Lorsque les caractéristiques générales des V-l allemands qui
sillonnèrent le ciel en 1944 furent connues … certains techniciens de
l'aéronautique française virent, de ce fait certaines de leurs vues
magistralement confirmées.
En effet, depuis 1943 ces derniers, se basant sur les remarquables
travaux des précurseurs français : Esnault, Pelleterie, Morin, Marconnet et
Leduc, avaient admis que les clef de voûte du progrès en matière de moteur
étaient l'aérodynamique interne et la thermodynamique.
Mais, si les Allemands avaient pu s'inspirer de ces études
françaises et travailler en toute quiétude à leurs réalisations, il ne pouvait
en être de même pour nos ingénieurs, toujours étroitement surveillés par
l'occupant. Cependant, c'est en pleine clandestinité, avant l'avènement du V-l,
que fut dessiné le projet du pulso-réacteur « Escopette ».
Près de sept années de persévérants efforts et ... une
solution neuve, liée aux différentes possibilités de la propulsion par
réaction, vient d'être réalisée par les ingénieurs français. Solution
d'avant-garde certainement. Le pulso-réacteur « Escopette » est le
premier de ce type — pratiquement sans aucune pièce en mouvement — qui ait
permis le vol total c'est-à-dire le décollage. Ce problème
n'avait encore été résolu par aucun propulseur de ce type, ni par aucun statoréacteur
au monde.
Un planeur classique du type « Émouchet », équipé de
quatre exemplaires de ce petit pulso-réacteur, a volé il y a quelques mois avec
une remarquable aisance. Première expérience pratique avec des pulso-réacteurs
de faible puissance, mais qui ouvre la voie à des réalisations plus puissantes.
Sans trahir aucun secret, il est possible de dire que l'équipe d'ingénieurs et
de techniciens de la S. N. E. C. M. A. « voit » déjà plus puissant.
Généralités sur les pulso-réacteurs.
— A l'origine, pour réaliser un pulso-réacteur simple, on
envisageait essentiellement un long tube cloisonné en deux parties intérieures.
Au centre de la cloison, une soupape obturant ou libérant le
trou. Côté queue de soupape, la partie du tube était réservée à l'admission ;
côté tête de soupape, le tube était muni d'une bougie d'allumage et ce dernier
fonctionnait comme une tuyère de réacteur.
Cette conception n'était guère heureuse, car le problème de
la « tenue » de la soupape ou du clapet mécanique aux hautes
températures se posait, pratiquement insoluble. De plus, les pertes de
remplissage en gaz étaient inévitables en raison du déphasage du mouvement de
l'air par rapport à celui du clapet ou soupape à chaque pulsation. Diverses
solutions furent envisagées pour réduire au minimum ce déphasage : un
léger ressort de rappel de la soupape devait permettre notamment à cette
dernière de n'absorber qu'une énergie pratiquement négligeable pour son mouvement
de va-et-vient à chaque pulsation.
Finalement tout système mécanique fut abandonné pour
l'admission des gaz. L'on s'orienta alors vers un système basé sur
l'utilisation de circuits à base tourbillonnaire. En 1944, le dessin
d'exécution du premier « détecteur tourbillon » était lancé. Le
premier clapet « aérodynamique » était né, il allait permettre de
réaliser la conception initiale du pulso-réacteur.
En mai 1946, un « tube » de la S. N. E. C. M. A. fonctionnait
avec, dans la chambre de combustion, une pression moyenne supérieure à la
pression totale d'alimentation. Le grand reproche fait au statoréacteur, celui
de ne fonctionner qu'aux grandes vitesses, n'était plus justifié. Cependant, ce
résultat n'avait pas encore été obtenu en point fixe. Un nouveau détecteur très
astucieux, de type « rectiligne », fut mis au point sur le tube et,
en juin 1948, ce dernier permettait de réaliser le fonctionnement au point
fixe avec poussée. Les performances de ce tube étaient les suivantes :
1kg,5 de poussée pour un diamètre de 12 centimètres et une consommation
spécifique de 2 grammes kg/s. C'était évidemment assez maigre ...
Mais, dès cette époque, les progrès se firent rapides.
Le « tube » réalisé aujourd'hui, baptisé « Escopette »,
donne 10 kilogrammes de poussée, mesure 2m,630 de long, 15cm,5 de dia mètre, sa
consommation spécifique est de 1kg,8 kg/h., son poids total est de ... 5
kilogrammes.
Fonctionnement.
— Le pulso-réacteur « Escopette » fonctionne à
l'essence quel que soit son indice d'octane.
La mise en marche nécessite un apport de flammes ou
d'étincelles et une injection d'air comprimé.
Pour sa mise en route, on utilise au démarrage une bougie
alimentée par batterie avec bobine ou magnéto d'allumage. Cette bougie ne
sert qu'à ce moment.
L'injection d'air comprimé s'effectue sous une pression de 3
à 5 hpz, par un orifice de 4 à 10 millimètres de diamètre, qui se trouve à
l'entrée du détecteur et qui est dirigé vers la chambre de combustion.
Injection de courte durée, elle doit cesser dès que le pulso-réacteur commence
à fonctionner, ainsi que le contact électrique. L'injection d'essence doit être
aussi courte que possible, afin de ne pas accumuler celle-ci dans la chambre de
combustion.
Pour stopper le fonctionnement de 1'« Escopette »,
il suffit de couper le circuit d'essence.
L'utilisation de l'« Escopette ».
— Les premiers essais en vol ont été réalisés par un planeur
classique « Émouchet ». Quatre pulso-réacteurs de la S. N. E. C. M.
A., montés sur ce dernier, lui permettent de décoller lui-même et d'atteindre
une vitesse de 160 kilomètres à l'heure. Les « Escopettes » se posent
avec beaucoup de facilité sur ce planeur à aile haute. D'autres adaptations
sont en cours d'achèvement sur divers types d'appareils. Certaines précautions
sont cependant à retenir pour le montage du pulso-réacteur sur avion ou planeur :
ce propulseur devra être placé loin de tout corps facilement inflammable ou
accumulateur de chaleur (essence, bois, corps de couleur sombre). Ces derniers
seront protégés du rayonnement par un revêtement brillant, aluminium poli par
exemple. Des précautions spéciales devront être encore prises pour le placer à
l'intérieur d'un carénage.
Déjà les fervents du vol à voile s'intéressent à ce
pulso-réacteur qui leur permettrait de décoller leur planeur sans avoir recours
au fastidieux treuillage ou à l'onéreux remorquage par avion.
Par ailleurs, ce n'est pas sans un grand intérêt que les
constructeurs amateurs d'avions, très nombreux en France, suivront les essais
actuellement en cours.
En effet, pour ces derniers le problème du moteur de faible
puissance et d'un prix abordable se pose avec plus en plus d'acuité ...
Un, deux, trois ou quatre pulso-réacteurs le remplaceront-ils avantageusement ?
Cette éventualité est fort possible, mais ne peut cependant être envisagée pour
l'immédiat. Une consommation élevée de carburant est l'inconvénient du système.
Les techniciens responsables pensent cependant qu'elle sera réduite dans un
avenir assez proche.
Quant à la question du prix d'un pulso-réacteur, il semble que
ce dernier puisse rester relativement bas, étant donné son extrême simplicité,
le peu de difficultés d'usinage présentées par les pièces mécaniques qui le
composent.
Une mise au point et des essais méthodiques seront
nécessaires pour approcher de la perfection que veulent atteindre les
ingénieurs de la S. N. E. C. M. A. Reprenant le flambeau à nos précurseurs, ils
ont aussi ouvert les portes d'un domaine neuf dont ils soupçonnent les
extraordinaires possibilités.
Maurice DESSAGNE.
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