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Où va la petite vénerie

Les chiens de petite vénerie sont exactement les mêmes que ceux dont se servent les tireurs de lièvres, chevreuils ou sangliers, les Bassets mi-ton exceptés. La masse des chasseurs à tir aurait donc bien tort de se désintéresser de l'avenir des races qui permettent à quelques veneurs d'équipages de pratiquer le courre du lièvre. C'est pourtant ce qui se passe ; aussi les effectifs de ces races tendent-ils singulièrement à diminuer. L'an dernier, ce fut en vain que je cherchai pour un étranger un ou deux couples de représentants d'une race pourtant notoire. Dans mon arrondissement, où existait en 1914 un effectif d'une centaine de Porcelaines avec cinq équipages d'importance, tout a depuis longtemps disparu. Ceci n'est pas une exception, mais figure assez bien ce qui s'est passé un peu partout. Quoi qu'en disent certains, les chiens de petite vénerie de races françaises sont très menacés. On trouve assez aisément des Beagles, voire des Anglo-Français de taille réduite et de formule mal définie. Les Bassets lents retrouvent une recrudescence de faveur. Ces faits démontrent le succès des chiens de petite taille auprès des porteurs de fusil, qui sont légion, au détriment d'oubliés dont les mérites pourtant ne peuvent être mis en doute.

Le mal vient de la raréfaction des équipages. Cela a singulièrement ralenti la production, puisqu'il n'existe pas d'éleveurs professionnels autres que de Bassets, outre ceux adonnés à la production du chien d'arrêt. La source se tarit donc lentement du fait d'une production insuffisante.

Les équipages grâce auxquels se maintenaient les races françaises sont disparus parce que tout s'est conjuré contre la petite vénerie, privée de la sympathie des fusilleurs de lièvres qui voyaient en elle une concurrente. La chasse à tir du lièvre, ouverte prématurément, a particulièrement contribué à sa raréfaction ; les fermetures précoces nécessitées par cette erreur et le nombre des fusillots ont rendu l'entretien d'un équipage d'une dizaine ou douzaine de chiens une duperie. Le courre du lièvre ne peut commencer qu'au 15 octobre environ, après les premières gelées. Si sa chasse, tant à courre qu'à tir, doit se terminer aux premiers jours de décembre, personne ne sera assez naïf pour conserver toute l'année six paires de chiens destinés à servir durant six semaines, à raison de trois sorties par semaine au grand maximum. Les personnes qui, autrefois, entretenaient un équipage de quelque importance en sont maintenant aux deux à quatre Bassets ou petits chiens quelconques, et voilà d'où vient tout le mal.

Remontera-t-on le courant ? Rien ne permet de le penser. Le nombre des porteurs de fusil ira plutôt en augmentant.

Quant à espérer une loi sur la chasse basée sur le respect des périodes de reproduction, ce serait folie. Il s'agit avant tout de respecter les usages, c'est-à-dire les abus installés depuis de longues années, au temps où il y avait peu de chasseurs, il est vrai, mais où la connaissance des mœurs du gibier était le cadet de tous les soucis. Une douce ignorance régnait qu'il n'est plus permis de supporter, si, encore une fois, le mal connu, on se souciait d'y porter remède. Les hases pleines jusqu'à fin de septembre et même un peu au delà, sont fusillées depuis août, alors que, dans les pays où la cynégétique est traitée sérieusement, aucun chasseur ne tire un lièvre avant la mi-octobre. Laissons, pour le moment, toute espérance.

Et, pendant ce temps, notre cheptel canin destiné à la chasse du lièvre disparaît. Le Briquet d'Artois n'est plus, et aussi l'Artésien normand. Ne pas croire à la grande prospérité du Briquet Griffon vendéen, menacé par la crise des effectifs et les effets de la consanguinité. Le Basset vendéen à jambes droites en connaît également les inconvénients. Trouver un Petit Bleu de Gascogne ou un Ariégeois est un problème.

Le mal vient de la faiblesse de la production, faute d'élevages importants, motif pour lequel aucune publicité n'a été faite. Le Porcelaine, jadis répandu par toutes nos provinces, a retraité vers son pays d'origine et s'est raréfié. La rareté de la demande pèse aussi sur le destin de nos chiens à lièvres, au point que je sais le sacrifice de portées par tel ou tel amateur, incapable de trouver acheteur et, d'autre part, ne pouvant augmenter son effectif du fait du prix de l'entretien et de la nourriture.

Ceux qui envisagent ces faits d'un cœur léger en disant qu'il restera toujours assez de petits chiens anglais pour fusiller tous les gibiers se trompent grandement. Sans doute, les mêmes se moquent éperdument d'un rapproché et d'une menée longtemps maintenue avant le coup de fusil. Ils ne se doutent pas qu'en terrain sec et caillouteux, que sous les pineraies sablonneuses il faudra toujours les chiens français les plus fins de nez, et que l'existence de ceux-ci conditionne l'amélioration et sans doute le maintien des variétés de petits Anglo-Français.

Je suis loin de mépriser les courants anglais propres à la chasse du lièvre. Le Beagle m'a toujours été cher, et c'est entre les mains de qui sait élever un chien efficace, même comme preneur. Il est heureux que son emploi pour la chasse à tir elle-même comporte un certain effectif, grâce à quoi la race est sans doute la plus représentée chez nous. Sa taille réduite, l'économie que représente son entretien comparé à celui d'un chien de 0m,50 à 0m,58, sa bonne santé, sa résistance, son caractère obéissant, l'homogénéité de la production sont autant de motifs de son succès. Quoiqu'il soit certainement le plus fin de nez et le plus chasseur de tous les chiens authentiquement anglais de petite vénerie, et en dépit de ma grande sympathie pour lui, je n'ose pas prétendre le voir concurrencer sérieusement les chiens méridionaux en leur milieu, sauf s'il ne s'agit que de tirailler et le plus vite possible ; mais, pour forcer ou maintenir une longue menée, les chances ne sont pas égales.

Ne pas se dissimuler que nous sommes à un tournant de la chasse au lièvre au chien courant. Autant je suis persuadé de la survivance de la grande vénerie, si réduits soient les équipages, autant on peut redouter la fin de celle dont le courre du lièvre était le seul objectif. L'opinion, qui ne raisonne pas, est contre elle. La chasse, devenue de plus en plus cuisinière, ne conçoit pas ce quadrupède autrement qu'en civet ou en pâté. A ce régime, il s'est singulièrement raréfié, d'autant, encore une fois, que les règles cynégétiques auxquelles il est soumis sont indéfendables. Il y a enfin cette épidémie importée de l'étranger, sévissant en de nombreux départements, la tularémie, prise au tragique par certains et pour une plaisanterie par d'autres. Au vu des renseignements, on peut penser que l'affaire est au moins sérieuse et qu'en rire est faire preuve d'optimisme aveugle. Nous n'avions pas besoin de ce surcroît de soucis.

La raréfaction du lièvre est telle qu'en de nombreux départements où le lapin était classé nuisible le voici l'objet de tous les soins. On interdit le furet, on garnit de lapins les bois qui en sont peu ou pas pourvus. C'est le substrat du plus grand nombre des chasses communales. Tout se passe comme si l'on avait un peu partout le sentiment que le lièvre deviendra aussi mythique que le célèbre lièvre du Faron. En conséquence, popularité et recherche du chien de petite taille n'excédant pas 0m,40 et abandon de celui de 0m,50 à 0m,55, qui est le véritable chien à lièvre. A observer enfin l'absence de toute mesure préservatrice de l'espèce : devant la multiplication des porteurs de fusil et une épidémie dont on mesure mal la malfaisance et la durée, on peut éprouver toutes les craintes pour l'avenir. Devenu gibier rare en de nombreux départements, à peu près introuvable en d'autres, il est sur la voie où tant d'autres espèces se sont évanouies.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°651 Mai 1951 Page 272