Accueil  > Années 1951  > N°652 Juin 1951  > Page 358 Tous droits réservés

L'eau dans les campagnes

Le problème de l'eau dans nos campagnes est d'une extrême importance. Sur près de 38.000 communes françaises dont la population est inférieure à 6.000 habitants, 11.000 seulement possèdent un service commun de distribution d'eau. Des statistiques établies à propos du plan Monnet ont fait ressortir que plus de 15 millions de Français ne bénéficient pas de la distribution publique de l'eau. C'est là un chiffre effarant en plein siècle de « civilisation matérielle ». Nous sommes donc en présence non pas d'un problème local ou régional, mais d'un vaste problème national. C'est le bien-être, l'hygiène, la santé de millions de nos compatriotes qui sont en jeu, et aussi, pour une large part, l'amélioration de nombreuses productions agricoles. Songeons également à l'économie de forces qui en résultera. Plus de charrois accablants. L'eau doit être là où on doit l'utiliser pour éviter des pertes de temps : éviers, chambre des eaux, potager, étables, laiteries, etc. ... A la suite de la sécheresse de l'été 1949, une enquête a été faite dans quinze exploitations de régions différentes pour dégager une moyenne des temps perdus aux corvées et charrois d'eau journaliers. Il en résulte que ces pertes sont considérables et correspondent à :

    - 300 heures par an pour les exploitations jusqu'à 10 ha.
    - 500 heures par an pour les exploitations de 10 à 50 ha.
    - 800 heures par an pour les exploitations de plus de 50 ha.

La solution idéale est de doter les communes de services publics de distribution de l'eau. Bien entendu, dans les régions où les fermes sont trop dispersées, cette solution ne pourra être économiquement adoptée. Néanmoins, les spécialistes de la question estiment que 16.000 communes présentent les conditions nécessaires pour être équipées d'une façon rentable.

La création d'un système d'adduction et d'un réseau de distribution présente l'avantage de rendre possible la captation des nappes profondes et des eaux de sources, ou encore de traiter l'eau courante. Les collectivités doivent s'adresser au Génie rural de leur région. Ce service, qui, nous devons le souligner, a accompli et continue d'accomplir des efforts très méritoires dans ce domaine, donnera les précisions techniques et administratives pour aboutir à des réalisations.

Nous nous bornerons, dans ce court article, à donner quelques considérations d'ordre technique. Il faut se garder dans ce problème de l'esprit d'économie. Un système d'adduction ne s'amortit pas en quelques années ; 15, 30 et même 40 ans sont nécessaires. Le matériel employé doit donc être d'excellente qualité. Il faut avant tout tenir compte de la nature du sol. En effet, les canalisations peuvent être attaquées par les constituants de ce sol et, si elles ne sont d'une qualité éprouvée, elles risquent de se perforer. C'est là un accident grave par suite des infiltrations qui se produiront. Les tuyaux en fonte et acier ont été couramment utilisés jusqu'ici. Le fibrociment n'est pas, à notre avis, à recommander, sauf conditions tout à fait spéciales d'utilisation. En revanche, deux matériaux nouveaux retiennent l'attention des spécialistes : le verre et particulièrement la matière plastique. Ces tuyaux offrent l'avantage de pouvoir être soudés et, par conséquent, être employés sans joint depuis la nappe jusqu'au point d'utilisation. Signalons que des techniques nouvelles sont employées avec succès pour neutraliser les risques de corrosion des tuyaux d'acier. On utilise maintenant une gaine de soie de verre goudronnée.

Cette enveloppe est très supérieure au jute asphalté employé avant la guerre 1939.

Il faut tenir compte des installations électriques situées dans la région ou l'adduction est réalisée. Des phénomènes d'électrolyse peuvent se produire, résultant de « courants vagabonds » provoqués par les retours à la terre. Ces phénomènes risquent de détériorer le métal de la canalisation. A cet égard, la gaine de soie de verre offre une protection tout à fait efficace.

Les travaux de fouilles et de terrassement entraînent des dépenses très importantes. Cependant, dans certains cas, la pose des canalisations peut être réalisée au moyen d'une charrue draineuse ou charrue taupe. Cet instrument est formé d'un coutre très robuste porté par un fort bâti. Au lieu d'être terminé par un soc étroit, comme dans la sous-soleuse, ce soc est remplacé par un corps draineur tirant un boulet. Quand cet instrument travaille, il forme dans le sol un véritable cylindre. En adaptant au boulet des tuyaux en matière plastique dont les éléments sont soudés, la canalisation se loge dans le cylindre formé par le boulet du corps draineur au fur et à mesure de l'avancement de celui-ci dans le sol. Les ingénieurs estiment que cette technique doit se développer et se perfectionner dans l'avenir.

Comment financer ces importants travaux, l'acquisition du matériel, la construction des réservoirs, etc. ? ... L'État subventionne les communes, moitié en capital, moitié en annuités. Les communes sinistrées ou économiquement faibles bénéficient d'une majoration sur la part attribuée en capital. L'autre moitié de la subvention est réalisée par un emprunt local émis par la commune auprès de ses ressortissants. Ainsi les habitants s'intéressent directement aux travaux dont ils doivent être les bénéficiaires. C'est l'État qui prend en charge l'annuité qui peut s'échelonner, à la demande de la commune, de 15 à 30 ans à 5 p. 100. Les communes peuvent se grouper en syndicat pour réaliser entretenir et exploiter leur réseau. Ces groupements présentent d'incontestables avantages et, notamment, celui de réduire les frais de réparations, grâce à l'application de méthodes rationnelles d'entretien.

Nous soulignerons, pour terminer, que la création d'un réseau de distribution de l'eau potable n'a pas pour but l'installation de bornes fontaines, mais le branchement à la ferme. C'est ce branchement qui transforme totalement l'économie de l'exploitation. Il apporte, avec l'aisance et le confort, la joie de l'hygiène, l'abreuvement sain du bétail, la facilité de l'entretien des étables et écuries, les arrosages opportuns du potager et de certaines cultures, etc ...

Pas d'eau, pas de modernisation, pas de goût de rester à la terre. Nous aurons l'occasion de revenir là-dessus.

G. DELALANDE.

Le Chasseur Français N°652 Juin 1951 Page 358