Le problème de l'eau dans nos campagnes est d'une extrême
importance. Sur près de 38.000 communes françaises dont la population est
inférieure à 6.000 habitants, 11.000 seulement possèdent un service commun de
distribution d'eau. Des statistiques établies à propos du plan Monnet ont fait
ressortir que plus de 15 millions de Français ne bénéficient pas de la
distribution publique de l'eau. C'est là un chiffre effarant en plein siècle de
« civilisation matérielle ». Nous sommes donc en présence non pas
d'un problème local ou régional, mais d'un vaste problème national. C'est le
bien-être, l'hygiène, la santé de millions de nos compatriotes qui sont en jeu,
et aussi, pour une large part, l'amélioration de nombreuses productions agricoles.
Songeons également à l'économie de forces qui en résultera. Plus de charrois
accablants. L'eau doit être là où on doit l'utiliser pour éviter des pertes de
temps : éviers, chambre des eaux, potager, étables, laiteries, etc. ...
A la suite de la sécheresse de l'été 1949, une enquête a été faite dans quinze
exploitations de régions différentes pour dégager une moyenne des temps perdus
aux corvées et charrois d'eau journaliers. Il en résulte que ces pertes sont
considérables et correspondent à :
- 300 heures par an pour les exploitations jusqu'à 10 ha.
- 500 heures par an pour les exploitations de 10 à 50 ha.
- 800 heures par an pour les exploitations de plus de 50 ha.
La solution idéale est de doter les communes de services
publics de distribution de l'eau. Bien entendu, dans les régions où les fermes
sont trop dispersées, cette solution ne pourra être économiquement adoptée.
Néanmoins, les spécialistes de la question estiment que 16.000 communes
présentent les conditions nécessaires pour être équipées d'une façon rentable.
La création d'un système d'adduction et d'un réseau de
distribution présente l'avantage de rendre possible la captation des nappes
profondes et des eaux de sources, ou encore de traiter l'eau courante. Les
collectivités doivent s'adresser au Génie rural de leur région. Ce service,
qui, nous devons le souligner, a accompli et continue d'accomplir des efforts
très méritoires dans ce domaine, donnera les précisions techniques et
administratives pour aboutir à des réalisations.
Nous nous bornerons, dans ce court article, à donner
quelques considérations d'ordre technique. Il faut se garder dans ce problème
de l'esprit d'économie. Un système d'adduction ne s'amortit pas en quelques
années ; 15, 30 et même 40 ans sont nécessaires. Le matériel employé doit
donc être d'excellente qualité. Il faut avant tout tenir compte de la nature du
sol. En effet, les canalisations peuvent être attaquées par les constituants de
ce sol et, si elles ne sont d'une qualité éprouvée, elles risquent de se
perforer. C'est là un accident grave par suite des infiltrations qui se
produiront. Les tuyaux en fonte et acier ont été couramment utilisés jusqu'ici.
Le fibrociment n'est pas, à notre avis, à recommander, sauf conditions tout à
fait spéciales d'utilisation. En revanche, deux matériaux nouveaux retiennent
l'attention des spécialistes : le verre et particulièrement la matière
plastique. Ces tuyaux offrent l'avantage de pouvoir être soudés et, par
conséquent, être employés sans joint depuis la nappe jusqu'au point
d'utilisation. Signalons que des techniques nouvelles sont employées avec
succès pour neutraliser les risques de corrosion des tuyaux d'acier. On utilise
maintenant une gaine de soie de verre goudronnée.
Cette enveloppe est très supérieure au jute asphalté employé
avant la guerre 1939.
Il faut tenir compte des installations électriques situées
dans la région ou l'adduction est réalisée. Des phénomènes d'électrolyse
peuvent se produire, résultant de « courants vagabonds » provoqués
par les retours à la terre. Ces phénomènes risquent de détériorer le métal de
la canalisation. A cet égard, la gaine de soie de verre offre une protection
tout à fait efficace.
Les travaux de fouilles et de terrassement entraînent des
dépenses très importantes. Cependant, dans certains cas, la pose des
canalisations peut être réalisée au moyen d'une charrue draineuse ou charrue
taupe. Cet instrument est formé d'un coutre très robuste porté par un fort
bâti. Au lieu d'être terminé par un soc étroit, comme dans la sous-soleuse, ce
soc est remplacé par un corps draineur tirant un boulet. Quand cet instrument
travaille, il forme dans le sol un véritable cylindre. En adaptant au boulet
des tuyaux en matière plastique dont les éléments sont soudés, la canalisation
se loge dans le cylindre formé par le boulet du corps draineur au fur et à
mesure de l'avancement de celui-ci dans le sol. Les ingénieurs estiment que
cette technique doit se développer et se perfectionner dans l'avenir.
Comment financer ces importants travaux, l'acquisition du
matériel, la construction des réservoirs, etc. ? ... L'État
subventionne les communes, moitié en capital, moitié en annuités. Les communes
sinistrées ou économiquement faibles bénéficient d'une majoration sur la part
attribuée en capital. L'autre moitié de la subvention est réalisée par un
emprunt local émis par la commune auprès de ses ressortissants. Ainsi les
habitants s'intéressent directement aux travaux dont ils doivent être les
bénéficiaires. C'est l'État qui prend en charge l'annuité qui peut
s'échelonner, à la demande de la commune, de 15 à 30 ans à 5 p. 100. Les
communes peuvent se grouper en syndicat pour réaliser entretenir et exploiter
leur réseau. Ces groupements présentent d'incontestables avantages et,
notamment, celui de réduire les frais de réparations, grâce à l'application de
méthodes rationnelles d'entretien.
Nous soulignerons, pour terminer, que la création d'un
réseau de distribution de l'eau potable n'a pas pour but l'installation de
bornes fontaines, mais le branchement à la ferme. C'est ce branchement qui
transforme totalement l'économie de l'exploitation. Il apporte, avec l'aisance
et le confort, la joie de l'hygiène, l'abreuvement sain du bétail, la facilité
de l'entretien des étables et écuries, les arrosages opportuns du potager et de
certaines cultures, etc ...
Pas d'eau, pas de modernisation, pas de goût de rester à la
terre. Nous aurons l'occasion de revenir là-dessus.
G. DELALANDE.
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