Accueil  > Années 1951  > N°651 Mai 1951  > Page 317 Tous droits réservés

Les rameaux et pâques

Du dimanche des Rameaux à celui de Quasimodo, à travers nos provinces, autrefois comme aujourd'hui, petits et grands ont toujours aimé célébrer ces dates importantes de la liturgie catholique par des fêtes et des coutumes originales et pittoresques.

Voici quel était, au pays messin, au cours du siècle dernier, le scénario de la semaine sainte. Le jour des Rameaux, les petits garçons apportaient à l'église une belle branche de sapin ornée de jolis rubans de couleurs. Quand l'office commençait, tous ces bambins quittaient leurs places et allaient se poster dans l'avant-chœur, élevant bien haut leurs feuillages qui masquaient le prêtre et l'autel. Au moment de la bénédiction et de l'encensement, chacun tenait à brandir sa palme le plus haut possible afin d'avoir « plus de bénédiction ». Sitôt, après la messe, le chef de famille cassait une branchette du rameau vert et la plantait, au cimetière, en tête de la « fosse » de la famille ; le reste était porté à la maison et distribué dans chaque pièce. L'après-midi, après vêpres, les cultivateurs allaient en ficher aussi de petits brins dans leurs champs.

Le Jeudi saint, en organisait la ronde des trêtrelles (crécelles) ; les cloches étant parties pour Rome, les gosses se chargeaient, à l'aide d'une bruyante manivelle de bois, de sonner l'heure des offices. Ils annonçaient, ce soir-là, les « coups » des ténèbres ; de leur accent lorrain ils psalmodiaient, le long des rues du village : « au premier cô » et terminaient en disant : « au dârien cô ! » et ainsi jusqu'au Samedi saint.

Les oeufs pondus le Vendredi saint étaient l'objet de croyances diverses. Si on les mettait à couver, disait-on, ils donnaient naissance à des poulets dont le plumage changeait deux fois dans l’année ; leur coquilles déposées dans les champs les préservaient, tout comme des talismans.

Les bonnes femmes s'empressaient le jour du Samedi saint à la bénédiction de l’eau, dont emportaient chez elles des litres et des cruches pour servir à des usages qui n'étaient pas toujours très liturgiques ! Les gros grains d'encens du cierge pascal étaient réputés protéger de la foudre.

Les galopins quêtaient les œufs, les beaux œufs rouges, jaunes, bleus, verts, mordorés, qui, durant la Révolution, furent, dit-on, interdits à Metz par une municipalité ennemie des traditions. Les sonneurs de trétrelles, un grand panier au bras, faisaient le tour des maisons afin d'être récompensés de leur travail ; on leur donnait des œufs — ni cuits, ni colorés — et parfois une piécette. Le bedeau de la paroisse venait ensuite, porteur d'un vase d'eau bénite et d'un goupillon, ainsi que d'un récipient destiné à recevoir les petits cadeaux : quelques oeufs et de la monnaie.

Enfin arrivait le grand jour de Pâques. On endossait ses plus beaux habits ou on étrennait ses vêtements neufs commandés au tailleur du village. Au déjeuner on savourait, après les rigueurs du carême, le jambon de Pâques.

Le dimanche des Rameaux revêt aux yeux des paysans une certaine importance : on repère la direction du vent qui souffle durant la messe. En plusieurs provinces, les cultivateurs vont planter des fragments de buis bénit aux quatre coins de leurs champs ; cet usage avait lieu à Sennely, en Sologne, vers 1700. Autrefois, à Champ-le-Duc (Vosges), de jeunes pousses de saule garnies de leurs chatons étaient plantées sur les tombes des défunts ; à Jouy, près de Chartres, le même usage existe, mais on emploie le buis. En ce jour de Pâques fleuries — c'est-à-dire des Rameaux, — les enfants de Marseille, avant la Révolution, portaient, à travers les rues une grosse branche d'olivier qu'escortaient les enfants trouvés de l'hôpital, qui criaient de toutes leurs forces : « Lou rampaou de l'Espitaou ! » Les femmes, sur leur passage, attachaient au branchage des gâteaux et des fruits ; les pauvres petits présentaient aussi une tirelire. Certains se scandalisèrent et cette coutume fut abolie. En 1804, on suspendait aux arbustes des mioches des douceurs et même des confitures, qui devaient être sèches, espérons-le, du moins pour les habits neufs des porteurs. Cette confiserie était bénite par le prêtre et servait aux collations de la semaine sainte. Nous retrouvons dans d'autres départements cet usage curieux. Vers 1860, en Poitou, les gosses arboraient fièrement une branche verte ornée d'oranges ou de pommes et de pâtisseries triangulaires nommées cornuelles ; mais, déjà à cette époque, la coutume était en voie de disparition ; à Chef-Boutonne, à Saint-Jean-d'Angély, le gâteau avait la forme d'une pomme de pin. Vers la fin du siècle dernier, à Eymoutiers, dans la Creuse, les bambins avaient droit à une cornue, friandise à trois cornes. Les hommes, eux, portaient à l'église un faisceau de baguettes de coudrier atteignant souvent près de 2 mètres de hauteur ; ces gaules étaient ensuite plantées dans la terre.

Le Jeudi saint, on commence à se préparer à « casser la tête au carême » : c'est ainsi qu'à Béthune, vers 1900, les bouchers et les charcutiers de la ville rivalisaient d'ingéniosité pour parer leurs viandes de fleurs en panier et de feuillages. Tout le menu peuple des faubourgs affluait ce soir-là et défilait devant les boutiques, critiquant ou approuvant les étalages.

Ce même jour, la gastronomie était encore à l'honneur. En 1571, a Laon, le chapitre célébrait la Cène en buvant du vin et en croquant des dragées ; la même coutume avait lieu encore en 1695 à Sens : cette année-là, elle donna lieu à un procès, car un jeune chanoine du nom de F. Alexandre fit don à une jeune servante, nommée Nanon, des friandises qu'il avait reçues à la cathédrale, l'affaire fit une certain bruit.

Le Vendredi saint était un jour de grand deuil. En 1869, à Fraisses, en Vivarais, les femmes se rendaient à l'église revêtues de leurs vêtements funèbres ; en Anjou, à trois heures de l'après-midi, vers 1910, les meuniers arrêtaient leurs moulins à vent et disposaient les ailes en croix. En l9l3, à Dunkerque et à Saint-Nazaire, les navires mettaient leurs drapeaux en berne.

Bien entendu, les paysans croyaient que cette date avait une influence sur les gestes quotidiens de leur existence. C'est ainsi qu'en Anjou il était d'usage de sortir les effets, la literie et de les exposer au soleil et au vent, enfin de nettoyer la maison à fond. On pensait ainsi se préserver des puces durant toute l'année ! De nos jours, les produits insecticides vantés par la quatrième page des journaux locaux semblent avoir la préférence des populations rurales ; le folkloriste peut évidemment le regretter !

Certaines églises ont conservé longtemps un usage assez curieux qui se pratiquait au cours de la semaine sainte, dite aussi semaine peneuse. C'est ainsi qu'à Langres — et dans d'autres villes — on enterrait l'alléluia. On écrivait en lettres d'or, sur une toupie, le mot « alléluia ». Les enfants de choeur venaient, en procession et avec la croix, à l'endroit où ce jouet avait été placé, et là ils le faisaient pirouetter à coups de fouet, en chantant des psaumes et des cantiques. Puis ils poussaient le « sabot » au dehors de l'église en lui souhaitant bon voyage jusqu'à Pâques. A Bordeaux, au début du siècle dernier, le Samedi saint, on disait aux personnes que l'on rencontrait dans la rue que l'alléluia avait été mis dehors ; celles qui se laissaient prendre à cette innocente farce devaient payer un bon déjeuner !

Les cloches jouent à cette époque un grand rôle. On raconte aux enfants qu'elles sont parties voir le Saint-Père. E. Renan avait conservé un souvenir ému de cette vision de jeunesse. Voici ce qu'il conte dans ses souvenirs : « Le Jeudi saint, on y conduisait les enfants (à Saint-Michel-de-Tréguier) pour voir les cloches aller à Rome. On nous bandait les yeux, et alors il était beau de voir toutes les pièces du carillon, par ordre de grandeur, de la plus grosse à la plus petite, revêtues de la belle robe de dentelle brodée qu'elles portaient le jour de leur baptême, traverser l'air pour aller, en bourdonnant gravement, se faire bénir par le pape. » Dans la région de Fours, en Nivernais, on croyait qu'il fallait semer les citrouilles, le Samedi saint, pendant la messe, afin qu'elles deviennent aussi grosses que les cloches qui étaient de retour !

Afin de remplacer les carillons muets, les enfants de chœur s'arment de petits instruments en bois qu'ils manient avec vigueur. Parfois, c'était du haut du clocher que les marguilliers annonçaient à l'aide d'une « créselle » l'heure des offices ; il en était ainsi à Givry, en Saône-et-Loire, en 1785 ; dans certains pays on utilisait de grosses conques.

Mais la grande date de Pâques approche et les enfants de choeur s'agitent. Munis de paniers à anse comme on en voit encore dans les marchés de petites villes, ils vont quêter, de ferme en ferme, leurs « pâquerets », récompenses de leurs menus services. Arrivés devant la porte, ils s'arrêtent et leurs voix fraîches entonnent la chanson rituelle sur l'air de l'O Filii. Dans les Flandres, en 1890, les « quêteurs d'œufs », leurs tape-maillets à la main, chantaient :

O fils des fils, soyez joyeux,
Donnez des œufs à chès rouleux,
Dieu vous en récompensera,
Alléluia !
(Ter.)

En Normandie, vers 1850, le couplet de quête était le suivant, du moins en quelques endroits :

Donnez quéqu'chose à ces chanteurs
En l'honneur de Notre-Seigneur,
Un jour viendra Dieu vous l'rendra.
Alléluia !

Le temps de jeûne et de restrictions étant terminé, nos ancêtres fêtaient Pâques avec joie. On savourait en famille la joie de manger enfin des oeufs du poulailler — ceux de Hollande étant alors inconnus des populations françaises, — du jambon, de tradition ce jour-là, et l'agneau de Pâques. Celui-ci était dégusté un peu partout, par exemple à Craon, dans la Mayenne, en 1869 ; à Albi au XVIe siècle, les magistrats municipaux en offraient aux malades « à la vesprée de Pâques ».

Le dimanche de Quasimodo, en certains endroits de la Bretagne, les jeunes gens se livraient à un jeu curieux, décrit ainsi pour le Morbihan, en 1825 : « Après les vêpres, les jeunes gens de deux sexes de chaque quartier rassemblaient le plus qu’ils peuvent de vieux pots qui sont hors d'état de servir ; puis, se rangeant en cercle à une certaine distance les uns des autres, ils se jettent un pot de main en main et le font circuler aussi longtemps qu’il se peut. Mais le moment vient où quelqu'un le brise en le laissant échapper, et il faut voir alors par quels éclats de rire il est puni de sa maladresse. Le second succède au premier, et le jeu dure tant qu'il y a des vases disponibles ». Un auteur pense que cette coutume est en rapport avec l’idée que l'on dépouillait le vieil homme à Pâques ; nous lui laisserons bien volontiers la responsabilité de cette opinion.

De nos jours encore, dans maints petits villages, on peut voir les « clergeons » aller quérir leurs œufs ; parfois des gens de métier les suivent, tendant la main. Les confiseurs exposent durant la semaine sainte les beaux chocolats de forme ovoïde et dont les prix feraient rentrer nos aïeux dans la tombe. On étrenne encore des habits neufs le jour de Pâques — ou du moins des habits rafraîchis par le teinturier — et on essaye de varier un peu le menu pour fêter dignement le retour des cloches et la venue prochaine du printemps.

Roger VAULTIER.

Le Chasseur Français N°651 Mai 1951 Page 317