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Canoé à voile

Après avoir beaucoup parlé du canoé utilisé à la pagaie pour la descente des rivières, nous allons vous le présenter maintenant sous un nouvel aspect, propulsé à la voile. Il ne s'agit pas d'un nouveau type de voilier léger, mais de votre canoé habituel, muni d'un gréement convenable.

Pour bien nous situer et exposer le problème sous toutes ses formes, retraçons d'abord l'historique du canoé à voile. Nous savons qu'à l'origine le canoé était utilisé par les peuplades du Nord de l'Amérique sur les rivières et les lacs de cette région. Si la force propulsive du vent était utilisée pour la traversée des grands lacs, c'était seulement avec des moyens rudimentaires : une branche feuillue plantée à l'avant du bateau ou une pièce d'étoffe tendue entre deux pagaies, par exemple.

Il ne semble pas que l'homme blanc, dès le début, ait cherché à perfectionner ce mode de propulsion, et il faut arriver à la fin du siècle dernier, vers 1880, pour trouver trace aux États-Unis d'une embarcation légère, gréée à la voile, portant le nom de canoé. Il ne s'agit pas du canoé indien, mais d'une coque plus longue, plus effilée, ne présentant pas la courbure caractéristique des étraves du canoé et entièrement pontée. Elle est pourvue d'une très forte voilure (à l'origine deux grandes voiles) et d'un puits de dérive. Ce modèle, perfectionné jusqu'à nos jours, est actuellement l'un des engins à voile les plus rapides. Le barreur est souvent juché à l'extrémité d'une planche coulissant d'un bord à l'autre du bateau, et c'est la pure expression d'un yachting acrobatique. Ce type de bateau, désigné sous le nom de «canoé international », n'est guère utilisé qu'aux États-Unis et en Australie, très peu en Angleterre. Le prix de sa construction dans ses pays correspondrait à plusieurs centaines de milliers de nos modestes francs ... le prix d'un petit voilier habitable. Il ne doit donc pas être confondu avec notre canoé canadien, qui reste le moins onéreux des voiliers tant par le prix d'achat que par la modicité des frais d'entretien, garage et transport.

Les possibilités d'utilisation du canoé canadien à la voile ont été également retenues par les Américains. Influencés par les gréements que portait le type international à ses débuts, ils gréèrent le canoé canadien avec des voiles latines, les plus petits pourvus d'une seule voile, les plus longs de deux, de grande surface. La première série, à une seule voile, a toujours subsisté, et son influence s'est longtemps fait sentir en France, comme nous le montrerons par la suite. Les plus grands canoés suivirent aux États-Unis l'évolution générale du yachting et modernisèrent leurs gréements, substituant deux voiles Marconi aux voiles latines, puis une seule voile et un foc, dont le rendement s'est révélé supérieur, surtout pour bien remonter au vent.

Notons qu'aux États-Unis le canoé international seul est pourvu d'un puits de dérive, les canadiens naviguant toujours avec des dérives latérales.

En France, dès l'importation des premiers canoés, il y a une cinquantaine d'années, des voiles latines nous furent expédiées du Canada avec des dérives latérales. Petites voiles de 2 à 3 mètres carrés, hissées sur un petit mât très court généralement planté dans le pontage avant du canoé, ces voiles n’avaient guère d'utilité qu'au vent arrière, et d'astucieux chercheurs s'attachèrent à améliorer leur rendement. Le mât fut reculé jusqu'au premier barrot, sa hauteur sérieusement augmentée et la surface de la voile portée jusqu'à 5 à 7 mètres carrés. Les résultats furent meilleurs ; il devenait possible de remonter un peu contre le vent, mais vouloir s'aligner en régate contre le plus modeste voilier eût été prétentieux.

Habitués aux descentes de rivières et plus attirés par la croisière que par la régate, les canoéistes cherchèrent surtout des gréements faciles à manœuvrer leur permettant de naviguer en mer, le long des côtes, en profitant du vent aux allures portantes, en pagayant dans les conditions contraires. La voile au tiers, si répandue le long des côtes normandes et bretonnes, fut adoptée avec succès. En effet, il suffit d'une drisse pour hisser cette voile et d'une écoute pour la manœuvrer. Le mât, pas trop long, planté derrière le premier barrot, peut être facilement mis en place ou enlevé par l'équipier avant et couché au milieu du bateau sans gêner la manœuvre à la pagaie.

Cette voilure est d'un rendement supérieur à celui de la meilleure voile latine. Quelquefois un petit foc vient augmenter la surface, et il est rare qu'en croisière les dérives soient utilisées. On ne peut, en effet, prétendre remonter assez bien au vent avec une telle voile pour aller plus vite qu'à la pagaie, et, si le parcours a été bien choisi en fonction des vents dominants, on profite le plus souvent des allures portantes (du vent de côté au vent arrière).

Au cours des dernières années qui précédèrent la guerre, des croisières côtières étaient déjà effectuées en Bretagne, en Provence et en Corse. Hors de France, des membres du Canoé-Club de France exploraient les côtes d'Algérie, les Baléares, la Dalmatie et les îles de la Grèce. Voilà ce que peut permettre un modeste canoé à voile conduit par un équipage prudent et expérimenté. Bien des propriétaires de voiliers beaucoup plus importants n'ont pas à leur actif de telles références.

Mais la voile au tiers n'est qu'une voilure auxiliaire, et nous vous présenterons prochainement les gréements modernes qui transforment le canoé en un pur voilier.

G. NOEL.

Le Chasseur Français N°651 Mai 1951 Page 285