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Le permis de chasse

Il dit bien ce qu'il veut dire et définit en trois points les bases de la chasse française. Il est défendu de chasser :

    1° Sans être muni d'un permis de chasse.

    2° Sur le terrain d'autrui sans le consentement du propriétaire ou des ayants droit.

    3° Hors des époques fixées par les arrêtés des préfets.

Cette charte trouve son origine dans la loi du 30 avril 1790 qui abolit le droit exclusif de chasse et qui déclare dans son article 1 : « Il est défendu à toutes personnes de chasser, en quelque temps que ce soit, sur le terrain d'autrui sans son consentement ... »

La loi du 3 mai 1844 a repris cette disposition presque mot à mot. C'est la base légale de la chasse réservée, car, si le gibier est res nullius, le droit de le chasser appartient au propriétaire du fonds.

Il est défendu de chasser sans être muni d’un permis de chasse. La préfecture ou la sous-préfecture délivre un carton blanc et bleu qui porte sur sa partie droite au recto le nom, le lieu de naissance, le domicile et la profession du chasseur, à gauche un signalement où chacun se voit attribuer par son secrétaire de mairie un front ordinaire ou découvert, un nez  et une bouche moyens. La date de naissance n'y est pas prévue. Cela permet quelques entorses sur l'âge minimum de seize ans.

Le permis de chasse était à l'origine le permis de port d'armes de chasse. Le prix en avait été fixé par le décret du 12 mars 1806 à 30 francs, puis ramené à 15 francs par la loi du 28 avril 1816. Il n'était nécessaire que pour la chasse à tir. Aussi ne présentait-il aucune utilité dans le contrôle du braconnage, d'autant plus que le colportage et la vente du gibier pendant le temps de fermeture étaient autorisés. Les propriétaires de tous terrains clos, même de simples haies, pouvaient chasser toute l'année et vendre leur gibier. Il était bien difficile alors d'en déterminer l'origine.

Le permis de chasse proprement dit est né avec la loi du 3 mai 1844. Quel que soit le mode de chasse, il faut, depuis cette date, en être muni pour chasser. Comme la même loi a interdit la vente et le colportage du gibier en temps de fermeture et en a fait un délit, elle a mis fin à une équivoque. Son but était, disait le garde des Sceaux N. Martin (du Nord) dans la circulaire d'application aux préfets, « de préserver le gibier de la destruction complète et prochaine dont il est menacé ».

Le carton que l'on va maintenant retirer chez le percepteur est en fait une taxe. Il ne donne aucun droit. Pourtant le nombre des permis délivrés n'a cessé de croître. Il y en eut 44.533 en 1830, 125.153 l'année de la loi du 3 mai, 150.000 en 1850.

Le garde des Sceaux Martin disait encore dans la circulaire d'application : « Les faits de chasse sur les terrain d'autrui ne constituent un délit qu'autant qu'ils ont lieu sans le consentement du propriétaire ou des ayants droit. »

Le texte de la loi et cette interprétation ont, durant un temps très long, servi de base à la chasse.

Le texte soutenait la chasse réservée, l'interprétation restrictive justifiait la chasse banale. Sur des étendues considérables, les propriétaires laissaient chasser et ce consentement tacite ouvrait la porte à tous les chasseurs. Les choses se passaient sans trop de heurts. Les chasseurs étaient peu nombreux, le gibier assez abondant. Seuls quelques passionnés venaient de loin. Mais c'était une expédition. Il fallait prendre le train, puis une des pataches qui sillonnaient le pays. La chasse banale correspondait à une sorte d'entente réciproque et tacite entre les propriétaires des communes rurales.

L'automobile, peu à peu, vint tout bouleverser. Les Français aiment la chasse. Elle en facilita la pratique. Le nombre des permis grossit jusqu'à approcher des deux millions.

C'est alors que le texte de la loi du 3 mai 1844, issu lui-même de la loi du 30 avril 1790, trouva une grande vigueur. Qu'on ne dise pas qu'avec l'âge il tombe en désuétude. Bien au contraire. Les propriétaires reconnurent qu'on ne pouvait chasser sur leurs terres sans leur consentement. Devant l'arrivée massive des « étrangers » dans les communes les plus favorisés au point de vue cynégétique, ils trouvèrent dans les ressources de l'association les moyens de protéger leur chasse. Le domaine communal fut en général attribué à la société locale par délibération du conseil municipal. C'est ainsi qu'en dehors des chasses réservées le territoire cynégétique de la France se trouva cloisonné pratiquement dans le cadre de la commune.

Il ne restait plus aux chasseurs des villes que la ressource de demander l'autorisation de chasser dans une commune ou de parcourir les dernières terres banales vides à peu près de tout gibier.

Dans l'ensemble, la plupart des chasseurs trouvent à se classer. Les communes délivrent des cartes annuelles. Mais la protection s'est organisée souvent sous l'empire de la nécessité ; c'est à dire lorsque le cheptel cynégétique eut reçu de rudes coups.

La chasse réservée a joué alors un rôle protecteur. Dans la mesure où elle a échappé aux destructions massives ou reconstitué son gibier, elle a rendu les plus grands services à la chasse française. J'ai de puissantes raisons, tant d'ordre général que d'ordre personnel de croire à son absolue nécessité.

En France, la chasse joue un rôle social considérable. Dans les lois et les coutumes, elle cherche une organisation mieux adaptée aux temps présents. Le législateur de 1844 sut améliorer et adapter les bases jetées par le réformateur révolutionnaire de 1790. Cette voie est la bonne.

Il n'est pas un chasseur qui puisse se désintéresser de l'organisation de la chasse. Tous doivent participer à son amélioration et à son renouveau.

Que les favorisés ne croient pas qu'ils peuvent ignorer impunément les efforts faits dans les sociétés communales ou autres. Ils ne doivent pas agir égoïstement à leur égard, mais, au contraire, les aider par l'expérience qu'ils ont acquise dans la chasse réservée et leur fournir du gibier de repeuplement quand ils le peuvent.

S'il advenait en France que seulement 200.000 porteurs de permis puissent chasser, la chasse réservée éclaterait sous la poussée des 1.600.000 autres.

Jean GUIRAUD.

Le Chasseur Français N°652 Juin 1951 Page 322