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Passion de la chasse

La passion de la chasse a été, cela est sûr, ma plus grande qualité (?), car je pense qu'il faut mettre, entre autres, la passion de la chasse au nombre des qualités qu'on peut prêter aux hommes.

La Brière est, sans contredît, le pays de France que j'ai le plus aimé. J'y ai fait de belles chasses de sauvagines, bécassines et canards de toutes sortes, quelquefois une sortie infructueuse, mais je pense que les jours heureux ont été pour moi, en Brière, plus nombreux que ceux de sombre bredouille. Quand, je songe au passé, je me dis que le numéro que j'ai tiré n'a pas été des plus mauvais. Sans doute a-t-on chassé à une époque plus giboyeuse que la mienne. Je songe aux chasses de M. Boulard au Courant de Huchet ; les hôpitaux de la ville de Dax étaient les heureux bénéficiaires du gibier de cette merveilleuse époque : 1.200 pièces en quelques jours. Après la prospérité, la décadence ; ainsi va la vie.

Lorsqu'on a beaucoup chassé et tué pas mal de gibier dans beaucoup de pays, il arrive un âge ou les articulations sont moins souples. Si l'on a écrit des livres sur la chasse, il vient un moment où l’on interrompt la course de la plume. On vit dans ses souvenirs ; la vue des scènes les plus marquantes de ma vie de chasse me reviennent à l'esprit comme de douces choses ; complaisamment, la mémoire remplace l'action.

Je reviens de ma seconde tentative de chasse aux grues dans les Landes. Après avoir traversé une partie de cette région boisée, je suis arrivé dans le superbe marais de Solférino. De petits boqueteaux par endroits, un marais énorme où l'eau est en ce moment partout, par cette année pluvieuse. J'aime beaucoup ce grand marais dont M. Sourbé m'a fait l'an dernier les honneurs de charmante façon. A cause du temps si incertain, les grues sont en retard sur leur date habituelle de passage ; elles n'ont commencé à passer que le 10 mars en petites quantités. Nous avons fait quelques essais de battues, de passées sur ces méfiants oiseaux. J’ai pendant mes deux jours de séjour à Solférino, cette année, vu six à sept vols de grues au lieu de deux mille oiseaux que nous pourchassions l'an dernier. Nous avons chassé en battue et à la passée du matin et du soir. L'essentiel est d’être placé dans un endroit de pose de la veille au soir. De nouvelles grues viennent rejoindre les premières posées, car elles sont très attachées à leurs semblables et, si vous êtes bien à l'affût, vous avez des chances de les tirer à moindre hauteur au; moment de la pose. Ce gibier est de grandie taille : il mesure 1m,50 de hauteur. C'est le plus grand oiseau d'Europe, et je dirai aussi le plus malin ; c'est la raison qui m'incite à faire sa connaissance, n'en ayant jamais tué jusqu'ici. J'ai fait deux essais — hélas ! infructueux.

Il faut se pénétrer de l'idée que les grues sont très difficiles à abattre, terriblement méfiantes et volant à de très grandes hauteurs. Même quand le coup de feu les atteint, elles ont encore une vitalité suffisante pour échapper au chasseur. il faut ajouter que si, dans un vol, un oiseau est tué, ses compagnons se détournent pour se rendre compte si l'oiseau tombé a besoin de secours ; c'est le moment propice pour augmenter le nombre de pièces au tableau ! Je n'ai pas plus cette année que l'année dernière réussi à atteindre un de ses oiseaux, mais à la chasse il faut vivre d'espoir et de volonté persistante. J'espère cette année-ci en abattre un.

J. DE WITT.

Le Chasseur Français N°652 Juin 1951 Page 323