Tous les chasseurs savent que les chevrotines sont des
projectiles d'une dimension intermédiaire entre celle des balles de calibre et
celle des plus gros numéros des plombs usuels. Leur emploi, probablement aussi
ancien que celui des autres projectiles, est rarement mentionné avant le XIXe
siècle et n'est pas d'ailleurs l'objet de commentaires très favorables.
Magné de Marolles, toujours très bien documenté sur les
armes et munitions de son époque, signale, en 1788, que la seule dimension en
usage pour les chevrotines est celle de petits pois et qu'il ne connaît pas de
charge moins sûre pour le bois en ce qui concerne le chevreuil. Il ajoute qu'à
grande portée la dispersion est beaucoup trop grande et que, jusqu'à la distance
d'une trentaine de pas, une simple charge de gros plomb est bien suffisante
pour ne pas manquer l'animal. Nous souscrivons entièrement à cette opinion,
d'autant plus que les chevrotines de l'époque étaient coulées au moule, donc
peu régulières, et manquaient d'homogénéité en raison des soufflures possibles.
La difficulté de leur obtention avait d'ailleurs limité la fabrication à une
seule dimension, celle du pois, trop grosse pour le chevreuil. D'autre part, à
cette époque, le sanglier et le loup — ce dernier très abondant — se tiraient
toujours à balle, d'assez près, dans des conditions très acceptables.
Magné de Marolles signale d'ailleurs également que lesdits
projectiles ont des écarts « prodigieux » et sont la cause de
nombreux accidents.
Il convient de se souvenir, en outre, que, pendant le XVIIIe
siècle et pendant les deux tiers du XIXe, les chasseurs n'ont disposé que de
fusils à baguette, de calibres assez incertains au point de vue des dimensions
intérieures ; dans ces armes, les chevrotines s’arrangeaient comme elles
pouvaient, et, il n'était guère question de les disposer en lits réguliers ;
enfin, les vitesses initiales des charges de chasse étaient peu élevées. Tout
ceci nous explique les inconvénients signalés ci-dessus et nous indique la voie
dans laquelle s'engagèrent les arquebusiers de la fin du XIXe siècle pour
améliorer le rendement du chargement à chevrotines.
Il s'agissait, cette fois, de les utiliser dans des armes à
bascule dont les cartouches pouvaient être soigneusement préparées à l'avance ;
d'autre part, les fabricants mirent au point des ballettes en plomb comprimé,
exemptes de soufflures et de dimensions relativement très régulières. Il fut
dès lors facile d'associer, dans chaque calibre, les projectiles par lits
réguliers convenant bien aux dimensions de la douille, sans perte de volume. La
variété des dimensions offertes aux chasseurs donnaient la possibilité de tirer
cette fois les sangliers de tous poids avec des ballettes appropriées, et
l'usage de la balle de calibre devint pour ce dernier gibier un peu moins
fréquent.
Nous devons toutefois remarquer, à la lecture des auteurs de
l'époque et même de ceux du XXe siècle, que l'on reproche toujours aux
chevrotines leur dispersion exagérée et leur propension aux ricochets. D'où
inventions diverses, dont beaucoup n'eurent qu'une vogue éphémère, pour éviter
ces inconvénients ; nous citerons, en particulier, le rattachement des
chevrotines les unes aux autres, au moyen de fils métalliques fins, comme l'un
des meilleurs procédés pour l'obtention de groupements très serrés. Ces
groupements sont-ils toujours avantageux ? C'est là une question
controversée : tout dépend des conditions dans lesquelles se fait le plus
habituellement le tir.
En ce qui concerne les ricochets, l'élévation des vitesses
initiales tend à les diminuer sans pouvoir les supprimer totalement, et ç’est
surtout la nature du terrain de chasse qu'il faut prendre en considération pour
décider si l'emploi des chevrotines offre ou non un danger sérieux.
Nous alitons maintenant, pour répondre à une question très
souvent posée par des chasseurs, examiner comment se comporte la charge de
chevrotines au point de vue de sa masse totale dans les différents calibres. Tenu
compte des nécessités géométriques de la répartition en lits réguliers, voici
ce que l'on obtient :
En calibre 12 :
La charge de = = = |
9 12 15 21 |
grains de = = = |
3gr,70 2gr,70 1gr,90 1gr,40 |
pèse environ = = = |
33gr,5 ; 32gr,5 ; 28gr,5 ; 29gr,5. |
Par rapport à la charge standard de 32 grammes de plomb
correspondant à 2gr,20 de poudre T, on voit tout de suite que la première
combinaison de neuf grains est un peu lourde et les deux dernières un peu
légères. La solution parfaite au point de vues théorique serait de régler la
charge de poudre en conséquence ; en pratique, la charge de neuf grains
donne un peu plus de pression et un peu moins de vitesse ; les charges de
quinze et vingt et un grains donnent un excès de vitesse.
Nous rappellerons toutefois que le général Journée à signalé
que l'emploi des chevrotines donne, par rapport au plomb de chasse ordinaire,
des pressions et vitesses moindres à égalité de charge de poudre. Il convient
ici de s'en souvenir en examinant les chiffres ci-dessus.
Passons maintenant au calibre 16 :
La charge de = = = |
9 12 20 28 |
grains de = = = |
2gr,85 2gr,05 1gr,50 1gr,10 |
pèse environ = = = |
25gr,5 ; 25gr ; 30gr ; 31gr. |
Les deux premières combinaisons sont donc des charges légères
(normale, 28 grammes) et les deux dernières des charges relativement lourdes. Nous
pouvons, théoriquement, faire les mêmes observations que dans le cas du calibre
12 ; nous noterons toutefois, en ce qui concerne le calibre 16, que les
charges les plus rapides, donc les plus dispersées, sont celles qui comportent
le moins de grains et inversement. Pour mieux équilibrer le chargement on peut d'ailleurs
employer les lits incomplets en comblant les vides par une matière pulvérulente
appropriée (sciure de bois huilée, fécule, poudre d'os), à l'exclusion de toute
coulée de paraffine ou de suif.
Il est un dernier point sur lequel nous devons attirer l'attention
des chasseurs : les forages rétrécis sont, en principe, destinés au tir
des plombs les plus usuels, du n° 2 au n° 10 par exemple ; ils donnent, comme
chacun sait, des gerbes d'autant mieux garnies que les plombs sont en plus
grand nombre, mais dont le cercle contenant 50 p. 100 des atteintes est
d'autant plus petit que les plombs sont plus gros. On pourrait donc s'attendre
à ce qu'un canon choke groupe mieux une charge d'une dizaine de chevrotines
qu'une charge d'une vingtaine ; en pratique, il n'en est rien, car le profil
du choke agit très différemment sur les projectiles à partir de certains
diamètres. C'est ici que certaines variations de chargement donneront parfois
de bons résultats dans la recherche de la dispersion minima d'une arme. On
tiendra compte que les chokes portent d'autant mieux les chevrotines qu'ils sont
moins serrés ; les forages cylindriques on en général un minimum de
dispersion, et un chasseur ayant à faire un fréquent emploi de chevrotines aurait
tout intérêt à posséder une arme cylindrique à droite et choke à gauche, en réservant
ce coté pour l'emploi d'une balle spéciale.
Les chasseurs consacreront utilement quelques-uns de leur
loisirs à essayer en cible les cartouches à chevrotines destinées aux gibiers
qu'ils tirent le plus souvent. Tenu compte des portées et poids des animaux, ils
reconnaîtront fréquemment qu'une ou deux combinaisons de chargement sont seules
avantageuses ; personnellement, nous avons toujours eu l'impression qu'en
matière de chevrotines, seuls les groupements serrés sont efficaces : en
petits diamètres par l'effet de dilacération d'ensemble des viscères ; en
gros diamètres parce qu'ils agissent presque comme une balle. En dernier
ressort, c'est encore ce dernier projectile qui aura toujours le dernier mot,
en particulier lorsque le gibier ne se présente pas de flanc. Nous trouverions
d'ailleurs la justification de ces considérations empiriques en analysant le pourcentage
de chances de capture, suivant que cette dernière survient à la suite d'une fracture
grave, d'une lésion de la moelle ou de l'atteinte d'un organe important. Nous
préférons nous en remettre à la pratique du tir, qui indique bien que la
chevrotine est un moyen d'arrêt très intéressant, mais qu'elle ne peut lutter avec
la puissance et la précision de la balle. Une arme à deux coups, chargée
uniquement avec des chevrotines, constitue une bonne solution, devant des gibiers
assez divers ; le procédé reste médiocre devant la grosse bête.
Nous terminerons en disant que la double balle de calibre ou
la combinaison balles et chevrotines mélangées sont de très mauvais procédés de
chargement, toujours employés à tort.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
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