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Le canard de Rouen clair

II faut voir ce qui est, et se lamenter sur un mal ne le supprime pas : le canard de Rouen clair se laisse détrôner de beaucoup d'élevages pour laisser de plus en plus la place à des sujets de race étrangère. C'est regrettable de le constater, non par chauvinisme, mais parce que ce canard français a tout ce qu'il faut pour garder une première place, surtout dans les élevages moyens et familiaux. Sa chair délicate en fait le délice des gourmets, et son tempérament pacifique permet un engraissement rapide. C'est le type parfait du canard à viande, d'un poids intéressant, et qui n'en garde pas moins, par ses coloris splendides, un aspect des plus chatoyants.

Alors, pourquoi est-il en défaveur ? Nous savons bien que certains éleveurs gardent encore de bonnes et belles souches, mais qui oserait prétendre, en regardant les listes et palmarès des dernières expositions avicoles, que son élevage n'est pas en régression, tant en qualité qu'en quantité ?

Race pour la viande, le Rouen clair a un concurrent redoutable : le Pékin, dont la femelle pond beaucoup, ce qui permet d'obtenir des canetons aussi charnus, mais plus précoces. Il y a eu un véritable engouement pour ce beau canard safrané, et on a abandonné le canard français à son sort.

Relèvera-t-on cette race ? Pour cela, il faudrait que plusieurs éleveurs sélectionneurs prennent cette tâche à cœur, en essayant d'obtenir des sujets pondant de bonne heure et longtemps, tout en gardant leurs qualités déjà existantes au point de vue chair. Ainsi, on pourrait élever des canetons très tôt dans la saison, sans être obligés de recourir à des croisements industriels qui ne donnent pas toujours les résultats réguliers que l'on en attend.

Résultats qui pourraient être d'autant plus faciles à obtenir que ce canard est très rustique, d'un élevage qui se déroule généralement sans ennui. A notre avis, il reste encore le canard idéal pour les petits élevages familiaux et fermiers. A deux mois, il peut arriver à peser quatre livres, et certains adultes engraissés atteignent 4 kilogrammes, et même davantage.

Les canetons, quand ils sont bien nourris, grossissent à vue d'œil. La nourriture des premiers, jours doit être de choix, mais, par la suite, afin d'obtenir des résultats rentables, il sera indispensable de distribuer une nourriture plus économique. Les canards sont, en effet, de gros mangeurs. C’est pour cette raison que l'on incorpore de grandes quantités de verdure aux pâtées, qui, par contre, devront contenir suffisamment d'éléments azotes pour être bien équilibrées.

Quant aux adultes reproducteurs, ils demandent environ, par jour et par tête, 100 grammes de pâtée et 30 grammes de grain.

Les frais de logement sont minimes, et cela ne doit pas arrêter l'éleveur : de simples cabanes de bois, faciles à nettoyer, sont suffisantes.

Élevage sans difficultés, donc, que celui du canard de Rouen clair. Tentez-en l'expérience : elle vous sera certainement profitable si elle est bien menée.

Une sélection rigoureuse peut sauver de l'oubli une grande race française : celle-ci en vaut la peine. Profitons, avant qu'il ne soit trop tard, des méthodes déjà appliquées à certaines races étrangères et qui se sont révélées concluantes. Ne pas avancer, c'est reculer, et une telle attitude à l'égard de l'élevage du canard de Rouen clair serait un arrêt de mort pour cet animal si réputé.

E. DE JEANAY-CHALENS.

Le Chasseur Français N°652 Juin 1951 Page 362