Passons rapidement sur la pêche industrielle du turbot au
chalut ; ce sont quelques milliers de tonnes par an qui sont amenées dans
les ports de pêche de La Rochelle et de Boulogne ; le chalut les drague
par 30 à 50 brasses dans les fonds de la mer du Nord ou sur les bases du
plateau continental atlantique. Il s'agit de turbot de 2 à 5 kilogrammes
particulièrement épais dont la saveur est moins fine que celle des petits
turbots des côtes sableuses que l'on prend par la si amusante, bien que
fatigante, pêche à la senne (dite garolle dans le Midi), qui se pratique la
nuit pendant les marées basses de grande amplitude, et qui est si fructueuse
dès la fin septembre.
Pour la pêche à la ligne, le meilleur appât est un petit
morceau de poisson frais. Tous les poissons peuvent convenir, ceux d'eau douce
comme ceux d'eau salée ; les meilleurs sont ceux qui présentent la chair
la plus ferme, la peau la plus solide. Je donne la préférence à l'anguille,
dont la forme allongée se prête admirablement à la meilleure utilisation ;
une seule anguille de 40 centimètres peut fournir l'esche d'une vingtaine
d'hameçons ; après l'avoir tuée, on la fendra en deux avec une lame de
rasoir, sans la peler et on séparera les deux filets en jetant l'arête centrale ;
chaque filet est découpé en petits rectangles de 1 à 2 centimètres de large et
de 5 à 6 centimètres de long. Chaque rectangle, muni de sa peau, sera traversé
deux ou trois fois par un hameçon n° 1 ou 2. L'anguille tient admirablement à
l'hameçon ; souvent même on peut faire dégorger l'appât de la bouche des
turbots et le faire resservir immédiatement. A défaut d'anguille, on peut
utiliser les filets de tanche ou de perche, mais ils sont bien moins
résistants. Parmi les poissons de mer, le congre est le meilleur, ainsi que les
filets de maquereaux, et les lançons. Le poisson salé convient également, mais
il est moins péchant que le poisson frais ; il est toutefois prudent d'en
avoir en réserve dans une petite boîte en bois où on aura soigneusement placé
des filets d'anguilles entre deux couches de sel. L'anguille salée peut ainsi
être gardée une saison.
Un excellent appât est fourni par des morceaux de seiche
découpés aux mêmes dimensions que l'anguille et qui, frais ou salés, tiennent fort
bien à l'hameçon.
Le turbot, nous l'avons vu, se pêche à la ligne sur les
plages sableuses de l'Atlantique. On utilise des cordeaux ou libourets. Ces
cordeaux, de 50 à 60 mètres, seront terminés par des plombs de 200 à 300
grammes ; ils porteront trois hameçons espacés de 80 centimètres et mis
sur avançons en nylon de 40 centièmes. Le cordeau étant lancé à la main en
tournoyant ou à la perche, on augmente ses chances, quand on est un lanceur
confirmé, en mettant deux ou trois autres hameçons, 7 ou 8 mètres plus bas :
en ce cas, faire bien attention à ne point s'accrocher la main ou l'oreille par
un hameçon de derrière traversant l'air à grande vitesse. Le cordeau lancé, on
le laisse posé sur le sol et on enfonce le liège à un piquet. Si on emploie une
canne de surf-casting, on laissera le fil assez mou avant d'arrêter le cliquet
du moulinet.
Je déconseille fortement les cordeaux entièrement en nylon.
Le nylon ne convient, sur grande longueur, que s'il est enroulé à un moulinet.
Déroulé sur la plage, avant d'être lancé, il a tendance à se mêler, une fois
lancé ; la ligne devant rester molle, il a tendance à faire des perruques
effroyables avec les hameçons autour des branches du plomb. Une bonne ligne en
lin suffit, le turbot n'est d'ailleurs pas très méfiant.
J'oubliais de dire que la pêche est surtout fructueuse fin
septembre, quand les turbots approchent de la côte et deviennent de dimensions
raisonnables ; les meilleurs mois sont octobre et novembre ; à partir
de janvier, la pêche devient aléatoire. Les meilleures heures sont deux heures
avant et une heure après la marée basse, surtout pendant les marées de grande
amplitude. Les meilleurs coins sont les cuvettes d'eau protégées du ressac où
la mer, même assez forte, laisse quand même au cordeau la possibilité de tenir.
La pêche de nuit à la ligne est quasi nulle ; il est
curieux de constater que les turbots, pourtant abondants la nuit sur les bancs
de sable, ne mordent pas.
Chaque pêcheur peut être muni de cinq ou six cordeaux ;
il peut laisser sa ligne tendue une heure ou deux sans la lever : en
effet, le turbot accroché ne se débat ni ne se décroche. Ainsi, pendant deux ou
trois heures, le pêcheur peut passer d'un cordeau à l'autre, sortir ses prises
et relancer le cordeau dans un trou voisin non encore exploré.
La pêche au turbot est particulièrement agréable en octobre
sur la côte des Landes, à condition de n'être pas chasseur, car, au même
moment, passent les vols de migration de bisets et de palombes ;
malheureusement, la nature veut que ces deux plaisirs arrivent en même temps
et, trop souvent, les belles journées de turbots sont les jours de passages
d'oiseaux ; il faut sacrifier l'un pour l'autre et ne pas courir à la fois
palombes et turbots. Mais que choisir, un petit matin d'octobre, quand l'aube
verte et rouge à l'est laisse présager un ciel pur et un soleil assez chaud ?
Le farniente de la palombière ou la nonchalance sur le sable ? Le
battement d'ailes des appeaux parmi les branches de pins ou des chênes ou
l'expiration fraîche de la vague mourant sur le sable face à la mer, la mer
toujours recommencée, comme disait Paul Valéry.
LARTIGUE.
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