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Confiteor.

Le Moutasset ?

C'est la croupe en dos de chameau que vous apercevez, là-bas, dans le prolongement sud-ouest de l'Aubrac.

Un fourmillement de hêtres, de chênes et de trembles s'agrippe à ses flancs ; mais i1 faut croire que la montée est rude, puisque, jusqu'à présent, aucun arbre n'a pu atteindre le sommet, où le « brujas » est roi.

La pente boisée appartient aux gens de Chirac pour la partie est, à ceux de la Blatte pour l'autre bout et aux « Masans » pour le milieu. La calotte, elle, nourrit les moutons des Ressenades, dont le pâtre est bien le plus rusé garnement que je connaisse.

Il trouva son maître, l'autre matin, ce pistolet ! ... Pas pour longtemps, il est vrai, comme vous allez le voir.

Je ne vous apprendrai rien, n'est-ce pas, en vous disant que mon ami François est un grand chasseur ; grand par la taille, grand par la résistance du jarret et grand par l'infaillibilité du coup d'œil, qui semble accompagner le plomb jusqu'au râble du lièvre, jusqu'au croupion de la perdrix.

Mais le curé des Ressenades n'est pas un moins redoutable fusil. Son chapeau plat sur les yeux, sa soutane retroussée, il sillonne les « trucs » et les « combes », à la poursuite du gibier, qu'il va chercher fort loin parfois.

L'avant-dernière semaine de septembre, il avait donné rendez-vous à François au sommet du Moutasset, à la pointe du jour. Étaient aussi de la partie le maître d'école avec son couple de griffons. Miss et Taïaut, Milou, suivi de Moka — le meilleur corniaud de l'arrondissement — Urbain, avec ses deux complices, Blak et Loulou, spécialistes de la sauvagine, comme leur maître, et votre serviteur, flanqué de Myrrha, dont je ne dirai rien, par modestie.

Le soleil commençait d'éclore, derrière le Lozère, à quelque quarante-cinq kilomètres de là, lorsque Myrrha donna son premier coup de gueule. Quelques minutes plus tard, un capucin de huit livres, que l'on n'attendait pas si tôt, giclait hors des premiers fourrés et, les oreilles droites, passait à quinze mètres de François. « Pauvre de lui ! » dites-vous ?

François, par malheur, avait, à ce moment même, d'autres chats à fouetter : mon ami — eût dit Cervantes — s'occupait activement pour l'heure à se débarrasser, derrière un genévrier, d'un fardeau gênant, mais dont il lui eût été malaisé de confier à un autre le soin de le décharger ... Ah ! que voulez-vous ! ... La nature a de ces exigences !

Mon ami François se laisse rarement prendre sans vert. Cette fois, pourtant, il dut abréger certaines formalités ; encore le but était-il déjà loin lorsque son coup du gauche claqua. Le lièvre fit une drôle de grimace, mais n'en continua pas moins à détaler.

— Touché ! cria le curé, qui, d'un peu loin, avait assisté au drame.

La meute fila vers la Blatte, descendit dans les prés, côtoya le Viouriègre, en légère crue, et remonta par le bois en suivant la « Carra du lit ». Si nous avions eu la patience de rester en place, nous eussions canardé notre lièvre à quelques pas de son gîte ; mais, n'entendant plus les chiens depuis un long moment, nous avions mis l'arme à la bretelle et gagné le sommet.

Nous bavardions, en fumant des cigarettes, moyennement déçus, car la matinée était à peine commencée et ne manquerait pas de nous apporter une revanche.

Milou, soudain, tendit l'oreille : la voix de Taïaut, montant du bois, éveillait les échos de la vallée. Et cette voix disait : « Bon ! ... Bon ! ... Ça sent bon ! ... Ça sent le lièvre ! ... Ça sent bon ! ... Ça sent toujours bon ! ... Bon ! ... Booon !... »

Bientôt les courants sortirent du couvert et se dirigèrent vers le troupeau des Ressenades, qui s'égaillait à mi-pente, longeant le bois. Ils tournèrent un moment autour des brebis qui s'effarouchaient dans un brusque remue-ménage de sonnailles ; puis, la queue en parenthèse et l'œil faraud, pour masquer la honte de leur défaite, ils remontèrent vers les chasseurs.

— Tiens ! s'exclama François, les chiens abandonnent !

— Ceci n'est pas normal, s'étonna le curé.

— D'ordinaire, Moka ne se laisse pas prendre en défaut aussi facilement, ajouta Milou.

— Si nous descendions ? proposa Urbain. Mais, déjà, le maître d'école nous précédait de vingt pas. Parvenus au milieu du troupeau, nous cherchions vainement des yeux le « pastre ». Son chien, en nous injuriant, nous le fit découvrir, derrière un bartas de hêtres. Il s'affairait à émincer de menues pousses de bouleau pour confectionner un balai. Il ne se leva pas à notre approche, mais, apercevant le curé, il souleva quelque peu son chapeau, par devant, sans lâcher son couteau.

— Tu n'aurais pas vu le lièvre, des fois ? lui demanda François.

Le garçon leva les yeux sur lui ; puis, sans mot dire, se remit à tailler sa brindille de bouleau. Les chasseurs n'en purent rien tirer ; ce que voyant, le curé nous fit signe de le laisser seul avec son paroissien. Et, alors :

— Pâtre des Ressenades ! prononça-t-il avec solennité, pâtre des Ressenades, je te confesse ! Qu'as-tu fait du lièvre ? Interloqué, le pâtre ôta son chapeau, se signa, se mit à genoux avec un soupir de regret. D'un trou creusé sous son fagot et camouflé hâtivement avec quelques touffes de bruyère, il tira le lièvre encore chaud :

— C'est Perlou qui me l'a attrapé, dit-il. Je vous le donne, monsieur le curé.

Vous imaginez peut-être que l'histoire finit là ? Ce serait mal connaître le pâtre des Ressenades. Pour une fois, il avait trouvé son maître, mais il s'était promis de rendre au curé la monnaie de sa pièce.

A quelque temps de là, un samedi soir, l'abbé venait d'achever la lecture de son bréviaire, quand survint le pâtre, qui voulut, à toute force, être confessé sur l'heure.

— Ça presse donc tant que cela ? s'inquiéta le curé.

— Oh ! il n'y a pas le feu, monsieur le curé, répliqua le pénitent, mais peut-être savez-vous que c'est demain la fête de saint Rémi, mon patron, et j'aimerais m'approcher de la sainte table.

— Ah ! sapristi, c'est vérité ! Eh bien ! donc, viens à l'église, Rémi, je vais te confesser.

— Espérez un peu, monsieur le curé, que je pose cette bête sur la table. Je l'ai attrapée hier au collet.

Et Rémi déposa sur la table du « salon » un vieux cabas d'où émergeaient deux pattes qui, selon toute apparence, devaient appartenir à un fameux oreillard.

Au confessionnal, tout se passa le mieux du monde, et cinq minutes écoulées, Rémi, l'âme lessivée de première, attaquait d'un pied léger la terrible montée qui menait à sa cabane.

Le curé gagna prestement le presbytère pour tirer du cabas son lièvre qui ferait, à son estime, un crâne civet pour le lendemain. Hélas ! la peau était bourrée de sciure et de gravier !

M. le curé se précipita dehors. Rémi continuait tranquillement son ascension, quand une voix courroucée le fit se retourner :

— Pâtre des Ressenades ! clamait cette voix, pâtre des Ressenades, je te déconfesse !

— Ce qui est fait est fait, monsieur le curé, répondit Rémi. A la prochaine. Et il poursuivit son chemin.

Jean RUSTIQUE.

Le Chasseur Français N°652 Juin 1951 Page 332