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La pêche en rivière …

sur la Côte d'Azur

Le titre de cet article parait paradoxal ou fantaisiste. Il correspond cependant à la réalité. Tout au moins, s'il n'est pas entièrement vrai aujourd'hui, il le sera demain.

La Cote d'Azur, centre mondial de tourisme, s'efforce d'amener vers elle tous ceux qui possèdent loisirs et fortune. Or, nul ne l'ignore, la pêche sportive est pratiquée par une élite qu'il convient d'attirer et de retenir.

Tout récemment, à Cannes, un comité dont le président d'honneur est M. Haag, préfet des Alpes-Maritimes, s'est constitué en vue de créer un centre d'attraction susceptible de séduire les Français et, plus encore, les étrangers, dont la pêche en rivière constitue la distraction favorite. L'initiative de ce mouvement revient à M. J.-P. Verdet, président du Fishing-Club de Cannes, affilié au Fishing-Club de France.

La rivière — ou plus exactement le fleuve côtier — qui a été choisie comme base de l'expérience est la Siagne. Né dans les montagnes dominant Grasse, ce cours d'eau se jette dans le golfe de la Napoule. Sa longueur est médiocre : 36 kilomètres. Mais ses eaux, d'une limpidité et d'une fraîcheur merveilleuses, servent d'habitat idéal à la truite, au black-grass, perche noire importée d'Amérique, et à d'autres espèces, rares ou communes. Le décor ne cesse d'être admirable. Il a son importance : le pêcheur est un fervent de la nature et, souvent, un poète. Malgré sa faible étendue, la Siagne réunit et résume des caractères opposés et toujours séduisants. Dans son cours supérieur, elle est semblable à un torrent alpestre rapide, fougueux, bondissant, qui se creuse un passage à travers le roc. Elle s'apaise ensuite et décrit des méandres entre des rives ombreuses. Partout, le ciel de Provence dispense sa lumière et ses enchantements.

Avant la guerre, une première tentative avait été faîte pour repeupler la Siagne. Plus de 150.000 alevins y avaient été déversés. Des truites, atteignant parfois 5 kilogrammes, avaient été enlevées par les champions de la pêche sportive. Un bon pêcheur s'en revenait couramment, en fin de journée, avec 2 ou 3 kilogrammes de poisson dans son panier.

En ce domaine comme dans tous les autres, la guerre apporta ses ravages. Seules, des espèces communes survécurent au braconnage, à la pollution des eaux. Aujourd'hui, celui qui établit son terrain de pêche sur les bords de la Siagne ne capture que des chevesnes et des mulets, abondants d'ailleurs.

L'effort qui est en voie de réalisation apparaît considérable. Malgré leur aridité, nous citerons quelques chiffres. Par le procédé des boîtes Vibert, 50.000 œufs de Salmonidés seront mis, à titre d'essai, dans les sables et graviers des frayères. Seront déversés 60.000 alevins de truites, 9.000 truitelles, 12.000 carpes, 12.000 tanches, 15.000 black-grass, 10.000 carpes miroirs, 10.000 saumons de fontaine, 10.000 gardons.

Déjà, en 1949, 10.000 black-grass ont été déversés, dont certains pèsent 700 grammes.

En avril dernier, 5.000 alevins de truites sont venus leur tenir compagnie. Les poissons blancs, particulièrement féconds et au développement rapide, formeront le menu peuple des eaux.

Plus haut, nous avons mentionné le black-grass. La pêche de cette perche noire connaît une grande vogue aux États-Unis et au Canada. Sans supplanter celle de la truite, elle est particulièrement appréciée, grâce à son caractère sportif et, c'est pourquoi le Fishing-Club de Cannes attache une grande importance à son acclimatation.

De son côté, la société de pêche de Grasse ne restera pas inactive, puisqu'elle confiera 50.000 alevins et 15.000 truitelles aux eaux légères de la Siagne.

Au total, au cours d'une campagne de trois ans, 300.000 poissons, valant 3 millions, auront été confiés à la rivière. A une époque où l'on jongle avec des chiffres astronomiques, ceux que nous citons risquent de ne pas frapper les esprits. Ils représentent cependant un effort considérable et aussi un exemple. Trop souvent, en France, la pêche est considérée par le grand public et par les autorités comme la distraction futile de bourgeois timorés trempant du fil dans l’eau. Dans ce journal, il est superflu de dire combien cette conception est fausse, surtout quand il s'agit de la pêche au lancer ou de la pêche à la mouche. Il suffit d'avoir pratiqué ces exercices pour se convaincre qu'ils réclament agilité, souplesse, endurance physiques, don d'observation, subtilité, adresse. Et nous en passons ...

La pêche mérite donc d'être officiellement encouragée et de prendre place dans cette industrie touristique qui est l'une des richesses de la France.

Les fleuves et les rivières ne manquent pas, ni les sites. La crise n'affecte que les poissons. Elle peut être surmontée si, partout, on relève la démographie aquatique, si l'on peut ainsi dire. Tous ceux qui s'emploient à cette tâche méritent encouragements et sympathie. Et c'est pourquoi nous avons consacré cette brève étude à la pêche en rivière au pays de la mer latine.

Jean BUZANÇAIS.

Le Chasseur Français N°652 Juin 1951 Page 342