Tir à balle

Dans notre dernière causerie, nous avons fait remarquer qu'en ce qui concerne le tir du gros gibier la balle affirmait sa supériorité sur les chevrotines lorsqu'il s'agissait d'arrêter net un animal ou que l'on était dans l'obligation de le tirer de face. Encore convient-il de préciser les conditions dans lesquelles la balle peut être utilement employée.

Nous ferons en premier lieu remarquer que le fusil de chasse n'est pas, en principe, destiné au tir à balle et qu'il doit être considéré comme une arme à tout faire, utilisant normalement la grenaille et occasionnellement les chevrotines ou la balle. La plupart des chasseurs ne disposant que d'une seule arme, il s'agit de lui faire rendre le maximum dans chaque cas. Nous avons vu ce que l'on pouvait attendre des chevrotines judicieusement utilisées ; examinons actuellement ce que l'on peut obtenir des divers types de balles.

Les chasseurs de l'autre siècle avaient remarqué que les balles très exactement adaptées au calibre particulier d'une arme possédaient une bien meilleure précision et appréciaient plus particulièrement les fusils vendus avec un moule à balles spécialement fabriqué en vue d'obtenir des projectiles de calibre exact. Ces armes étaient généralement réservées à des concours de tir.

Le commun des chasseurs employait des balles sphériques, plus ou moins régulières, ne permettant qu'une précision médiocre entre 30 et 50 mètres et restant (en dépit de récits cynégétiques plus littéraires que scientifiques) peu utilisables au delà de cette dernière portée. Des procédés assez divers furent essayés pour améliorer la précision de la balle sphérique ; nous citerons, dans cet ordre d'idée, l'inclusion d'un clou au moment de la coulée et l'adjonction d'une bourre fixée au moyen d'une vis, procédés basés sur le comportement de l'empennage.

Lors de la généralisation des forages choke, il devint nécessaire, pour éviter le gonflage de ces derniers, d'employer des projectiles plus malléables que la balle sphérique ; la solution fut trouvée par l'emploi de balles à cannelures de forme générale cylindro-conique, ce qui permettait une fixation sérieuse de la bourre d'empennage. Bien profilées et soigneusement étudiées au point de vue de l'équilibre, ces balles franchissent sans dommage les chokes et procurent une précision supérieure à celle des balles sphériques.

Nous mentionnerons également les balles cylindriques à hélice intérieure, dont la précision est obtenue cette fois par la rotation du projectile sous l'action de la résistance de l'air. Bien qu'elles passent facilement dans les canons choke, nous pensons qu'elles ne donnent vraiment le maximum de précision qu'avec des canons cylindriques.

Dans l'emploi du fusil à tout faire, il convient tout d'abord de bien se persuader que le tir à longue distance est plus dangereux qu'utile, et cela qu'il soit effectué à balles ou à chevrotines. Nous avons dit l'intérêt de ces dernières comme puissant moyen d'arrêt du gros gibier, en travers, mais avec un groupement serré. On réservera aux cartouches ainsi chargées le coup cylindrique ou demi-choke, le deuxième coup étant éventuellement tiré avec une balle cannelée sur un gibier déjà touché, c'est-à-dire dans le cas où la visée peut être plus précise ; chaque cartouche se trouve utilisée dans les meilleures conditions possibles.

Nous avons parfois entendu des spécialistes du sanglier affirmer que, si l'on ne tirait qu'à courte portée, on ne tirerait que bien rarement et qu'il convenait en premier lieu de toucher l'animai en vue de le ralentir, en s'en remettant à la chance pour la suite. Nous estimons plus raisonnable, moins dangereux et plus rationnel (en ce qui concerne la perte inutile du gibier) de ne tirer qu'en mettant toutes les chances du côté du tireur, ce qui n'est possible qu'à courte portée avec le fusil à tout faire.

Les chasseurs qui ont fréquemment l'occasion de tirer le gros gibier ont tout intérêt à employer un fusil dont un canon est rayé spécialement pour l’emploi de la balle à cannelures. Cette rayure est la même que celle que l'on emploie pour la dispersion du petit plomb à courte distance. Dans un tel forage, la balle cannelée à empennage donne une excellente précision à 50 mètres, distance à laquelle on peut placer en cible une série de balles dans un rectangle de 15 centimètres de côté, alors qu'à la même portée le canon non rayé dispersera ses coups dans une zone de 70 centimètres sur 80 environ.

On nous a parfois fait observer que les armes de ce genre, établies pour la chasse au bois avec l'emploi du petit plomb, ont le canon rayé à droite et le canon choke à gauche, ce qui oblige, pour le tir du gros gibier, à utiliser en premier lieu la balle, en second lieu les chevrotines, et qu’il est difficile de prendre les détentes en sens inverse. Si nous envisageons le cas d'une arme spécialement destinée au tir du gros gibier, il suffira de faire inverser les détentes, opération simple et peu coûteuse, pour tirer la cartouche à chevrotines (coup gauche) au moyen de la première détente et la cartouche à balle (coup droit) au moyen de la seconde.

En ce qui concerne le chargement des cartouches, on remarquera que la rayure spéciale, à double usage, possède un pas assez long, beaucoup plus long que celui des armes de guerre, et que le forcement dans la rayure ne réduit pas sensiblement la vitesse. Dans ces conditions, les charges normales des calibres usuels — 2gr,20 de poudre T en calibre 12 et 1gr,70 en calibre 16 — conviennent très bien pour assurer une vitesse initiale de 350 mètres. Avec cette vitesse, les balles de chasse possèdent une énergie plus que suffisante, supérieure entre 25 et 30 mètres à celle des balles de guerre, et ont ainsi une capacité d'arrêt d'autant meilleure que leur forme procure une forte résistance à l'avancement dans le corps de l'animal. Toute la puissance destructrice se trouve ainsi dissipée, ce qui n'est pas le cas lorsqu'un projectile à grande vitesse traverse un animal en continuant sa trajectoire.

Sur la poudre, on emploiera le bourrage normal ; on s'abstiendra de bloquer la balle avec du suif ou de la cire.

On notera enfin que, dans un fusil à double forage, le canon rayé porte généralement un peu plus haut que le canon choke. Il sera bon de consacrer quelques cartouches à la recherche du point moyen, entre 20 et 30 mètres, pour se rendre compte de la correction à effectuer.

Il nous reste à rappeler que les fusils de chasse calibres 12 et 16 peuvent être employés au tir de la cartouche à grande puissance, calibre 22 Hornet ; il suffit de leur adapter un tube réducteur rayé de 60 centimètres de longueur, à extracteur. La balle de cette cartouche est puissante et précise, en raison de sa grande vitesse initiale (530 mètres à la seconde), et elle convient bien au tir des animaux d'une dizaine de kilogrammes. Il est bon, toutefois, de signaler que cette cartouche est dangereuse, en raison de sa très grande puissance, jusqu'à 2.000 mètres. Elle s'adresse donc plutôt aux chasseurs de chamois et aux chasseurs coloniaux, qui ont fréquemment l'occasion de rencontrer des animaux de ce poids, et la possession d'un tube réducteur n'embarrassera guère le chasseur en déplacement.

Comme dans le cas précédent, quelques essais de tir seront indispensables pour régler l'arme et l'utiliser avec le maximum d'efficacité.

M. MARCHAND,

Ingénieur E. C. P.

Le Chasseur Français N°652 Juin 1951 Page 321