On dit souvent que les cours d'eau non navigables ni
flottables appartiennent aux propriétaires des propriétés qu'ils traversent
dans toute la traversée et que les riverains de ces cours d'eau en ont la propriété
jusqu'à la moitié de leur largeur. Cette manière de s'exprimer n'est pas
correcte et a l'inconvénient de donner une idée inexacte des droits des
propriétaires dont ces cours d'eau traversent ou bordent la propriété.
Le siège de la matière se trouve dans les articles 2 et 3 du
livre II du Code rural. Aux termes de l'article 3, le lit des cours d'eau non
navigables et non flottables appartient aux propriétaires des deux rives. Si
les deux rives appartiennent à des propriétaires différents, chacun d'eux a la
propriété de la moitié du lit. On le voit, le droit de propriété ne s'applique
qu'au lit des cours d'eau ; il ne s'étend pas aux eaux, sur lesquelles les
propriétaires n'ont qu'un droit d'usage ; ainsi en décide l'article 2, qui
porte que les riverains n'ont le droit d'user de l'eau courante, qui borde ou
qui traverse leurs héritages, que dans les limites déterminées par la loi.
Quant aux produits naturels que les riverains sont autorisés à prendre par le
troisième alinéa de l'article 3, ce sont les produits du lit, tels que les
végétations qui y naissent, les vases, les pierres et le sable qui s'y trouvent.
Mais cela ne s'étend pas aux poissons qui y vivent en état de liberté et sont,
comme le gibier, considérés comme n'appartenant à personne tant qu'ils n'ont
pas été capturés. Et leur capture, quel que soit le moyen employé pour
l'obtenir, constitue un fait de pêche.
Si les riverains des cours d'eau non navigables et non
flottables ne peuvent prétendre avoir la propriété du poisson qui s'y trouve, au
droit ou dans la traversée de leur propriété, du moins y ont-ils, à l'exclusion
de tous autres, le droit de pêche. Ceci résulte des dispositions de l'article
2, premier alinéa, de la loi du 15 avril 1829. Et l'article 5 ter de la
même loi punit d'amende, et éventuellement de dommages-intérêts, tout individu
qui se livrera à la pêche d'eau douce sans la permission de celui auquel le
droit de pêche appartient.
On sait que, depuis la loi du 24 septembre 1943, il est
interdit de se livrer à la pêche sans avoir adhéré à une association de pêche
agréée par le ministre de l'Agriculture et y avoir payé sa cotisation et payé
en outre une taxe annuelle destinée à faire face aux dépenses de surveillance
et de mise en valeur du domaine piscicole national ; c'est, en fait,
l'application à la pêche de la disposition de la loi du 27 décembre 1941, qui
subordonne le droit au permis de chasse à l'adhésion préalable à une société
départementale de chasseurs.
Il nous a été récemment demandé si les dispositions de la
loi du 24 septembre 1943, qui imposent aux pêcheurs l'obligation d'adhérer à
une association de pêche agréée et de payer la taxe annuelle, sont applicables
aux riverains des cours d'eau non navigables et non flottables lorsqu'ils
pèchent dans la partie du cours d'eau bordée par leur propriété, et pour
laquelle l'article 2 de la loi du 15 avril 1829 leur reconnaît le droit de
pêche. Bien que la question ne soit pas spécialement envisagée dans les textes,
il ne nous paraît pas douteux que la réponse à la question posée doit être
affirmative. Cette solution nous paraît imposée par la généralité de la
disposition des articles 5 et 5 ter de la loi du 15 avril 1829, modifiée par la
loi du 24 septembre 1943 ; le premier de ces textes, sans faire aucune
distinction, porte que « nul ne pourra se livrer à la pêche s'il ne fait
partie d'une association de pêche agréée ... et s'il n'a versé, en sus de
sa cotisation, une taxe annuelle ..., etc. » ; et l'article 5
punit d'une amende tout individu « qui se livrera à la pêche sans observer
les prescriptions de l'article 5 », sans aucune distinction. Au surplus,
cette solution est renforcée par l'analogie avec la réglementation de la
chasse, qui exige l'adhésion à une société départementale et la délivrance du
permis de chasse, même pour le propriétaire qui chasse sur sa propriété, à
moins que cette propriété ne soit entièrement clôturée et attenante à
l'habitation.
Et nous ajouterons que la solution serait la même si le
cours d'eau non navigable traversait la propriété et ne la bordait pas
seulement.
Paul COLIN,
Docteur en droit, Avocat honoraire à la Cour d'appel de Paris.
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