Du dimanche des Rameaux à celui de Quasimodo, à travers nos
provinces, autrefois comme aujourd'hui, petits et grands ont toujours aimé
célébrer ces dates importantes de la liturgie catholique par des fêtes et des
coutumes originales et pittoresques.
Voici quel était, au pays messin, au cours du siècle
dernier, le scénario de la semaine sainte. Le jour des Rameaux, les petits
garçons apportaient à l'église une belle branche de sapin ornée de jolis rubans
de couleurs. Quand l'office commençait, tous ces bambins quittaient leurs
places et allaient se poster dans l'avant-chœur, élevant bien haut leurs
feuillages qui masquaient le prêtre et l'autel. Au moment de la bénédiction et
de l'encensement, chacun tenait à brandir sa palme le plus haut possible afin
d'avoir « plus de bénédiction ». Sitôt, après la messe, le chef de
famille cassait une branchette du rameau vert et la plantait, au cimetière, en
tête de la « fosse » de la famille ; le reste était porté à la
maison et distribué dans chaque pièce. L'après-midi, après vêpres, les
cultivateurs allaient en ficher aussi de petits brins dans leurs champs.
Le Jeudi saint, en organisait la ronde des trêtrelles
(crécelles) ; les cloches étant parties pour Rome, les gosses se
chargeaient, à l'aide d'une bruyante manivelle de bois, de sonner l'heure des
offices. Ils annonçaient, ce soir-là, les « coups » des ténèbres ;
de leur accent lorrain ils psalmodiaient, le long des rues du village : « au
premier cô » et terminaient en disant : « au dârien cô ! »
et ainsi jusqu'au Samedi saint.
Les oeufs pondus le Vendredi saint étaient l'objet de
croyances diverses. Si on les mettait à couver, disait-on, ils donnaient
naissance à des poulets dont le plumage changeait deux fois dans l’année ;
leur coquilles déposées dans les champs les préservaient, tout comme des
talismans.
Les bonnes femmes s'empressaient le jour du Samedi saint à
la bénédiction de l’eau, dont emportaient chez elles des litres et des cruches
pour servir à des usages qui n'étaient pas toujours très liturgiques ! Les
gros grains d'encens du cierge pascal étaient réputés protéger de la foudre.
Les galopins quêtaient les œufs, les beaux œufs rouges,
jaunes, bleus, verts, mordorés, qui, durant la Révolution, furent, dit-on,
interdits à Metz par une municipalité ennemie des traditions. Les sonneurs de trétrelles,
un grand panier au bras, faisaient le tour des maisons afin d'être récompensés
de leur travail ; on leur donnait des œufs — ni cuits, ni colorés — et
parfois une piécette. Le bedeau de la paroisse venait ensuite, porteur d'un
vase d'eau bénite et d'un goupillon, ainsi que d'un récipient destiné à
recevoir les petits cadeaux : quelques oeufs et de la monnaie.
Enfin arrivait le grand jour de Pâques. On endossait ses
plus beaux habits ou on étrennait ses vêtements neufs commandés au tailleur du
village. Au déjeuner on savourait, après les rigueurs du carême, le jambon de
Pâques.
Le dimanche des Rameaux revêt aux yeux des paysans une
certaine importance : on repère la direction du vent qui souffle durant la
messe. En plusieurs provinces, les cultivateurs vont planter des fragments de
buis bénit aux quatre coins de leurs champs ; cet usage avait lieu à Sennely,
en Sologne, vers 1700. Autrefois, à Champ-le-Duc (Vosges), de jeunes pousses de
saule garnies de leurs chatons étaient plantées sur les tombes des défunts ;
à Jouy, près de Chartres, le même usage existe, mais on emploie le buis. En ce
jour de Pâques fleuries — c'est-à-dire des Rameaux, — les enfants de Marseille,
avant la Révolution, portaient, à travers les rues une grosse branche d'olivier
qu'escortaient les enfants trouvés de l'hôpital, qui criaient de toutes leurs
forces : « Lou rampaou de l'Espitaou ! » Les femmes, sur
leur passage, attachaient au branchage des gâteaux et des fruits ; les pauvres
petits présentaient aussi une tirelire. Certains se scandalisèrent et cette
coutume fut abolie. En 1804, on suspendait aux arbustes des mioches des
douceurs et même des confitures, qui devaient être sèches, espérons-le, du
moins pour les habits neufs des porteurs. Cette confiserie était bénite par le
prêtre et servait aux collations de la semaine sainte. Nous retrouvons dans
d'autres départements cet usage curieux. Vers 1860, en Poitou, les gosses
arboraient fièrement une branche verte ornée d'oranges ou de pommes et de
pâtisseries triangulaires nommées cornuelles ; mais, déjà à cette époque,
la coutume était en voie de disparition ; à Chef-Boutonne, à
Saint-Jean-d'Angély, le gâteau avait la forme d'une pomme de pin. Vers la fin
du siècle dernier, à Eymoutiers, dans la Creuse, les bambins avaient droit à
une cornue, friandise à trois cornes. Les hommes, eux, portaient à
l'église un faisceau de baguettes de coudrier atteignant souvent près de 2
mètres de hauteur ; ces gaules étaient ensuite plantées dans la terre.
Le Jeudi saint, on commence à se préparer à « casser la
tête au carême » : c'est ainsi qu'à Béthune, vers 1900, les bouchers
et les charcutiers de la ville rivalisaient d'ingéniosité pour parer leurs
viandes de fleurs en panier et de feuillages. Tout le menu peuple des faubourgs
affluait ce soir-là et défilait devant les boutiques, critiquant ou approuvant
les étalages.
Ce même jour, la gastronomie était encore à l'honneur. En
1571, a Laon, le chapitre célébrait la Cène en buvant du vin et en croquant des
dragées ; la même coutume avait lieu encore en 1695 à Sens : cette
année-là, elle donna lieu à un procès, car un jeune chanoine du nom de F. Alexandre
fit don à une jeune servante, nommée Nanon, des friandises qu'il avait reçues à
la cathédrale, l'affaire fit une certain bruit.
Le Vendredi saint était un jour de grand deuil. En 1869, à Fraisses,
en Vivarais, les femmes se rendaient à l'église revêtues de leurs vêtements funèbres ;
en Anjou, à trois heures de l'après-midi, vers 1910, les meuniers arrêtaient
leurs moulins à vent et disposaient les ailes en croix. En l9l3, à Dunkerque et
à Saint-Nazaire, les navires mettaient leurs drapeaux en berne.
Bien entendu, les paysans croyaient que cette date avait une
influence sur les gestes quotidiens de leur existence. C'est ainsi qu'en Anjou
il était d'usage de sortir les effets, la literie et de les exposer au soleil et
au vent, enfin de nettoyer la maison à fond. On pensait ainsi se préserver des
puces durant toute l'année ! De nos jours, les produits insecticides
vantés par la quatrième page des journaux locaux semblent avoir la préférence
des populations rurales ; le folkloriste peut évidemment le regretter !
Certaines églises ont conservé longtemps un usage assez
curieux qui se pratiquait au cours de la semaine sainte, dite aussi semaine peneuse.
C'est ainsi qu'à Langres — et dans d'autres villes — on enterrait l'alléluia.
On écrivait en lettres d'or, sur une toupie, le mot « alléluia ». Les
enfants de choeur venaient, en procession et avec la croix, à l'endroit où ce
jouet avait été placé, et là ils le faisaient pirouetter à coups de fouet, en
chantant des psaumes et des cantiques. Puis ils poussaient le « sabot »
au dehors de l'église en lui souhaitant bon voyage jusqu'à Pâques. A Bordeaux,
au début du siècle dernier, le Samedi saint, on disait aux personnes que l'on
rencontrait dans la rue que l'alléluia avait été mis dehors ; celles qui
se laissaient prendre à cette innocente farce devaient payer un bon déjeuner !
Les cloches jouent à cette époque un grand rôle. On raconte
aux enfants qu'elles sont parties voir le Saint-Père. E. Renan avait conservé
un souvenir ému de cette vision de jeunesse. Voici ce qu'il conte dans ses
souvenirs : « Le Jeudi saint, on y conduisait les enfants (à Saint-Michel-de-Tréguier)
pour voir les cloches aller à Rome. On nous bandait les yeux, et alors il était
beau de voir toutes les pièces du carillon, par ordre de grandeur, de la plus
grosse à la plus petite, revêtues de la belle robe de dentelle brodée qu'elles
portaient le jour de leur baptême, traverser l'air pour aller, en bourdonnant
gravement, se faire bénir par le pape. » Dans la région de Fours, en
Nivernais, on croyait qu'il fallait semer les citrouilles, le Samedi saint,
pendant la messe, afin qu'elles deviennent aussi grosses que les cloches qui
étaient de retour !
Afin de remplacer les carillons muets, les enfants de chœur
s'arment de petits instruments en bois qu'ils manient avec vigueur. Parfois,
c'était du haut du clocher que les marguilliers annonçaient à l'aide d'une « créselle »
l'heure des offices ; il en était ainsi à Givry, en Saône-et-Loire, en
1785 ; dans certains pays on utilisait de grosses conques.
Mais la grande date de Pâques approche et les enfants de
choeur s'agitent. Munis de paniers à anse comme on en voit encore dans les
marchés de petites villes, ils vont quêter, de ferme en ferme, leurs « pâquerets »,
récompenses de leurs menus services. Arrivés devant la porte, ils s'arrêtent et
leurs voix fraîches entonnent la chanson rituelle sur l'air de l'O Filii.
Dans les Flandres, en 1890, les « quêteurs d'œufs », leurs tape-maillets
à la main, chantaient :
O fils des fils, soyez joyeux,
Donnez des œufs à chès rouleux,
Dieu vous en récompensera,
Alléluia ! (Ter.)
En Normandie, vers 1850, le couplet de quête était le
suivant, du moins en quelques endroits :
Donnez quéqu'chose à ces chanteurs
En l'honneur de Notre-Seigneur,
Un jour viendra Dieu vous l'rendra.
Alléluia !
Le temps de jeûne et de restrictions étant terminé, nos
ancêtres fêtaient Pâques avec joie. On savourait en famille la joie de manger
enfin des oeufs du poulailler — ceux de Hollande étant alors inconnus des
populations françaises, — du jambon, de tradition ce jour-là, et l'agneau de
Pâques. Celui-ci était dégusté un peu partout, par exemple à Craon, dans la
Mayenne, en 1869 ; à Albi au XVIe siècle, les magistrats municipaux en
offraient aux malades « à la vesprée de Pâques ».
Le dimanche de Quasimodo, en certains endroits de la Bretagne,
les jeunes gens se livraient à un jeu curieux, décrit ainsi pour le Morbihan,
en 1825 : « Après les vêpres, les jeunes gens de deux sexes de chaque
quartier rassemblaient le plus qu’ils peuvent de vieux pots qui sont hors
d'état de servir ; puis, se rangeant en cercle à une certaine distance les
uns des autres, ils se jettent un pot de main en main et le font circuler aussi
longtemps qu’il se peut. Mais le moment vient où quelqu'un le brise en le laissant
échapper, et il faut voir alors par quels éclats de rire il est puni de sa
maladresse. Le second succède au premier, et le jeu dure tant qu'il y a des
vases disponibles ». Un auteur pense que cette coutume est en rapport avec
l’idée que l'on dépouillait le vieil homme à Pâques ; nous lui laisserons
bien volontiers la responsabilité de cette opinion.
De nos jours encore, dans maints petits villages, on peut
voir les « clergeons » aller quérir leurs œufs ; parfois des gens
de métier les suivent, tendant la main. Les confiseurs exposent durant la
semaine sainte les beaux chocolats de forme ovoïde et dont les prix feraient
rentrer nos aïeux dans la tombe. On étrenne encore des habits neufs le jour de
Pâques — ou du moins des habits rafraîchis par le teinturier — et on essaye de
varier un peu le menu pour fêter dignement le retour des cloches et la venue
prochaine du printemps.
Roger VAULTIER.
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