Le moyen le moins coûteux pour augmenter sur une chasse le
nombre de perdreaux est certainement le système de l'adoption. On peut définir
l'adoption une opération ayant pour but la prise en charge par un coq perdrix,
ou un couple de perdrix, de perdreaux récemment éclos sous une poule de ferme
et avec lesquels ils se comportent comme s'ils étaient leurs propres jeunes.
Dans cette façon de procéder, l'on n'emploie la poule de ferme que pour la
période d'incubation et les quelques jours qui suivent l'éclosion.
Il faut, tout d'abord, disposer de coqs perdrix sauvages
dont on fera des adopteurs. Il y a lieu de remarquer que, d'une façon générale,
il y a dans les chasses plus de perdrix mâles que de femelles.
L'on s'en rend compte à l'époque de l'accouplement lorsque
l'on fait lever un couple et que l'on constate qu'il est suivi d'un troisième
oiseau. C'est un mâle qui, privé de femelle, suit le couple dans l'espoir
d'arriver à supplanter le coq accouplé. On pourra alors pratiquer l'écoquetage,
ce qui, ainsi, évitera les ménages à trois, qui ne valent rien pour la
reproduction, et mettre de côté les coqs, qui seront très utiles comme adopteurs.
Lorsque l'on fait de la reproduction de perdrix par couples
entravés, dans des parquets non couverts, le garde constate souvent, après
avoir accouplé les perdrix, que son approche fait partir un coq libre qui vient
troubler un ménage, et il est alors recommandé, ou de s'en emparer au moyen
d'une mue, ou de le détruire au fusil.
Le premier moyen est infiniment préférable car, à l’époque
des éclosions, on se servira de ces coqs pour leur confier des jeunes.
Chaque année, il arrive, au mois de mai, que des chasseurs
nous demandent où ils pourront se procurer des coqs perdrix, parce qu'on leur
apporte des oeufs mis à découvert le plus souvent dans les fourrages coupés
verts.
A ce moment, il est généralement impossible de trouver ces
oiseaux, et c'est pourquoi il est nécessaire de se les procurer tôt en saison,
soit par acquisition, soit en les reprenant au moyen d'une perdrix chanterelle
mise sous une mue.
Conserver des coqs perdrix n'est pas onéreux. On les entrave
et on les met dans un parquet où on leur donne la même nourriture qu'aux
perdrix gardées pendant l'hiver.
Il serait souhaitable que beaucoup de chasseurs essaient ce
moyen, car on n'imagine pas le nombre important de jeunes qui, chaque année,
périssent parce qu'on n'a pas pris les dispositions en temps voulu pour faire un
petit élevage avec les œufs mis à découvert lors de la fauchaison. Voici
quelques indications sur la façon de procéder. Tout d'abord, quelle sorte de
perdrix faut-il employer pour réussir ces adoptions ? Uniquement des
perdrix sauvages, car avec des perdrix de volière on n'obtiendrait aucun bon
résultat. L'on entend par perdrix de volière celles qui, nées en captivité,
n'ont jamais connu la liberté. Les perdrix sauvages capturées dans les champs
peuvent provenir de perdreaux élevés avec une poule de ferme ou de compagnies
nées en parquets de reproduction et lâchées en temps voulu, ou d'oiseaux qui se
sont reproduits en liberté.
SI l'on a en parquets de reproduction des couples sauvages
qui n'ont pas eu de jeunes, on peut, en les laissant ensemble, leur faire
adopter des jeunes d'élevage provenant soit d'œufs achetés et mis à couver sous
des poules, soit d'oeufs mis à découvert par les faucheurs, et dont
l'incubation a été achevée également par des poules de ferme.
On peut commencer à faire adopter dès que les perdreaux ont
trois jours.
La poule éleveuse et ses jeunes sont placés dans une boite à
barreaux (boîte d'élevage ordinaire) ; le coq perdrix est dans une autre
boîte semblable. Ces boîtes sont placées en équerre et réunies par des planches
d'environ 0m,30 de largeur et ayant comme longueur deux 0m,50 et deux 0m,90. On
maintient ces planches en place au moyen de petits piquets enfoncés en terre.
Ces boîtes sont ainsi placées afin que la poule de ferme et le coq adopteur ne
puissent se voir.
Les jeunes circulent librement dans la boîte de la poule et
dans le promenoir formé par les quatre planches, mais ne peuvent pénétrer dans
la boîte du coq perdrix, dont l'entrée leur est interdite par un morceau de
grillage à mailles de 19 millimètres placé contre les barreaux de cette boîte.
Pendant combien de temps laisse-t-on les jeunes se promener
devant l'adopteur avant de les lui donner ? C'est ici que doit se
manifester l'esprit d'observation de l'éleveur. En effet, le coq, après un
certain temps (parfois assez variable d'un sujet à l'autre), rappellera les
jeunes. L'éleveur passe aussi souvent que possible à proximité des boîtes et
voit quand le coq commence à exprimer par ses appels le désir d'avoir près de
lui les perdreaux. Il laisse ce désir se manifester pendant environ
vingt-quatre heures, et ce n'est qu'après ce temps qu'il soulève le grillage
pour laisser entrer un jeune auprès du coq. Il voit comment celui-ci se
comporte. S'il cherche à le réchauffer en le ramenant sous ses ailes et a avec
lui les allures de tendresse des couples pour leurs petits, il retire le
grillage et lui donne tout le reste de la compagnie, qui ne doit pas dépasser
quinze jeunes.
Si tout paraît normal, l'éleveur laisse, le soir, les
perdreaux dormir dans la boîte de l'adopteur, en les enfermant avec lui. Si
rien d'anormal n'a été remarqué, on peut, dès le lendemain, retirer la poule de
ferme. Il est essentiel de garder la compagnie d'adoption pendant quatre à cinq
jours avant de la mettre en liberté. Le coq est retenu dans la boîte, mais les
perdreaux ont, en plus, le promenoir pour circuler.
Les précautions à prendre lors de ces adoptions sont les
suivantes : recouvrir le promenoir d'un filet ou d'un grillage pour
empêcher tout enlèvement de jeunes par des pies ou des corbeaux. Se méfier
également des rats ou des belettes qui peuvent rôder dans le voisinage.
Il faut nourrir les perdreaux comme en élevage, suivant leur
âge, et avec beaucoup de soins. Les jeunes auront plaisir à picorer dans de
petits bouquets de verdure, qu'on accrochera aux parois du promenoir devant la
boîte de l'adopteur. Ces bouquets seront suspendus à quelques centimètres du
sol, et on les renouvellera chaque jour.
On piquera, autour du promenoir, des branches pour donner de
l'ombre aux oiseaux, à moins qu'on ait pu faire des claies de genêts ou de bruyères,
qui seront plus faciles à installer et à déplacer.
On abritera également les boîtes des adultes.
Pour la mise aux champs des compagnies d'adoption, on
procède avec le même matériel que pour lâcher les compagnies produites en
parquets.
L'on se rappellera qu'il ne faut procéder que par beau temps
et après dix heures quand la rosée est ressuyée.
Chaque jour on changera les oiseaux de boîtes (poule de
ferme et perdrix d'adoption) en plaçant les boîtes les unes contre les autres.
Les boîtes retirées devront être nettoyées à fond avec de l'eau contenant un
désinfectant.
La nourriture des adultes consistera en blé trempé et
verdure hachée. L'eau de boisson mise dans un petit récipient sera à une
hauteur telle que les jeunes ne puissent y accéder.
Les échecs qui peuvent provenir dans l'adoption sont dus à
l'une des causes suivantes :
a. L'on a employé des perdrix défectueuses (oiseaux
de volière ou mal portants) ;
b. L'on n'a pas laissé l'adopteur s'exciter assez
longtemps par la vue des jeunes avant de les lui donner ;
c. L'on a lâché trop vite aux champs la compagnie
d'adoption, avant que coq et jeunes aient fait suffisamment connaissance.
L'on n'est pas surpris des qualités d'adoption des perdrix
quand on observe ce qui se passe au cours de la reproduction naturelle de ces
oiseaux en parquets. Alors que, chez le faisan, le mâle borne son rôle à l'acte
reproducteur, chez la perdrix, le mâle entoure de soins la femelle dès qu'elle
couve. Il est près d'elle au moment du bêchage des œufs, alors que déjà elle
commence l'éducation des jeunes qui naîtront bientôt.
C'est, en effet, pendant la période du bêchage, entre mère
et petits, une conversation intarissable, et, s'il nous est impossible de
traduire ce qu'ils se disent, nous avons pu, cependant, faire certaines constatations
qui prouvent que l'éducation des jeunes est commencée dès ce moment.
Nous citerons le fait suivant, vérifié plusieurs fois :
l'on donne à une poule de ferme une vingtaine d'œufs de perdrix à couver.
Vingt-deux jours après, on lui en retire la moitié que l'on met sous une
perdrix qui couve en parquets depuis plus de dix jours et à la place de ses
propres œufs.
Voilà donc deux lots d'œufs de même provenance qui écloront
en même temps, l'un sous une perdrix sauvage, l'autre sous une poule de ferme.
Deux jours après leur naissance, approchant des perdreaux qui sont nés sous la
poule, nous constatons qu'ils circulent autour de leur mère éleveuse comme le
feraient des poussins, c'est-à-dire sans que notre présence les gêne en aucune
façon.
Allons alors dans le parquet du couple sauvage et cherchons
à voir les jeunes : nous les verrons difficilement. La mère a poussé un
cri et ils se sont immédiatement aplatis au sol, là où ils se sont trouvés.
Soyons prudents, nous les écraserions plutôt que de les faire bouger, tant que
la perdrix n'aura pas poussé un autre cri qui leur rendra la tranquillité. On
peut donc affirmer que cette différence de comportement devant le danger
provient d'une différence d'éducation reçue par le jeune au moment de son
entrée dans le monde.
Nous en tirons cette conclusion : étant donné que les
instincts sauvages sont communiqués par une éducation « verbale » de
la perdrix, il y a toujours intérêt à faire éclore les perdreaux dans les nids
des perdrix.
Quand on ne peut le faire et qu'on pratique l'adoption, il
est préférable que ce soit avec des jeunes de peu de jours, car, au contact de
l'oiseau de leur race, ils reprennent bien vite leurs instincts sauvages, si
utiles pour produire du gibier qui, en chasse, se défendra comme celui né dans
les champs.
René DANNIN,
Expert en apiculture (chasse et gibier) près les tribunaux.
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