II y a cinquante ans, Clément Ader réalisait pour la
première fois le vieux rêve séculaire de quitter le sol et donnait naissance à
une technique nouvelle ; celle de l'aviation.
Depuis, l'imagination des hommes ne se satisfait plus
d'aller de Paris à New-York en un jour et de Paris à Rome en deux heures. C'est
vers les autres planètes que l'on songe à voyager.
Ce fut d'abord une douce manie, fort peu dangereuse, des mathématiciens
et physiciens adoptant quelque peu les modes de raisonnement des romanciers.
Puis vint la dernière guerre et les fusées, et la fiction prit corps. De vrais
savants en divers pays étudient très sérieusement la question.
La fusée n'est qu'une réalisation industrielle en série
allemande, car déjà, il y a cent cinquante ans, la flotte anglaise incendiait
Copenhague, en 1807, avec 40.000 fusées de 10 kilogrammes. Les fusées gigognes
remontent elles-mêmes à Siemennowick, au XVIIe siècle, et, dès 1760, Ruggieri
élevait dans une fusée un mouton et le faisait redescendre, sain et sauf, en
parachute.
Jules Verne, à l'imagination fertile, mais au scientisme
souvent en défaut, avait conçu un canon « spatial » à poudre avec un
tube de 300 mètres de long. Il est purement chimérique du point de vue
balistique, car il suffirait autrement d'utiliser un puits de forage de mine
pour le réaliser à peu de frais. Mais les poudres les plus puissantes ne
permettent pas de réaliser une vitesse de projectile dépassant le kilomètre-seconde.
Or il faut atteindre au moins 11 ou 12 kilomètres à la seconde pour échapper à
l'action de la pesanteur. Même en utilisant l'hydrogène atomique, un tube de
425 kilomètres de long — soit la distance de Paris à Lyon — serait nécessaire.
En outre, à cette vitesse minima, l'effet de la résistance de l'air se traduit
par une densité des molécules ressemblant a celle de l'acier en fusion, et, par
friction dans l'atmosphère, l’obus serait porté au rouge avec une température
de 800°.
Reprenant la recherche d'une solution pratique, Mas et Drouet,
en 1913, songèrent à utiliser les effets de la force centrifuge, dans le but
surtout d'éviter l'écrasement des passagers au départ, sous l'effet de leur
inertie. Ils étudièrent donc une roue gigantesque de 80 mètres de diamètre qui,
par une accélération de soixante-quatre tours à la seconde, devait atteindre
une vitesse périphérique de 16 kilomètres à la seconde, ce qui autorisait la
fuite en échappant à la force de rétention par pesanteur. Mais à cet instant la
force centrifuge aurait atteint 660.000 g, et cet énorme volant aurait éclaté, et
même serait entré en fusion par le frottement dans l'air. La seule solution —
non réalisable — était d'envisager un carter pour la faire tourner dans le
vide.
Toutefois la question fut encore reprise, et cette fois on
envisageait un tunnel circulaire d'une quarantaine de kilomètres de diamètre
donnant quelque 125 kilomètres de circonférence. Dans ce tunnel où le vide
aurait été fait, l’ingénieur de Graffigny envisageait de faire circuler un chariot
glissant sur un film d'huile et propulsé par électro-magnétisme. Théoriquement,
avec six tours à la minute et un tunnel tangentiel de fuite en forme de rampe
relevée, le but pouvait être atteint. Mais il y a loin de la théorie à la
pratique, et il fallait envisager un tunnel circulaire ayant la dimension du
département de la Seine, et une rampe relevée sur le sommet du Mont Blanc ...
Wells, de son côté, avait envisagé une substance opaque à la
pesanteur ... mais il n'en existe pas.
Seule la réaction est capable de promouvoir les fusées astronautiques,
avec un air accéléré vers l'arrière par un réacteur, et l'inertie de la masse
de l'appareil jouant le rôle de point d’appui. En outre, dans le vide
interplanétaire, il n'y a pas d’air pour la combustion, si inversement il évite
l'échauffement par friction. Il est donc nécessaire d'emporter le combustible,
mais aussi son comburant.
Actuellement, on possède de tels corps, tels les lithergols,
hypergols, monergols, dont certains sont constitués par de l’eau oxygénée
concentrée à 85p. 100, soit plus de quatre fois celle du commerce, en plus
stabilisée, et entrant en réaction en présence d'un catalyseur.
En ce qui concerne le matériel, on ne saurait se contenter d’envisager
l'emploi des fusées V-2, dont le véritable nom était Vergeltung
(Représailles) A-4. On les construisait à Nordhausen, dans une usine géante
occupant 30.000 ouvriers à 25.000 machines, pour en obtenir quotidiennement
trente, coûtant chacune autant qu'un avion de chasse.
Le lancement était assez complexe, car il fallait transporter
la fusée sur une plate-forme, puis la remplir de charges explosives, de ses
combustibles et comburants, charger des accumulateurs, réfrigérer certaines
parties, en réchauffer d’autres, etc. ...
Ces engins, avec 13 mètres de long, en avaient moins de 2 de
diamètre et donc ne peuvent guère offrir la capacité voulue pour dépasser les
altitudes actuellement atteintes, même en les perfectionnant — elles dépassent
à peine les 150 kilomètres d'altitude.
Mais on sait aujourd'hui qu'à une vingtaine de jours près les
Allemands faillirent réaliser la bombe atomique, et, grâce à une fusée de 100
tonnes, les A-10, avec de petites ailes et dirigée par un pilote-suicide, se
trouver en mesure d'atomiser New-York. Le principe en était une fusée gigogne
montant à 25 kilomètres d'altitude pour atteindre une vitesse de 1.350 mètres-seconde,
se déclavetant alors avec une partie arrière récupérable par parachute, celle
avant montant alors à 300 kilomètres, ce qui donnait la possibilité de planer
sur 3.000, qui, ajoutés à ceux de la période de lancement, aboutissaient aux
résultats désirés.
Depuis, les Américains ont fait mieux et, avec une fusée R.
E. X. pesant 370 tonnes, à cinq étages gigognes, espèrent obtenir des
rendements infiniment meilleurs. Les études continuent pour l'instant, mais on
sait d'une façon certaine qu'il suffirait de multiplier par 70 ou 80 ces
données pour obtenir déjà un astrobus susceptible d'aller dans la lune.
Un tel voyage n'est plus du domaine chimérique, et il faut
savoir que la difficulté n'est aucunement dans le trajet ou la distance, mais
dans les difficultés de départ. Le jour où l'on partira pour la lune, il n'en
faudra guère plus pour se rendre dans Mars ou Vénus.
On est assez mal fixé sur la résistance humaine à
l'accélération au delà des vitesses soniques, mais toutefois on sait qu'avec un
simple matelas en caoutchouc mousse l'accélération est très supportable si elle
ne dépasse par 5 g. Aussi, avec un départ à la vitesse de 2 kilomètres, à la
seconde, soit double de celle d'un obus de D. C. A., on peut espérer atteindre
une vitesse dix fois plus grande en huit minutes, soit pour une altitude de
4.600 kilomètres.
Après cette distance, la consommation de combustible devient
insignifiante, et la direction peut être obtenue soit du sol par radar, soit de
l'engin lui-même, au moyen de petits réacteurs latéraux de l'importance d'un
fusil de chasse.
Toutefois, si, dès 4.600 kilomètres d'altitude, l'astrobus
est soustrait à l'attraction terrestre et devient un simple corps itinérant,
astreint à la seule mécanique céleste, il va se trouver en face du danger de
collision avec des météorites, et il faudra prévoir un radar déviateur, car le
poids moyen de ces météorites, avant leur explosion par contact avec
l'atmosphère terrestre, est de l'ordre d'une centaine de kilogrammes.
Du point de vue physiologique, de tels voyages soulèvent des
questions énormes. D'abord celui de l'accélération au départ et en cours de
route, qui doit être maintenue à 5 g. Or déjà avec 0,3 g, correspondant à la
vitesse du son, on assiste à des troubles, et toute la question tourne autour
du moyen propre à réaliser de faibles vitesses initiales relatives pour les
passagers ou leurs organismes, ce qui est indépendant de la vitesse absolue de
l'engin.
Mais il existe aussi un second problème physiologique, celui
de l’ « impesanteur » dans les espaces interplanétaires, et,
dans l'état actuel de la science, on est uniquement dans le domaine des
hypothèses. On estime en majorité qu'en faisant tourner la fusée sûr elle-même
on obtiendrait une pesanteur artificielle.
Les premiers voyages ne seraient certainement que des
circuits autour de la lune, sans y prendre pied. La visite d'une planète, ou
même simplement de la lune, impose des reconnaissances sur les possibilités de
séjour et de vie.
Aussi les astronautes sont très éloignés des buts
spectaculaires généralement exposés. Ils se soucient avant tout de concevoir
l'appareil de trajet et ses possibilités. C'est déjà beaucoup, mais il en était
déjà ainsi des pionniers de l'aviation, qui ne cherchaient rien d'autre que de
quitter le sol et non point d'effectuer des raids ou de battre des records.
Louis ANDRIEU.
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