Il y a une dizaine d'années, avant la dernière guerre, le
microscope était encore considéré comme un instrument de luxe ou l'apanage de
grands savants disposant de parfaits laboratoires.
Aujourd'hui, c'est un appareil presque banal, que l'on
trouve entre les mains de quantité d'étudiants, d'élèves de grandes écoles.
Il est même en passe de devenir un instrument aussi courant,
entre toutes les mains, même profanes, que le simple stylographe ou la montre.
Cette prodigieuse évolution est due à un savant
microscopiste, en même temps que grand industriel, dont le seul défaut est
d'être trop modeste, Tournois. Le premier, cet homme a compris que la
microscopie devait dépasser le cadre purement utilitaire du laboratoire
scientifique ou industriel et devenir un instrument de vulgarisation complète
d'une science passionnante, la microscopie, jusque-là réservée exclusivement à
une élite purement scientifique.
Voir vivre et lutter farouchement les infiniment petits,
voir fonctionner leurs organes internes, voir palpiter leur cœur, digérer leur
estomac, contempler les évolutions, sans cesse changeantes, de multiples
infusoires, rotifères, tardigrades et autres infiniment petits que présentent
les sciences naturelles. C'est pourtant tout cela et bien d'autres merveilles
que les microscopes actuels mettent très facilement à la portée de tous.
Certes, les microscopes protoniques et électroniques coûtent
plusieurs millions et demandent des installations extrêmement onéreuses avec un
personnel d'utilisateurs professionnels hautement instruits et spécialisés.
Mais ils réalisent des grossissements de l'ordre de 100 000 fois qui n'ont
d'intérêt que pour la pure recherche scientifique.
Mais cette nouveauté dans la construction du matériel pour
la vision de l'infiniment petit n'a aucunement fait disparaître le classique
microscope optique, au contraire. Du point de vue grossissement il est à peu
près impossible de faire mieux que les réalisations d'avant-guerre atteignant 2
500 à 3 000, car, à ce stade, les lentilles d'objectif sont réduites au volume
d'une tête d'épingle. Ce qui importe, ce n'est d'ailleurs point le
grossissement proprement dit, mais la netteté de l'image obtenue, la puissance
de dédoublement et l'absence d'auréoles ou d'irisation.
Avant la création du microscope électronique, on avait tenté
— avec succès — la réalisation de procédés spéciaux pour augmenter ces qualités
et l'on était arrivé à l'éclairage des préparations en lumière rasante pour
mettre en évidence les différences de surfaces ou de densité des corpuscules
inclus dans la préparation. Pour les objets non transparents comme les minéraux
ou les métaux, on rétablissait un éclairage de la préparation par dessus, ou
sur fonds noirs.
Il serait fastidieux d'énumérer tout ce qui fut imaginé par
les chercheurs. L'inconvénient était qu'avec la multitude d'objectifs et
d'oculaires et les accessoires, le microscope devenait extrêmement compliqué et
coûteux.
C'est alors que, vers 1936, deux firmes, Leitz et Zeiss,
modifièrent totalement la forme et l'aspect classiques des statifs ou montures.
Cela aboutit à deux classes d'instruments qui devaient peu après donner
naissance à une troisième, plus spécialement adaptée à l'usage de photo et de cinécaméras.
La première catégorie, inspirée par Zeiss et depuis adoptée
par Wild, présentait une forme en quart de cercle sur une base d'abord en
fourche semi-circulaire puis discoïdale. Le gros avantage fut la stabilité
absolue avec la facilité d'usinage pour un prix de revient abaissé.
La seconde catégorie renversa la position du statif qui
présenta sa partie ouverte au manipulateur.
Dans les deux cas, il suffisait de tourner un bouton pour
passer aux divers modes d'éclairages, en même temps que l'on adoptait les
oculaires en forme de jumelles pour acquérir la notion de relief et une vue
stéréoscopique, pendant que les objectifs étaient montés sur tourelle-revolver
pour être immédiatement disponibles.
Le dernier groupe comporte un statif très résistant, et
spécialement étudié pour permettre l'emploi de caméras photographiques ou
cinématographiques sans provoquer de déplacements nuisibles dans la mise au
point optique au cours des manipulations.
L'industrie française vient de sortir de pures merveilles
dans ces modèles, en ayant su utiliser les mises au point des firmes
étrangères.
Ces merveilleuses réalisations, diffusées dans le grand
public par une récente exposition de microscopie au Muséum de Paris, se
trouvent également complétées par la création d'un micromanipulateur dû au
savant Fontbrune de l'Institut Pasteur. Son principe est basé sur la
transmission des mouvements dans les trois directions au moyen de trois petites
pompes actionnées par un seul levier, selon le principe du « manche à
balai » des avions. Ce principe est tout différent du micromanipulateur
mécanique créé par Zeiss, comportant de multiples boutons et n'autorisant pas
une commande unique. Avec l'appareil de Fontbrune on arrive à des
microdissections de microbes grâce à des scalpels en pointe de verre. Le grand
amusement des spécialistes est de réaliser leurs signatures sous le microscope
avec une longueur qui ne dépasse pas le millième de millimètre ...
Mais à côté de ces ensembles scientifiques dont la valeur
totale est de l'ordre du million, il y a la foule des microscopes à la portée
du grand public ... et même des enfants, car la microscopie a atteint le
rôle de la participation à la croisade l'expansion culturelle par la vision
directe et la photographie.
C'est ici qu'il faut rendre un hommage particulier au pionnier
et grand savant Tournois qui a étudié, conçu et réalisé, puis fait construire
de petits microscopes dont le prix oscille autour du millier de francs.
Incontestablement le grossissement est modeste, puisqu'il reste de l'ordre de
deux cents fois. Mais c'est bien suffisant pour des usages ménagers ou courants
ou pour les étudiants. Ils trouvent un emploi même dans les cuisines
particulières pour apprécier la qualité ou la ... falsification de denrées
alimentaires. Ils ont aussi leur place chez le tailleur comme moyen de présenter
aux clients la texture d'un tissu. On pourrait citer maints autres exemples. Il
suffit de dire que le microscope simplifié et bon marché est aujourd'hui rentré
dans les mœurs et que demain il sera d'un usage extrêmement courant. Tout
particulièrement il doit avoir sa place au foyer dans l'armoire à pharmacie tout
à côté du thermomètre médical.
Mais il y a un autre usage du microscope qui est moins
utilitaire. C'est celui du microscope documentaire, qui doit avoir sa place à
côté de l'appareil photographique et du reste se conjugue avec lui grâce à une
simple bague de fixation sur l'objectif.
Il en est de même à l'égard des jumelles que tous les étrangers
plus voyageurs que les Français possèdent. Ces jumelles sont quelque peu
identiques dans leurs principes avec les montages binoculaires des microscopes,
et, dès maintenant, il en existe des modèles simplifiés et peu coûteux pouvant
être facilement utilisés à cet usage, de même que l'on commence à savoir s'en
servir comme petits objectifs grossissants, de véritables téléobjectifs
simplifiés et peu coûteux.
Jumelles, microscope, photocaméra constituent ainsi
l'équipement moderne du chasseur d'images. Ce qu'il faut répéter, c'est que ces
appareils existent dans tous les prix, mais déjà avec un appareillage de trois
mille francs l’amateur peut se pencher sur l'étude des mondes invisibles à
l'œil nu et réaliser des microphotographies de microbes ou des
macrophotographies d'objets déjà visibles, mais demandant des grossissements
pour être distingués en leurs détails.
C'est alors tout un univers nouveau qui se présente aux yeux
émerveillés et pour cela il suffit de savoir effectuer des préparations
microscopiques, ce qui est très facile.
Le processus consiste à saisir l'objet à examiner, à faire sur
lui des coupes très minces avec une lame de rasoir et à le placer sur une
plaque de verre ayant normalement 22 x 75 millimètres, puis à le recouvrir
d'une lamelle de verre très mince que l'on « lute » au moyen d'un
vernis servant à clore de façon hermétique et définitive pour obtenir une
conservation indéfinie.
Tout ce qui est du domaine de la nature, du commerce ou de
l'industrie, peut être alors examiné. On trouvera autant d'intérêt à grossir et
photographier une goutte d'eau sale qu'une croûte de fromage, l'écaille d'un
poisson ou une aile de papillon.
Pour ne citer qu'un exemple, on verra sur une écaille de
poisson quel est son âge par l'accroissement concentrique des stries comme sur
la coupe d'un arbre.
Le grand plaisir ne sera pas du reste limité à l'observation.
Il y a la récolte des documents, et celle-ci est passionnante. Ce seront par
exemple les animalcules qui vivent dans l'eau d'une mare, mais on sera surpris
de la forme des trompes de mouches, des dards de frelons, des aiguillons
d'abeilles. Tout le monde mystérieux des « diatomées », ces algues
unicellulaires situées à la limite des règnes végétal et animal, constituera
des formes étranges aux plus splendides coloris. Il y a encore les poils,
fibres, frottis, membranes et tout cela constitue des splendeurs.
Il existe du reste des ouvrages guides pour débutants, et
aussi toute la gamme pour parvenir aux purs traités pour spécialistes.
Mais il y a un point sur lequel il faut insister, c'est
l'intérêt de photographier ces vues microscopiques et en constituer des
collections.
Sylvain LAJOUSE.
|