu'à la fin de
l'Empire romain, en 476.
L'objet de la numismatique est cependant très strict, et il
ne saurait toucher l'étude de « LA » monnaie d'une nation ou d'une
principauté, car c'est là un sujet de pure économie politique. Actuellement, la
numismatique des temps modernes a vu se développer une branche non métallique,
c'est celle concernant l'art et l'histoire dans les billets de banque.
Les premières collections de numismates sont très anciennes,
et déjà la royauté possédait à Versailles et à Paris de prestigieux médailliers.
A notre époque, deux noms s’attachent à cette science, ceux d'Ernest et de Jean
Babelon, conservateurs du Cabinet des Médailles et des Antiques à la
Bibliothèque Nationale.
Pour le profane, la numismatique est une science quelque peu
hermétique, car ses documents surprennent au premier abord.
Il serait faux, en effet, de se contenter de transposer les
connaissances sur les monnaies actuelles dans le temps et de vouloir rechercher
celles que purent avoir les hommes des civilisations disparues.
L'usage de la monnaie fut totalement ignoré des Égyptiens,
Mésopotamiens et autres. Ce n'est qu'au passage du VIIIe au VIIe siècle avant
Jésus-Christ qu'elle paraît en Grèce.
Pour les civilisations antérieures, on trouve des paiements
en lingots métalliques, plus ou moins gros, plus ou moins fractionnés, mais ce
ne sont pas des monnaies, car ni les poids ni l'aloi n'en sont officiels ni
garantis par le souverain ou l'autorité publique. En ces temps lointains, il y
avait sur les marchés des peseurs publics, dont la charge consistait à mesurer
sur des balances les poids de métaux fournis en contrepartie des produits
vendus. C'est de la sorte que des figurations égyptiennes rapportent ces usages
courants. De même les fouilles ont livré des lingots, sous la forme de barres
de cuivre oblongs, datant du troisième millénaire à Mohenjo-Daro, dans la
vallée de l’Indus, et d'autres en or, argent, cuivre en Cappadoce datant de
2250 à 1200. On en possède également de Hittites du deuxième millénaire, de
Doriens du XIIe siècle, ainsi que des saumons de plomb au cachet de Sennachérib
vers 700 avant Jésus-Christ. Le code du souverain sémite Hammourabi mentionne
des gages en poids d'argent.
Dès que l'on sut façonner le métal en monnaie, il acquit une
valeur conventionnelle : mais il ne faut pas entendre ce terme dans son sens
actuel. Homère rapporte qu'aux funérailles de Patrocle Achille offre des « haches
bipennes », c'est-à-dire à deux tranchants. En effet, à défaut d'avoir
encore la notion de pièces, les métaux étaient modelés en haches symboliques,
et ce furent celles-ci qui servaient de moyens d'achat. On en trouve de
grandeurs très variables avec des poids de 30 kilogrammes, mais aussi
descendant à quelques dizaines de grammes. Chez les Crétois, le métal est
conditionné en trépieds et en chaudrons ; en d'autres lieux, en broches
réunies en faisceaux avec des poignées, comme au temple de Héra à Argos. En
Chine et en Egypte, on voit aussi paraître un grand perfectionnement sous là
forme de tiges que l'on sectionne et d'anneaux dont les poids moyens tournent
autour de 90 à 96 grammes.
Mais, pour qu'il y ait monnayage, il faut que l'on ait résolu
la confection de flans identiques, d'un poids officiellement connu, et que l'on
puisse se contenter de les compter, sans avoir à les peser. Pour que cette
garantie existe, il faut que la vérification ait été officielle et antérieure,
et qu'une gravure en certifie l'authenticité.
C'est ce qui se passa vers l'an 700, en Grèce.
Les auteurs anciens se sont souciés de l'histoire et de
l'origine de la monnaie. Mais, faute de moyens scientifiques de recherches, et
aussi du fait des habitudes mythiques, ces renseignements ne portent pas des
certitudes absolues.
C'est de la sorte que Philocrosos attribue ces créations à
Thésée. Pour Hérodote, la monnaie est d'origine lydienne. D'après Pollux, sous
Commode Phidon, roi d'Argos, la première monnaie viendrait d'Égine avec comme
gravure une tortue.
Les numismates modernes ne retiennent que deux sources :
celles des Lydiens et de Phidon.
Les pièces les plus anciennes que l'on connaisse sont des
sortes de pastilles oblongues irrégulières, en électrum, sorte d'alliage
naturel à base d'or et d'argent, provenant du Pactole, et nanties d'un sceau
garantissant les valeurs.
Très rapidement, on voit le progrès se poursuivre et l’on a
des statères de Lydie sur la côte anatolienne, d'autres de Gygès (687-652),
puis on arrive aux véritables monnaies de Crésus (561-546) en or et en argent,
connues sous le nom de créséides.
Les balbutiements de la frappe monétaire se situent en deux
centres principaux : Milet et Phocée. D'un coté, on a un chiffonnage en
relief et de l'autre une marque en creux avec une silhouette d'animal :
lion, cerf, bœuf, phoque, thon, etc., ou un rudiment de blason.
Dans les débuts de cette invention, on trouve deux sortes de
monnaies. Les unes, théoriques, servaient pour les comptes, comme le talent
et la mine. Leurs poids correspondants, de l'ordre de 60 et 30
kilogrammes pour le premier, de 1 kilogramme et 0kg,500 pour la seconde,
rendirent leur réalisation impossible. De nos jours, on ne verrait pas la
conception d'une pièce d'un million, qui cependant est l'unité de base dans les
comptes, au moins ceux du budget de l'État.
En face, il y eut des monnaies réelles, qui furent
effectivement frappées, comme le statère, le sicle, le drachme
et ses dérivés, l'obole, l’hecté, etc.
Pour les gouvernants de ces nations, il fallait établir de
toutes pièces toute une gradation de monnaies diverses et en fonder la valeur.
Ils eurent recours aux poids des pesées, et l'on trouve en effet que peser et
payer s'expriment par les mêmes termes. La source en est qu'une monnaie n'est
jamais qu'un petit lingot pesé et garanti par la puissance publique.
Mais on était fort loin, en ces époques, d'uniformisation
des systèmes, car les commerces étaient essentiellement locaux ou, au mieux,
régionaux.
De l'île d'Égine d'abord, puis dans tout le Péloponnèse, à
Sparte et à Argos, on vit s'épandre le système éginétique que Phidon
consacra avec ses pièces « à la tortue ». La base en était la mine de
628 grammes, qui se subdivisa en statère de son cinquantième, ou didrachme de
12gr,57, le drachme correspondant à sa moitié ou au centième de mine, soit 6gr,28.
L'obole représentait le sixième du drachme, ou 1gr,04.
Dans l'Attique et en Eubée prévalut un autre système, dit euboïque ;
de ce fait devait sortir le système attique avec Alexandre le Grand, qui
s'imposa à la majeure partie du monde hellénique. Ici la mine pesait 436 grammes,
ce qui donnait une centième partie, ou drachme de 4gr,36, avec les dérivés pour
la frappe du tétradrachme ou quadruple drachme ; du didrachme ou double
drachme, encore nommé statère ; et enfin de l'obole ou sixième de drachme,
soit 0gr,73.
Mais, pendant que ces systèmes évoluaient et
s'affermissaient en Grèce et ses établissements à base monométallique, l'Asie
mineure primitive, ou Micrasie, en établissait d'autres fondés sur le bi et
même trimétallisme : or, argent, électrum.
Par suite du développement des relations commerciales
extérieures, il fut nécessaire d'établir des équivalences pour les comptes, en
même temps que naissait la notion de monnaie d'État, se substituant à la pluralité
de celles locales ou régionales.
Entre la Grèce et l'Orient, les valeurs relatives furent
ainsi fixées : or à argent, 1 à 13,33, ou 10 statères d'or contre 133
d'argent ; or à électrum, 1 à 1,3 ; argent à électrum, l à 10. Ce
système est d'origine archasiatique, c'est-à-dire appartenant au monde
du Proche-Orient classique axé sur la Mésopotamie. Mais ces Mésopotamiens
avaient deux systèmes, heureusement simplement doubles l'un de l'autre :
le majeur et le mineur. Le talent correspondait à 60 mines (de chacune 60
sicles) et 3.600 sicles, pesant soit 60kg,552, soit la moitié ou 30kg,276. La
mine de 60 sicles donnait 1kg,008 et 0kg,504, et le sicle 16gr,82 et 8gr,41.
Quand la Micrasie adopta la monnaie d'État, le poids du
sicle « majeur » de 16gr,82 devint le poids de base du statère de la
série phocaïque, ou de la ville de Phocée. Le poids du sicle « mineur »
de 8gr,41 devint le poids de base de la darique en or, devant son nom à
son créateur Darius 1er, fils de Hystape, vers 515 avant
Jésus-Christ.
Cependant que de son côté, Crésus (561-546), roi de Lydie,
créait un système beaucoup plus complexe, simple pour l'argent, mais double
pour l'or, selon que la série était seulement en or ou en argent et or. En or,
le statère représentait 8gr,17 avec des divisions en moitié (hémistatère, tiers
ou trité, sixième ou hecté, et douzième ou hémihecté). Dans le système
bimétallique or et argent, le statère pèse 10gr,89 avec les mêmes subdivisions
de frappe. Ces monnaies sont les célèbres créséides marquées de « protomés »,
ou bustes de lion et taureau affrontés. Cette complication n'est qu'apparente,
car elle s'explique très facilement par les obligations de commerce extérieur.
Un statère d'or de 8gr,17 correspond, d'après le système des
équivalences de 1 à 13.33, à 108gr,9 d'argent. Or il était impossible de
confectionner une monnaie d'un tel poids. On la divisa en dix parties de 10gr,89,
ce qui est le statère d'argent.
De même, le rapport or et électrum étant 1 à 1,33, une pièce
d'or de 8gr,18 équivalut à une d'électrum de 10gr,89.
Crésus, avec son statère d'or de 8gr,17 — la créséide, — se
vit contraint de frapper une autre pièce d'or pur de 10gr,89 pour équivaloir à
l'étalon nouveau de villes comme Milet et Éphèse, et permettre la coordination
des paiement dans les échanges commerciaux.
Cyrus 1er le Grand, vainqueur de Crésus, ne fit
pas frapper de monnaies après 546, date de sa victoire. Mais Darius (525-485)
créa la darique d'or pur et le sicle médique en argent. Cette pièce très
connue, au type d'archer portant javeline, pèse 8gr,45 : c'est la darique.
Le sicle du même type pèse 5gr,60.
Par suite du système des équivalences, on aboutit à une
pièce d'argent de 11gr,21 dans le système persique, qui fut très
généralisé en Orient, dans les monnaies des satrapes, pour les paiements des
soldes militaires et dans les émissions des villes voulant prouver leur
indépendance.
Ces systèmes multiples en leurs études actuelles représentent
toute la difficulté de la connaissance numismatique. Ils en sont la base, car,
avant d'arriver à une sorte d'unification relative par une monnaie publique
d'État, ils provoquèrent des multitudes de frappes, car chaque, monnayeur y
voyait un moyen de démontrer sa puissance et son autonomie, au moins théorique.
La technique de la frappe a, heureusement, une histoire très
simple.
On commença par réaliser des « flans » un à un,
puis on apprit les fontes multiples, qui se reconnaissent à de petites oreilles
provenant des conduits du métal dans les moules.
Les flans étaient placés sur des coins fixes ou dormants,
sur une enclume, recouverts alors d'un autre coin gravé, mobile, et l'on
appliquait un coup de masse. Il en résulte des irrégularités provenant des
différences de force des coups, comme de l'usure des matrices. Les bords des
pièces sont irréguliers. Parfois on relève des traces chevauchantes provenant
de plusieurs coups successifs.
Les dimensions de ces pièces antiques sont très variables,
mais on en trouve rarement de très grandes par suite des difficultés de frappe.
Les collections de Paris possèdent cependant une énorme monnaie d'or d'Eucratide,
roi de Bactriane (190-150), représentant le poids de vingt statères ou 1.689
grammes, avec un diamètre de 56 millimètres.
Une technique spéciale vit le jour éphémèrement en Grande
Grèce, avec le revers en creux, reproduisant l'avers. Cette méthode reste un
mystère. Ces pièces spéciales sont dites « incuses ». On les attribue
à une invention de Pythagore.
Janine CACCIAGUERRA.
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