Si l'on vous parle, en France ou ailleurs, des beautés de la
vallée de la Loire, neuf fois sur dix c'est à la partie centrale du fleuve que
l'on pense : Orléanais, Blésois, Touraine, notamment, avec la douceur de
leurs lignes, la tranquillité paisible et sereine de leurs paysages, où
s'échelonnent, telles les perles d'une chaîne somptueuse, ces splendides
châteaux, vestiges de ce qui fut la belle et douce France et que bien des
étrangers admirent et nous envient.
Il est, pourtant, d'autres régions où, sans revêtir la riche
splendeur du val de Loire, on peut rester frappé par le pittoresque de cette
partie du fleuve constituée par sa haute vallée, celle qui voit courir entre
ses rives souvent abruptes une eau claire et vive aux remous capricieux et aux
fougueuses cascades d'écume.
La Haute-Loire renferme, en effet, des coins qui sont de
pures merveilles de pittoresque et de sauvage grandeur et qui pourraient,
parfois, supporter sans crainte la comparaison avec ces paysages réputés que
les touristes vont souvent chercher bien loin à l'étranger.
Mais ce n'est pas à un voyage touristique que je vous
convie. Nous sommes ici entre chasseurs, et c'est de chasse que vous attendez
que l'on vous parle.
Or donc, si après avoir suivi, quittant Le Puy, la vallée
qui s'ouvre à travers les rochers abrupts et les pentes qu'escaladent les bois
de pins ou de sapins, vous dépassez de quelques kilomètres le confluent de la
Loire et du Lignon, vous arriverez à Gournier. Gournier est un endroit sauvage,
où le fleuve, déjà large, roule des eaux rapides sur des fonds de sable, des
amoncellements de rochers sombres qui émergent des remous bouillonnants, et
contourne à chaque instant quelque haute falaise. Tout en haut, de chaque côté,
s'étalent terres, prés et landes, avec, disséminés, fermes et villages.
C'est là, sur le plateau de Gournier, sur la rive droite,
que j'ai pu, pendant de longues années, parcourir les terres à la poursuite du
gibier et surtout des perdrix rouges. On les y trouve toujours, surtout le
matin et le soir, dans quelques carrés de genêts, dans les champs de choux et
de pommes de terre. Mais, n'en doutez pas, la première envolée les amène tout
de suite dans les pentes. Il faut alors les y poursuivre de remise en remise,
en un terrain difficile et dur, à pente souvent rapide, où la marche est
pénible, surtout par les chaudes journées de septembre, jusqu'à ce qu'enfin,
lassées, elles prennent le grand parti de franchir, d'un coup d'aile, la vallée
et d'aller atterrir en face, dans les bois de pins ou les grands fourrés de
bruyères et de genêts. Mais quelquefois, pourtant, on a la chance, avant de les
voir disparaître de l'autre côté, d'en culbuter quelqu'une dans la côte.
Souvent il faut aller la chercher bien bas, sur la voie ferrée qui longe le
fleuve, ou même au delà et le long de la rive. On remonte, bien sûr, moins vite
qu'on n'est descendu, car l'ascension est pénible, mais enfin la joie de
ramener le bel oiseau fait oublier le rude assaut qu'on doit mener contre les
éboulis, les rochers et les buissons avant de retrouver la crête.
En suivant toujours la bordure, le plateau s'élargit, tandis
que la hauteur des pentes diminue peu à peu pour finir brusquement au bord de
la plaine. Là, vous trouvez non seulement les rouges, mais aussi toujours
quelque compagnie de grises, quelque lièvre et, en primeur, beaucoup de
tourterelles dans les champs de pommes de terre ; parfois aussi des
ramiers, qui viennent du bois de sapins couvrant les pentes d'en face pour
glaner dans les chaumes les grains oubliés.
Les tourterelles se posent dans les chênes qui bordent les
haies et les chemins, dans d'épais cerisiers qui sont en bas, en bordure des
terres. Mais l'oiseau est farouche et se laisse difficilement approcher. Alors,
quand on a battu les rudes pentes à la poursuite d'une compagnie qui a mis la
rivière entre elle et vous, on se repose un peu à les attendre, posté entre
deux buissons ou au pied d'un arbre. Soit au posé, soit au passage,
quelques-unes paient toujours leur imprudence de passer ou de se brancher à
proximité du chasseur aux aguets. C'est là, ma foi, un joli gibier, dont le
rôti délicieux fait la joie de la maisonnée et qui n'est point à dédaigner.
Parfois, en battant les pommes de terre, un capucin jaillit
brusquement au milieu des fanes épaisses et, avec un peu de chance et
d'adresse, vous pouvez ajouter au tableau d'oiseaux gris ou de pattes rouges
une grande bête bourrue qui vous pèse bien un peu aux épaules, mais que, tout
de même, on est fier de ramener à la maison.
Il y avait aussi, autrefois, pas mal de lapins qui faisaient
leurs terriers dans les pentes, sous de gros rochers en surplomb aux abords
desquels ils laissaient leurs amas de crottes. Mais ils étaient fort difficiles
à lever et à tirer. Ils disparurent en grande partie il y a quelques années,
sans que l'on sût jamais pourquoi. Il est vrai que maître Renard affectionne
aussi ce coin aux réduits souvent inaccessibles et que ses rondes nocturnes ont
dû être pour quelque chose dans la disparition des jeannots.
Vous trouverez parfois, encore, sur le plateau, quelque
couple d'œdicnèmes, qu'on appelle là-bas courlis, qui vous feront souvent
courir pour rien, sauf si c'est quelque jeune qui, bêtement, restera aplati
entre deux cailloux ou au pied d'un genêt, son gros œil jaune grand ouvert, et,
comme je l'ai vu un jour, se laissera prendre par le chien.
Enfin, l'hiver, si rude en la région, amène toujours
quelques volées de canards qui viennent se remettre souvent en cet endroit
tranquille, où ils sont difficiles à poursuivre et où, la plupart du temps, si
vous en tombez un et n'avez pas de chien ne craignant pas les baignades glacées,
le courant vous l'emporte. Je me rappelle, un jour, en avoir tiré un qui tomba
sur l'autre rive, au milieu d’une gravière parsemée de petits pins. Je dus aller
passer le pont en aval, à cinq cents mètres de là, suivre la route qui longe un
affluent de la Loire, aller traverser celui-ci sur un pont de pierre et
remonter tout le long de la rive où était tombée ma bête : pas loin d'une
heure de marche, au bout de laquelle j’étais en nage malgré la température. Mais
je trouvai mon colvert déjà raidi, étendu dans les graviers, ce qui me paya de ma
peine. C'est le seul, d'ailleurs, que je tuai par là, car, la plupart du temps,
ils sont en des endroits inabordables : anfractuosités de rochers, abris
de falaises derrière lesquelles l'eau est calme, bords de petites plages sans
courant, où ils peuvent passer la journée en paix tout à leur aise et sans danger :
jusqu'à l'heure nocturne où le marais qui dort, là-bas, au fond de la plaine,
les attire et ou ils sont reçus par les rafales des chasseurs embusqués.
Gournier ... Encore un joli coin pour moi rempli de
souvenirs. J'ai là, comme partout ailleurs où j'ai traîné mes bottes et mon
fusil derrière mon chien, vécu de belles heures de plein air et de détente,
pendant lesquelles j'ai pu assouvir, sans jamais me lasser, ma folle passion de
chasseur.
FRIMAIRE.
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