C'est l'ancien régime qui institua les décorations destinées
aux officiers, sous-officiers et soldats. Certes, il existait bien des ordres
de chevalerie réservés aux courageux défenseurs de la patrie, mais ils étaient
surtout attribués à des nobles, souvent même seulement aux rejetons de grandes
familles. Cependant, bien des gentilshommes ruraux ayant guerroyé faisaient
accompagner leurs effigies du collier de Saint-Michel, mais ce dernier était,
au XVIIe siècle, fortement décrié. Ses membres arboraient une série de
coquilles d'or et un Saint-Michel. Le Saint-Esprit, créé par Henri III, donnait
droit à un costume et à un ruban bleu, d'où le nom de cordons bleus donnés à
ces légionnaires avant la lettre.
« L'ordre de Saint-Louis, écrit Marcel Marion, un de
nos meilleurs historiens des XVIIe et XVIIIe siècles, fut institué par édit
d'avril 1693 pour récompenser les services rendus à l'armée. La marque en était
une croix d'or à huit pointes avec, d'un côté, l'image de saint Louis et, de
l'autre, une épée nue flamboyante : sur la pointe, une couronne de laurier
avec la légende : Bellicae virtutis praemium. Les grand’croix, au
nombre de huit, portaient cette croix avec un large ruban couleur de feu en écharpe
et, en outre, une croix avec broderie d'or sur le justaucorps et sur le manteau :
les commandeurs, au nombre de vingt-quatre, avaient seulement le ruban en
écharpe ; les chevaliers, dont le nombre n'était point fixé, la croix d'or
attachée sur la poitrine avec un ruban couleur de feu. L'ordre était doté de
biens de 300.000 livres de rente et d'un fonds annuel de 300.000 livres fait
par le roi ; il était affecté aux grand'croix une pension de 6.000 livres,
aux commandeurs de 3 à 4.000 livres, aux chevaliers des pensions variant de
2.000 à 800 livres. »
L'ordre de Saint-Louis étant exclusivement réservé aux
catholiques, Louis XV, voulant également donner une preuve de satisfaction aux
officiers français ou étrangers (ces derniers étaient alors nombreux) des
diverses religions, établit, en 1759, le Mérite militaire. La croix de
chevalier était en or, semblable d’ailleurs à celle de Saint-Louis, avec des
pointes pommetées ; au centre, un écusson d'émail rouge portait une
couronne de laurier entourée d'un ruban d'émail bleu avec cette légende : Lud.
XV inst. 1759. Au revers, une épée en pal avec la devise : Pro virtute
bellica. Le ruban était bleu-ciel orné d'une rosette. Supprimée en 1791,
cette décoration fut rétablie par Louis XVIII, mais cessa d'être distribuée en
1830 et disparut en 1848.
En vue de reconnaître les services des vieux braves, Louis
XV, en 1771, ordonna la distribution de plaques de vétérance à tous ceux qui se
trouvaient sous les drapeaux depuis au moins vingt-quatre ans. Le « médaillon
de vétéran » est en cuivre, de forme ovale ; à l'intérieur, sur un
fond de drap rouge, deux épées croisées sont réunies par un ruban. La
Révolution abolit cet insigne que l'on peut voir sur des portraits de troupiers
contemporains de Louis XVI, conservés dans certains musées ou collections
particulières.
Un brevet et une haute paye étaient attachés à cette
distinction que le nouveau promu recevait devant son unité rangée sous les
armes. Il devait aussi prononcer un serment par lequel il s'engageait à ne pas
s'écarter de la fidélité due au roi et à l'État. Cette grande médaille était
cousue à l'habit, sur le côté gauche de la poitrine.
La Révolution, on doit s'en douter, n'autorisa pas le port
de ces emblèmes réactionnaires et se contenta, en dehors de quelques plaquettes
commémoratives, de décerner des armes d'honneur ou de récompense nationale.
Napoléon Ier reprit l'idée de la vieille monarchie et institua la Légion d'honneur,
dont tous nos lecteurs connaissent l'histoire.
Louis XVIII modifia la croix de la Légion d'honneur et, afin
de remercier ses fidèles partisans, créa, lui aussi, quelques ordres, dont le
Lys est le plus répandu. Celui des gardes du corps se compose d'un petit soleil
doré, surmonté de la couronne royale en argent et portant au centre l'effigie
de Louis XVIII entourée d'un cercle d'émail bleu avec cette légende : Vive
le roi ! Le revers présente une fleur de lis avec : Gage d’union.
Le ruban est blanc bordé de bleu avec une rosette.
En arrivant dans la capitale, le 12 avril 1814, le
comte d'Artois, le futur Charles X, avait fait donner à la garde nationale
des sortes de faveurs blanches que l'on épinglait à la poitrine en signe d’attachement
à la monarchie ; par la suite, on permit de joindre au morceau d'étoffe
une fleur de lis d'argent qui fut modifiée à plusieurs reprises et donna
naissance à une décoration que conservent encore certaines familles. Le lis fut
évidemment supprimé sous Louis-Philippe.
Les volontaires qui avaient accompagné le duc d'Angoulême
lors de son entrée à Bordeaux, le 12 mars 1814, reçurent, pour leur
part, le brassard de Bordeaux. C'était un médaillon ovale en or, en forme de
soleil surmonté de la couronne royale avec la date de l'événement. Nous ferons
grâce à nos lecteurs des médailles de la Fidélité et autres ordres destinés à
tous les royalistes dévoués ; elles n'étaient point toujours attribuées
aux militaires, ce qui d'ailleurs était tout à fait naturel, les services
civils présentant pour le monarque un intérêt indéniable.
Louis-Philippe fit frapper la « médaille de Mazagran »
en vue de perpétuer le souvenir du capitaine Lelièvre et de ses cent vingt
hommes qui résistèrent héroïquement en février 1840 à une véritable armée
d'Arabes. Cette pièce porte l'effigie du roi des Français et la liste des
héros. Elle était primitivement sans bélière et, par conséquent, n'était pas destinée
à être portée ; toutefois, quelques titulaires, rentrés dans leurs foyers,
la fixèrent à un ruban tricolore.
Napoléon III voulut, lui aussi, laisser son nom à quelques
distinctions, c'est pourquoi il créa la médaille de Sainte-Hélène et la
Médaille militaire.
II y a un siècle, vivaient encore de très nombreux survivants
de la glorieuse épopée impériale. Ces valeureux débris de la Grande Armée
étaient même parfois groupés en associations, ancêtres directs de nos sociétés d'anciens
combattants. Chaque année, ceux qui avaient assisté à Waterloo ou à Lutzen
revêtaient leurs vieux uniformes, un peu défraîchis certes, et s'en allaient en
pèlerinage à la Colonne Vendôme. Lorsqu'un des leurs mourait, ils
accompagnaient le corps, costumés en brillants hussards ou en grenadiers. Les
mauvaises langues assuraient même que parfois la Préfecture de Police, fidèle
gardienne des traditions, louait quelques défroques et embauchait de pauvres
diables afin de grossir le cortège funèbre ! Napoléon III voulut accorder
à ces hommes si près du tombeau une marque permettant de les reconnaître, il institua
en conséquence la médaille de Sainte-Hélène, vite baptisée contremarque du
Père-Lachaise par les titis parisiens, peu respectueux de ces vénérables
éclopés promis, par leur date de naissance, à une mort prochaine.
Le 12 août 1857, l’Empereur déclarait que, « voulant
honorer par une distinction spéciale les militaires qui ont combattu sous les
drapeaux de la France dans les grandes guerres de 1792 à 18l5 », il
décidait qu'une médaille commémorative serait frappée. Elle serait en bronze et
porterait d'un côté l'effigie de Napoléon Ier et de l'autre ces simples mots :
A ses compagnons de gloire, sa dernière pensée. Sainte-Hélène, 5 mai 1821.
Le ruban devait être vert et rouge (il fut l'ancêtre de celui de notre Croix de
guerre). Ces deux couleurs avaient d'ailleurs probablement été choisies à
dessein, le vert impérial s'alliant au rouge de la Légion d'honneur.
Dès le 15 août — jour de la Saint-Napoléon, — l'Empereur
procéda à la première répartition de ces décorations. Le prince Jérôme, les
maréchaux Vaillant, Magnan, ce dernier président d'un important groupement
d'anciens grognards, d'autres encore reçurent cette précieuse distinction. La Chancellerie
de la Légion d'honneur devait assumer la charge de distribuer ces souvenirs du
Petit Caporal à ses anciens soldats habitant Paris. Les journaux du temps
s'empressèrent de décrire ces scènes curieuses à plus d'un titre. On voyait le
vieux brave coiffé d'un bolivar ou l'humble pensionnaire des petites sœurs des
pauvres venir chercher la pièce de bronze représentant son grand homme. « L'hôtel
de la Légion d'honneur, écrit un journaliste contemporain, offre en ce moment
un spectacle intéressant, dans l'affluence des anciens soldats de la République
et de l'Empire accourus pour recevoir la médaille de Sainte-Hélène ...
Toutes les conditions sociales se trouvent réunies dans cette foule où l'on
peut difficilement reconnaître, à leur physionomie et à leur costume, les
vainqueurs de l'Europe. Mais quand ils sortent, fiers de cette médaille
suspendue à leur boutonnière, on n'en peut plus douter. »
Comme l'écrit fort justement le capitaine Bottet, « l’idée
qui présida à la création de la médaille de Sainte-Hélène est de grande allure ».
Sans doute récompensa-t-elle parfois des conscrits réfractaires ou encore des
gardes nationaux qui n'avaient jamais tiré un seul coup de feu, sinon sur
d'innocents lapins de garenne, mais elle fut fort bien accueillie en France
comme à l'étranger, où elle réveilla le souvenir du Corse aux cheveux plats.
Certains Allemands qui avaient combattu sous les aigles françaises arborèrent
cet insigne, ce qui ne fut pas toujours du goût de certains de leurs
compatriotes.
La médaille militaire date du 22 janvier 1852. Le
21 mars de la même année, la première distribution solennelle de ce nouvel
insigne eut lieu dans la cour des Tuileries. Voici la description du premier
modèle, qui était en argent : couronne de chêne et de laurier en bordure,
surmontée d'un aigle dont les ailes sont soudées à la couronne ; au
revers, la queue de l'oiseau couvre une partie du médaillon central. Effigie du
prince Louis-Napoléon à gauche, sur un fond rayé horizontalement, légende :
Louis Napoléon, en or sur émail bleu. Au revers, les mots Valeur et
Discipline sur fond mat, entourés d’un cercle d'émail bleu, ruban jaune
bordé de vert. Cette décoration, réservée aux sous-officiers et soldats, puis
accordée exceptionnellement aux généraux, fut modifiée à plusieurs reprises.
Les campagnes de la seconde moitié du siècle dernier
donnèrent lieu à des séries de médailles diverses (Tonkin, Madagascar, Dahomey,
Chine, etc.), ainsi qu'à de petites plaquettes pourvues d'une bélière et d'une
faveur destinées principalement aux anciens combattants. Puis la guerre de
1914-1918 amena la création de la Croix bien connue, descendante directe de
celles décernées autrefois par les rois de France à leurs valeureux compagnons
d'armes.
Roger VAULTIER.
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