I. Considérations préliminaires.
— Pour bien comprendre les dispositions légales relatives
aux locations de jardins, il est indispensable de rappeler que la loi du 7 mai
1946 régissant la matière distingue dans son article 1er quatre
catégories de jardins, suivant leur provenance :
a. Jardins ouvriers : parcelles de terre qu'une
initiative désintéressée met à la disposition du père de famille, comme tel, en
dehors de toute autre considération, afin qu'il les cultive et qu'ils en
jouisse pour les seuls besoins de son foyer.
b. Jardins industriels ou jardins ruraux :
parcelles de terre concédées par les entreprises industrielles ou agricoles aux
membres de leur personnel, à titre individuel.
c. Jardins familiaux : parcelles de terre que
leurs exploitants se procurent par leur propre initiative et cultivent
personnellement en vue de subvenir aux besoins de leur foyer, à l'exclusion de
tout usage commercial.
Certes cette division quadripartie n'est pas unanimement
admise, car elle comporte une part d'arbitraire.
Nous allons voir d'ailleurs, en étudiant le régime des
locations, que la situation faite aux jardins n'est pas toujours la même
suivant leur qualification.
II. Quels sont les droits respectifs des locataires et propriétaires
de jardins ouvriers, familiaux, industriels et ruraux ?
— Les conflits entre propriétaires et locataires de jardins
sont pour ainsi dire aussi nombreux que ceux qui s'élèvent entre propriétaires
et locataires d'immeubles à usage d'habitation. C'est pourquoi nous avons pensé
être utiles à nos lecteurs en leur donnant un aperçu général des droits et obligations
des locataires et propriétaires de jardins.
Il ne s'agit évidemment, dans ce qui suit, que des jardins
non attenants aux habitations, ou en tout cas qui n'ont pas été donnés en
location en même temps que la maison, car, dans ce cas, le jardin loué
accessoirement suit évidemment le sort de la location principale : celle
de l'immeuble.
Les loyers de ces jardins loués avec la maison sont fixés
par décret du 15 juin 1949 suivant un barème repris par ce texte.
Nous ne parlerons donc que des jardins loués indépendamment
des immeubles à usage d'habitation.
C'est la loi du 7 mai 1946 qui, actuellement, régit la
question. Elle a été modifiée par la loi du 2 août 1949 portant prorogation et
modification de la loi du 21 mars 1948, portant elle-même prorogation et
modification des articles 11 et 21 de la loi du 7 mai 1946.
Une loi du 19 août 1950 est venue enfin proroger à nouveau
les dispositions antérieures.
C'est cette loi du 19 août 1950 qui permet aux locataires
actuels de jardins familiaux, industriels et ruraux de rester en jouissance des
lieux loués jusqu'au 1er novembre 1951.
III. Sous quelle forme et dans quel délai le congé doit-il
être donné ?
— On sait que, pour mettre un terme à une location
existante, il est indispensable que le propriétaire donne congé à son
locataire, c'est-à-dire qu'il lui fasse connaître son intention de le voir
quitter les lieux à une date déterminée.
La loi a prévu des conditions de forme et de délai que le
propriétaire (ou le locataire) doit respecter sous peine de nullité du congé.
C'est l'article 5 de la loi du 7 mai 1946 qui précise ces
forme et délai.
ART. 5. — Nonobstant toute clause et tous usages
contraires, toute location de jardins ouvriers, industriels, ruraux ou
familiaux ne cesse, à l'expiration du terme fixé par la convention écrite ou
verbale, que par l'effet d'un congé donné par écrit par l'une des parties à
l'autre avant le 1er mai de chaque année pour une date obligatoirement
comprise entre le 1er et le 13 novembre suivant.
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A défaut d'un congé donné dans les délais ci-dessus
spécifiés, il s'opère un nouveau bail dont les conditions sont celles du bail
expiré et dont la durée est égale à un an.
Il est question d'un congé par écrit. L'article 6 précise à
ce sujet que le congé sera valablement notifié par lettre recommandée avec avis
de réception.
Le motif du congé doit être indiqué sous peine de nullité.
L'article 6 stipule que le bailleur devra, à peine de
nullité, faire connaître le ou les motifs (du congé), en indiquant de façon non
équivoque la destination qu'il entend dans l'avenir donner au terrain.
A noter que l'indication de motif du congé n'est exigée que
du propriétaire.
IV. Le propriétaire a-t-il le droit de reprendre son jardin
sous prétexte qu'il trouve que le loyer qui lui est versé est insuffisant ?
— Le bailleur ne peut évidemment se faire justice à lui-même ;
il doit nécessairement observer les règles ci-dessus rappelées à propos du
congé et, dans ce congé, il doit indiquer à son locataire le prix qu'il exige.
Deux cas peuvent alors se produire :
a. Le locataire accepte le relèvement de prix qui lui est
proposé et la location continue sur les nouvelles bases.
b. Le locataire estime que les prétentions du propriétaire
sont exagérées ; dans ce cas il lui appartient de saisir le juge de paix
(ce que peut d'ailleurs faire également le propriétaire).
Le juge de paix, après s'être entouré de tous renseignements
qu'il estimera utiles, fixera le prix du loyer par analogie avec les prix
payés pour les terrains similaires dans la localité.
Trop nombreux sont les « conseilleurs » qui
essaient de fixer le prix des loyers de jardins en prenant pour base les prix
fixés par le décret du 15 juin 1949, mais qui ne sont cependant pas applicables
en la matière, puisqu'ils ne se rapportent qu'aux seuls jardins attenants aux
habitations et loués avec ces dernières.
En d'autres termes, il n'y a pas de barème pour les
locations de jardins ouvriers, industriels, familiaux et ruraux. Ces prix
varient d'une région à l'autre, et lorsqu'un différend existe, c'est le juge de
paix, après enquête sur la valeur locative des terrains, sur place, qui fixe
lui-même le prix de la location.
Ainsi donc et pour répondre à une question souvent posée, le
propriétaire de jardins n'a pas le droit de donner congé à son locataire dans
le but de louer son terrain à une tierce personne et à un prix supérieur ;
la procédure fixée ci-dessus doit forcément être suivie.
Dans le cas où le congé n'est pas motivé par un différend
sur le prix, le bailleur ne pourra consentir une nouvelle location à un prix
supérieur au prix payé par le locataire congédié (art. 6, dernier alinéa).
V. Des indemnités peuvent être réclamées par un locataire de
jardin évincé.
— Si, sous certaines conditions, le bailleur (en principe le
propriétaire) peut donner congé à son locataire, il n'en est pas moins vrai
qu'il ne le fait que sous réserve de réparer le dommage qu'il peut ainsi causer
audit locataire en l'obligeant à quitter un terrain auquel son travail et ses
initiatives ont pu donner une valeur plus grande.
L'article 7 de la loi du 7 mai 1946 dispose à ce propos qu'à
l'expiration du bail une indemnité pourra être due au locataire en raison de la
plus-value apportée au fonds. L'indemnité peut être fixée d'un commun accord
entre les parties.
Dans le cas où cet accord ne peut intervenir, c'est encore
au juge de paix qu'il appartient de fixer l'indemnité.
La loi précise que cette dernière devra tenir compte de
l'ancienneté de la mise en culture, des frais de premier établissement et,
formule qui ne compromet personne, « de tous éléments utiles ».
II faut entendre par là tout au moins les débours exposés
par le locataire pour amender ou fumer le terrain. On conçoit en effet qu'une
fumure n'est pas épuisée en une seule année et qu'elle continue ensuite de
profiter au terrain, dont la valeur culturale est par conséquent accrue.
Les constructions établies par certains locataires dans les
jardins, les plantations d'arbres et d'arbustes, les clôtures, etc., posent des
problèmes délicats qui méritent de faire l'objet d'une étude particulière qui
ne peut trouver place ici.
VI. Des dommages-intérêts sont dus aux locataires évincés
auprès de qui le propriétaire a invoqué des motifs qui s'avèrent faux.
— Il arrive qu'un bailleur, pour se débarrasser d'un
locataire (qui, pour une raison ou pour une autre, a cessé de lui plaire),
invoque, pour lui donner congé, des motifs pertinents et parfaitement
légitimes, par exemple la nécessité où il se trouve de reprendre le terrain
pour le cultiver lui-même ou pour y faire construire un immeuble. Mais on
s'aperçoit par la suite que le terrain, libre de locataire, est à nouveau loué,
le cas échéant à un prix supérieur, à un autre locataire qui n'a, par surcroît,
aucun lien de parenté avec le bailleur.
Il y a eu de la part de ce dernier une véritable manœuvre,
en tout cas un recours à des procédés d'une honnêteté fort contestable.
La législateur n'a pas voulu permettre de tels abus, et
c'est pourquoi il prévoit d'une manière formelle, dans l'article 8 de la loi du
7 mai 1946, que si, dans le délai de six mois après l'expiration de la
location, le motif du congé formulé par le bailleur se révèle inexact, celui-ci
pourra, à la requête du locataire sortant, être condamné à des dommages-intérêts.
VII. Prorogation des locations de jardins.
— Il est inutile de rappeler ici les différentes lois qui
ont prorogé d'année en année le maintien dans les lieux loués des locataires de
jardins. Il est cependant essentiel que nous soulignions la dernière de ces
prorogations. Elle résulte de la loi du 19 août 1950 qui permet aux locataires
de rester en jouissance des terrains par eux loués jusqu'au 1er novembre
1951.
Quels que soient donc les congés qui aient pu leur être
donnés, les locataires de jardins pourront de plein droit continuer de se
considérer comme locataires jusqu'à la date ci-dessus.
A. DUPONT,
Docteur en Droit.
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