Nous avons dit précédemment tout l'intérêt que trouveraient
les races à la tenue de leur propre livre d'origines par leur club respectif. A
ce principe, inattaquable dans sa logique, on ne peut opposer que l'inaptitude
de certains clubs à assumer cette fonction ; mais est-ce là une raison
pour en priver ceux qui en sont capables, à fortiori ceux qui, depuis
longtemps, en ont donné la preuve matérielle ?
Un important événement vient de passer inaperçu aux yeux de
ceux qui ne se sont pas crus directement intéressés par lui. Ils auraient tort
de n'en savoir mesurer l'importance et de ne pas s'inquiéter de son sens ;
car ce dernier est lourd de conséquences ; mais quel est-il ? C'est
là qu'est la question.
Depuis plus de vingt ans, une race (le griffon d'arrêt à
poil dur) était la seule en France à détenir le privilège d'avoir son livre
d'origines spécial, le Livre des origines du griffon (L.O.G.). En vérité, c'est
depuis 1889 que les griffons d'arrêt possédaient leur livre d'origines particulier,
lorsque Korthals créa le Hunde Stammbuch (G.S.B.), officiellement
reconnu par la France, la Belgique, la Hollande, la Suisse, la Suède, la
Finlande et l'Allemagne. Le L.O.G. avait été créé en 1918, entre la France et
la Belgique, à la suite de dissensions survenues du fait de la guerre, selon
les mêmes principes et la même formule. Ce document, publié annuellement,
constituait un recueil de documentation unique : inscriptions des portées
et sujets isolés contrôlées, mention des origines, notes de tous les chiens en
concours d'utilisation et en expositions, commentaires, articles, photographies
permettaient, par la consultation des divers volumes, de connaître les qualités
et les défauts de la plupart des chiens figurant sur un pedigree. Aucune autre
race au monde, à notre connaissance, ne possédait un tel document, dont il est
superflu de souligner l'importance pour l'élevage ; et la race en a fait
son profit, son histoire le prouve.
Le L.O.G. était officiellement reconnu par la Fédération cynologique
internationale.
Or cette reconnaissance a été retirée à partir du 1er
octobre 1950. Désormais, le L.O.G. n'ayant plus de caractère officiel, toutes
les inscriptions de griffons d'arrêt à poil dur doivent être faites, en France,
au livre unique L.O.F., tenu par la Société centrale canine. Tel est le fait,
que nous qualifions d'événement très important.
Il l'est, car, dans ce fait brutal, considéré dans ce seul
geste, on peut voir une intention : l'orientation d'une politique canine
dans un sens opposé à la décentralisation. Car rien ne justifie cette mesure,
attendu que rien ne fut reproché à la tenue de ce stud-book, modèle à tous les
points de vue. Faut-il y voir une question de « sous », car les
droits d'inscription restaient, évidemment, acquis au L.O.G., dont le prix de
revient était d'ailleurs très élevé et comblé en partie par les clubs de
griffons belges et français ? Faut-il y voir une question de jalousie ? ...
Ces considérations mesquines n'ont pas, espérons-le, influencé les auteurs du
diktat. Constatons seulement, et non sans amertume, que le principe de cette
décision fut adopté lors de l'Assemblée générale de la Fédération cynologique
internationale qui se tint en Yougoslavie en 1948, que le délégué français, non
seulement n'y fut pas étranger, mais que, dit-on, il en prît l'initiative et
que la décision elle-même fut votée à l'unanimité (le représentant du L.O.G.
absent) lors de l'Assemblée générale d'Amsterdam, le 8 juin 1950. Or cette
unanimité était nécessaire, et les représentants de la France n'ont pas opposé
leur veto.
Quoi qu'il en soit, le seul livre spécial qui existait en
France a été supprimé, et ce seul fait semble signifier aux clubs qu'ils
doivent perdre espoir de tenir eux-mêmes le livre d'origines de leur race. Or,
au même moment, on reconnaît ou l'on s'apprête à reconnaître tous les livres
allemands tenus par chaque club spécial, au nombre d'environ cinquante.
Ainsi envisagé brutalement, ce fait est une régression. Et
cependant il ne l'est pas en fait, grâce à la perspicacité, à la ténacité du
gérant du L.O.G., président du Club français du griffon à poil dur, grâce
aussi, il faut le dire, à la compréhension du président de la Société centrale
canine et de son secrétaire général, d'ailleurs vieux griffonnier, qui ont
imposé leurs vues au reste de leur comité.
Un protocole entre la S.C.C. et le Club du griffon accorde
en effet à ce dernier le contrôle exclusif, obligatoire et préalable, de toutes
les demandes d'inscription de griffons au L.O.F. Ce privilège sans précédent
comble une lacune : lorsque le L.O.G. avait été reconnu par la Fédération
canine internationale, les auteurs de l'accord avaient omis de rendre
obligatoires les inscriptions de tous griffons d'arrêt à ce stud-book ; les
éleveurs pouvaient tout aussi bien faire inscrire leurs chiens au L.O.F. Cette
dualité était le seul point faible du L.O.G. ; mais il était intégralement
rétabli du fait que les chiens inscrits directement au L.O.F, étaient eux aussi
mentionnés dans le L.O.G. Seul le contrôle de ces inscriptions échappait à ce
dernier. Or, désormais, toutes les inscriptions de griffons d'arrêt subiront le
contrôle préalable du club et, mieux que tout autre, ou aussi bien que les
mieux outillés, il a les moyens de le faire dans la mesure humainement
possible. C'est en ce sens que cette suppression constitue un progrès.
Bien entendu, comme par le passé, le L.O.G. continuera à
être tenu ; mais il ne sera plus qu'un « livre d'élevage », sans
aucun caractère officiel, ce qui, évidemment, ne saurait lui enlever sa valeur
intrinsèque. Le protocole a cru devoir autoriser le Club français du griffon à
poil dur à tenir ce livre d'élevage ; on ne s'explique pas cette « autorisation »,
attendu que tous les clubs peuvent tenir un document analogue, puisqu'il n'a
pas caractère officiel.
L'exposé des détails de cet « événement » a un
but. Il intéresse tous les clubs et tous les cynophiles, et non pas seulement
les griffonniers. Le voici : s'il faut l'interpréter comme une régression,
on y verra l'affirmation des dirigeants de la cynophilie française tendant à
monopoliser les inscriptions et la tenue des livres d'origines entre les mains
de l'organe central, qui devrait se borner à les enregistrer pour les
centraliser ; s'il faut l'interpréter comme un progrès, en raison du
contrôle absolu accordé au club en question, on peut s'en féliciter dans une
certaine mesure. Mais on doit s'étonner alors qu'au lieu de supprimer un stud-book
très sérieux on n'ait pas simplement décidé qu’il serait seul qualifié pour
recevoir les inscriptions de tous les chiens de cette race ; c'eût été, en
comblant la lacune que nous avons signalée ci-dessus, donner la preuve de la
bonne intention en affirmant une politique nouvelle. On doit en outre
s'étonner, dans le cas d'une telle intention, que l'organisme dirigeant n'ait
pas, en même temps, invité tous les clubs à demander à leur profit le même
contrôle absolu, obligatoire et préalable, pour l'inscription des chiens
appartenant aux races dont ils sont responsables. Car tout se passe comme si
l'octroi de ce contrôle était indésirable, et l'âpre discussion, qui n'aboutit
qu'après deux ans au protocole accordant ce contrôle au Club français du
griffon à poil dur, semblerait bien prouver que la plupart des dirigeants n'ont
cédé qu'à regret.
Sans doute, dans l'état actuel de l'organisation d'un bon
nombre de clubs, il n'est pas opportun d'étendre à tous et délibérément une
telle mesure ; mais il en est plusieurs, et non des moindres, qui sont à
la hauteur de cette tâche. Quant aux autres, il serait peut-être opportun de
leur faire entrevoir l'intérêt qu'ils auraient à mieux s'organiser, à mieux comprendre
leur vrai rôle, afin de mériter un jour de se voir octroyer ce contrôle
exclusif, non comme un privilège, mais comme une fonction normale. C'est ainsi
qu'on accorde à certains pays en tutelle, longtemps considérés comme mineurs,
l'autonomie de leurs institutions quand ils sont devenus majeurs.
C'est en ce sens que cette suppression du L.O.G., analysée
dans sa genèse et dans ses conséquences, dépasse largement la confrérie des griffonniers.
Il appartient à tous les clubs d'en tirer conclusion et, selon leurs
aspirations, de faire leur profit de ce dilemme que, dans leur intérêt, nous
avons cru devoir dénoncer : progrès ou régression ?
Jean CASTAING.
|