Les savants théoriciens peuvent parfois professer, ex
cathedra, des théories qui constituent des erreurs formidables. Il n'y a
pas très longtemps, dans une revue cependant spécialiste des questions
cynégétiques et canines, j'ai lu ceci :
« En ce qui concerne la forme du crâne, le port, la
taille et l'allure générale des oreilles, je puis affirmer qu'il n'existe
aucune liaison entre ces caractères et la qualité chasseuse. »
Naturellement j'ai ri ... et bon nombre de veneurs et
de vrais connaisseurs en chiens courants ont dû bien rire aussi d'une telle
énormité.
Mais ce qu'il y a de grave, c'est que l'auteur de ces lignes
a fait suivre sa signature de titres universitaires de nature à tromper les
non-initiés et à leur faire croire que cet écrivain cynégétique connaissait la
question.
Scientifiquement et théoriquement parlant, la liaison de ces
caractères et de la qualité chasseuse n'a peut-être jamais été expliquée.
Alors, scientifiquement et théoriquement parlant, on la nie. Rien de plus
simple.
Mais les chasseurs moyens qui n'ont pas fait de hautes
études spéciales et qui se contentent d'observer les réalités ont constaté
depuis longtemps qu'il n'y a pas de caractéristiques physiques qui influent
autant sur la façon de chasser du courant que l'attache et surtout la longueur
de son oreille.
Les théoriciens en chambre n'auraient même pas à connaître
les chiens courants pour s'en persuader. Ils n'auraient même pas à examiner les
chiens. Il leur suffirait de s'informer auprès des veneurs compétents de la
façon de chasser de chaque variété de chiens et, sans se déranger, bien
tranquillement dans leur cabinet, d'étudier ensuite les standards de ces
variétés.
S'ils interrogeaient, par exemple, les veneurs sur la
vitesse des chiens, la réponse serait probablement unanime pour reconnaître que
les plus vites sont les anglais : fox-hounds et harriers ; que les
chiens français les plus rapides sont l'ancien saintongeois, le Billy et le Haut-Poitou,
et que les chiens les plus lents sont le normand et le bleu de Gascogne.
Alors ils verraient ce que sont le crâne et les oreilles de
ces différentes races d'après le standard. D'abord les plus vites :
Fox-hound : crâne plutôt droit et arrondi à l'occiput,
oreilles attachées haut, épaisses, plaquées contre la tête, peu allongées.
Harrier : crâne horizontal, bosse occipitale légèrement
marquée ; oreilles en forme de V presque plates, assez couchées et
attachées haut.
Le saintongeois n'a pas de standard, puisqu'il est
complètement disparu. Mais il avait l'oreille fine et demi-longue.
Billy : front légèrement bombé ; oreilles moyennes
attachées un peu haut.
Haut-Poitou : crâne plutôt plat que bombé ;
oreilles de largeur moyenne, fines, attachées un peu bas, demi-longues.
Passons aux plus lents :
II n'y a pas de standard pour le normand, mais on retrouve la
plupart de ses caractéristiques dans l'artésien normand : crâne en forme
de dôme accentué ; oreilles attachées bas, aussi bas que possible,
atteignant la longueur du museau ou même encore plus longues.
Bleu de Gascogne : crâne en forme d'ogive ;
oreilles attachées très bas, devant atteindre et souvent dépasser le
museau.
Il saute aux yeux des plus profanes que les plus vites ont
l'oreille plutôt assez courte et attachée haut, que les chiens de bon train ont
l'oreille demi-longue et attachée un peu haut ou, pour le poitevin, un peu bas
(ce qui est loin de signifier attachée bas) et qu'enfin, les chiens très lents
ont les oreilles le plus longues possible et attachées le plus bas possible.
Osera-t-on prétendre qu'il n'y a là que pures coïncidences ?
Mais alors, lorsque, par croisements ou même par seule sélection, on abaisse le
niveau de l'oreille et on en augmente sa longueur, comment expliquer que cette
coïncidence se reproduise ...qu'on ralentisse le train et qu'on diminue
l'esprit d'initiative, jusqu'à obtenir des chiens musards à l'excès ?
N'est-ce pas, d'ailleurs, la triste aventure qui est arrivée
au briquet d'Artois, transformé, par suite d'une mode inconsidérée, en artésien
normand ?
J'ai pu comparer moi-même la façon de chasser des artésiens
et des artésiens normands. Il y a déjà bien longtemps de cela, j'ai vu chasser
des artésiens de l'ancien type : tassés, puissants, à tête forte et à
oreilles plates, ils chassaient gaillardement un lièvre et pouvaient fort bien
le forcer, surtout lorsqu'ils étaient tirés par deux excellents briquets de
pays. J'ai vu chasser des artésiens normands, d'une lenteur désespérante. Même
remorqués par des briquets, ils n'auraient point contribué à la prise, car ils n'avaient
pas l'intelligence, ou la volonté ou la force de rallier aux chiens de tête et s'attardaient
à clabauder à l'arrière.
Il y a une centaine d'années, le chien d'Artois était l'un
des plus renommés et des plus employés en petite vénerie. Depuis qu'il est
devenu artésien normand, c'est-à-dire à peu près nul pour la course du lièvre,
il a été complètement abandonné.
J'ai souvent cité le passage d'un article paru dans la Revue
Canine Illustrée du 15 janvier 1905. Mais il y a des vérités qu'il ne faut
cesser de crier et de répéter pour les opposer aux contre-vérités de certains
théoriciens.
Ce document devrait faire comprendre combien la recherche de
tel crâne ou de telle oreille peut aboutir à des résultats néfastes et
insoupçonnés des profanes et des savants. Je le reproduis textuellement :
« Par suite des facilités de communication et d'une
esthétique très en vogue, les chiens normands, nos voisins, devaient facilement
porter un coup funeste à notre vieille race. La consanguinité poussée trop loin
chez l'artésien appelait un sang nouveau. La mode aidant, le coup fut porté par
le normand. Ceci se passait avant 1850. Deux amis ameutaient ensemble et
prenaient régulièrement avec des chiens transmis de père en fils. Le plus âgé,
conquis par les idées nouvelles, enthousiasmé de la gorge, de la taille et des
grandes oreilles du normand, qu'on trouvait facilement, Vendit ses chiens pour
prendre des normands. Le plus jeune protesta. Rien ne servit. Les nouveaux
chiens arrivèrent à la meute. Ce fut un triomphe pour leur maître et pour eux.
Ces chiens étaient extrêmement fins, ils récriaient merveilleusement. On chassa
avec la même correction et on prenait tout autant de lièvres. Les deux amis
furent vite d'accord. On usa les vieux et on les remplaça par des normands.
Hélas ! le thermomètre se mit à baisser avec la disparition des vieux
serviteurs. Quand le dernier fut disparu, le thermomètre tomba au-dessous de
zéro. Les beaux jours étaient passés. On faisait encore des rapprochers
étourdissants, des chasses très correctes ... mais on ne prenait plus. Ce
qui s'était passé chez nos amis eut lieu dans presque toutes les meutes
d'Artois. »
C'est net et c'est concluant. Le bon artésien avait été
remplacé (ou transformé par croisement) par le normand, qui au total équivalait
à zéro !
Son petit cousin, le basset d'Artois, a eu le même sort,
pour les mêmes causes et avec les mêmes conséquences dans l'amoindrissement de
ses qualités.
Le malheur est moins grand pour le basset, et sa sélection à
contresens est plus explicable. Les amateurs de basset d'alors voulaient un
chien infirme ... pour en faire des meutes chassant à l'extrême ralenti.
Ce genre de chasse n'a plus guère d'adeptes, et le basset serait plutôt
l'auxiliaire du petit chasseur. Mais le petit chasseur ne veut pas d'un gros
lourdaud, rampant au train de tortue.
Autrefois les théoriciens et les éleveurs partageaient tous
l'opinion qu'on ne peut pas faire l'élevage du basset en dehors du type allongé
et monstrueux, aux membres courts et tire-bouchonnés, agrémentés de signes de
dégénérescence et de rachitisme : les plis aux membres antérieurs et les
capelets aux postérieurs ...
Aujourd'hui, pas une personne connaissant la question ne
croit à de tels boniments, parce que les faits en ont démontré l'absurdité.
Aujourd'hui on sait qu'on peut produire un basset en dehors de la monstruosité,
un basset qui peut être un joli chien, bien fait, équilibré et utilisable à la
chasse.
Le cocker n'est-il pas un basset d'aspect très plaisant à
pattes droites, un chien leste et vigoureux et apte au travail ? Le grand
basset griffon n'est-il pas un basset à pattes droites, un magnifique chien
bien construit, sans infirmités, robuste, leste et vite ? Ce basset bâti
pour chasser a naturellement vite éclipsé et détrôné tous les autres bassets.
Je ne prétends pas faire de la science, mais seulement faire
part de mes observations de vieux coureur de lièvre.
Quoi qu'en puissent dire les savants, je pense que certaines
coïncidences qui se répètent régulièrement semblent bien avoir la force de lois
naturelles ...
Et, qu'il y ait coïncidence ou relation de cause à effet, il
n'est pas douteux que la longueur et l'attache de l'oreille sont en relation
étroite avec certaines autres caractéristiques — et cela de la façon la plus
absolue (sauf, bien entendu, des exceptions individuelles sur lesquelles on ne
peut baser aucun raisonnement et desquelles on ne peut tirer aucune conclusion
d'ordre général).
Les oreilles très courtes et attachées très haut
s'accompagnent d'un nez moyen et parfois même insuffisant, d'une gorge très
quelconque dont le chien est souvent trop avare, d'une grande vitesse dans la
menée, parfois même jusqu'à s'emballer et suraller la voie.
Les oreilles très longues et attachées très bas vont avec
une très grande finesse de nez, une forte voix et une aptitude à crier beaucoup
(au point d'être bavard), mais une grande lenteur dans le menée (au point
d'être musard) et un manque d'allant et d'esprit d'entreprise. Méfiez-vous donc
des oreilles trop courtes et attachées trop haut (qui peuvent être l'indice ...
d'une trop forte dose de sang anglais ou d'une origine corniaude), parce que
vous risquez d'avoir des chiens déficients au point de vue nez, des chiens
criant peu et parfois emballeurs.
Méfiez-vous également des oreilles trop longues et attachées
trop bas : vous pourrez avoir des bavards insupportables, des chiens
stupides qui chassent le contre comme le vrai, des chiens d'une lenteur
désespérante.
Les grands et vieux veneurs d'antan savaient bien ce qu'ils
faisaient lorsque, pour des chiens de chasse à courre, alliant le nez, la
gorge, l'entreprise et la vitesse, ils préconisaient l'oreille demi-longue. Ils
n'ignoraient pas qu'en la raccourcissant trop ou en l'allongeant à l'excès on
risquait de compromettre le bon équilibre dans l'ensemble des qualités
nécessaires à un vrai bon chien courant.
Paul DAUBIGNÉ.
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