La chasse fut incontestablement, à l'origine, l'unique
moyen, pour nos ancêtres, de se procurer de la nourriture. Elle devait être
alors la véritable image de la guerre et l’homme de Cromagnon, entouré de
monstres terriblement dangereux, chassait pour manger, mais devait être assez
fréquemment transformé lui-même en gibier.
Imaginez ce que devait être la poursuite d'une bête
quelconque avec pour armes des sagaies en silex, des javelots et d'énormes
massues de chêne ! Dans les immenses forêts du monde, le gibier, certes,
devait abonder, mais, avec lui, les aurochs, les ours gigantesques, les
mammouths et autres animaux fort agréables à rencontrer au détour d'un sentier.
L'homme de la préhistoire fut donc amené tout naturellement
à observer le gibier, ses mœurs, ses habitudes, car, de celles-ci, découlaient
les moyens les plus efficaces pour le tuer. Cela nécessita des siècles
d'observations, de déductions. De là, automatiquement, des règles s'établirent
et, peu à peu, la chasse devint un art, une science, avant même que les
sciences et les arts proprement dits existassent. Une émulation dut intervenir
entre chasseurs et ces lois, ces règles se perfectionnèrent pour donner
naissance à la « vénerie ». La chasse est partout empreinte sur les
monuments de l'art ancien. Les noms des plus habiles chasseurs de ces époques
révolues ont été précieusement conservés, et la liste serait trop longue pour
la dresser ici.
Par la suite, les engins de chasse se perfectionnèrent et
les flèches lancées par des arcs puissants apparurent. Nos ancêtres, paraît-il,
atteignaient à une adresse extraordinaire, parvenant à tuer un oiseau en plein
vol ou un sanglier en pleine course.
Les chiens furent enfin adaptés à la chasse. Les premiers
dogues apparurent et servirent à forcer l'ours ou le loup, le sanglier ou le
cerf.
En même temps, la fauconnerie, cet art subtil que Charles IX
et Louis XIII amenèrent à sa perfection, fit son entrée, et faucons, tiercelets
et gerfauts, admirablement dressés, permirent de « voler » agréablement
la perdrix, la caille et autre gibier.
Enfin les premières armes à feu furent utilisées. Bourrées
par la gueule, chargées de pierres ou de grenaille, il s'en suivait une énorme
explosion suivie d'un épais nuage de fumée ... les tireurs, aveuglés,
suffoqués, assourdis, à demi assommés par le choc, ne pensaient même plus au
gibier, qu'un serviteur diligent essayait de retrouver dans la broussaille.
Parallèlement à l'évolution de la vie et des armes, la
chasse elle-même se modifia. Les grands animaux avaient disparu, l'homme avait
domestiqué certaines espèces et, s'il chassait beaucoup, c'était encore pour
compléter sa nourriture, certes, mais déjà il chassait pour son plaisir.
Le droit de chasse, qui, chez les nations nomades,
appartenait naturellement à tous, subit plus tard de nombreuses
transformations. Il suivit dans toutes ses vicissitudes le droit de propriété
et, encore aujourd'hui, ces deux droits sont confondus.
La législation romaine a défendu la chasse chez autrui, et
le vieux droit français fait de même. Les rois seuls avaient le droit de
chasser sur tout le sol français, étant réputés propriétaires de leurs sujets,
personnes et biens. Mais la propriété s'affranchit et se dégagea par l'effort
des communes. Louis XI seconda ce mouvement d'émancipation et, en même temps,
le droit de chasse s'étendit.
Ainsi, lors des révolutions communales, les bourgeois des
cités affranchies conquirent la faculté de chasser dans le ressort de leur
banlieue. Toutefois, la réforme se réalisa lentement. Henri IV qui, pourtant,
fut un roi adoré de son peuple, un bon et grand roi, décréta la peine de mort
contre les braconniers pris en récidive à chasser dans les forêts royales.
Louis XIV, pour le même délit, punit les roturiers, pour la
première fois de cent livres d'amende, de deux cents livres pour la seconde et,
pour la troisième, du carcan et du bannissement pendant trois ans de l'étendue
de la maîtrise des Eaux et Forêts où le délit avait été commis.
Le braconnier, pris dans les forêts royales, fut puni du fouet
jusqu'à effusion du sang, de l'emprisonnement au pain et à l'eau, du
bannissement et des galères.
Le code monarchique a puisé aux sources du droit romain et
en a tiré les plus dures conséquences. Aujourd'hui, la loi repose sur le même
principe, c'est-à-dire que le droit de chasse et de propriété passe par les
mêmes phases et reçoit les mêmes modifications, mais la loi est plus humaine :
elle ne bannit plus et ne verse plus le sang pour un délit de chasse.
Sous les gouvernements constitutionnels, le droit de chasse
a préoccupé à plusieurs reprises le législateur. A l'heure actuelle, il demeure
interdit de chasser chez autrui sans autorisation, de chasser en temps prohibé,
et la loi interdit la vente et le transport du gibier pendant le même temps.
Après la révolution, encore peu de gens usent de la
permission de chasser. Seuls, les grands propriétaires perpétuent les
traditions de la vénerie. Seuls ils ont des meutes actives, des équipages
expérimentés.
Peu à peu, cependant, le nombre des permis augmente en
France et une loi de 1844 régit définitivement et légalise la chasse.
Pauvre et chère loi de 1844 ! Que n'a-t-on pas dit sur
elle ? Que d'encre n'a-t-elle pas fait couler ? Depuis, cette époque,
elle est le socle, le fondement de la législation cynégétique. Tout le monde
parle de la renverser, mais elle est là depuis plus d'un siècle, et même un peu
là ! ...
Ce qu'est devenue la chasse aujourd'hui ? D'autres plus
qualifiés que moi l'exposeront longuement. Je me contenterai de donner mon
opinion : la chasse aujourd'hui ? Trop, beaucoup trop de « fusillots »
et de braconniers pour beaucoup trop peu de vrais chasseurs devant un gibier
diminuant terriblement chaque année.
Quelles sont les causes ? Un manque complet
d'organisation, un manque complet de réserves strictement surveillées, une trop
grande indulgence des tribunaux à l'égard des « tueurs », une
surveillance à peu près inexistante, les sociétés constituées s'occupant du
chasseur qui dépasse de peu les limites d'un domaine ou d'une commune, et ne
saisissant qu'exceptionnellement le braconnier.
A mon avis, le nombre énorme de permis délivrés chaque année
n'aurait que relativement peu d'importance si les « chasseurs », les
vrais, ceux qui ne chassent qu'avec leur chien et leur fusil, respectaient les
jeunes, détruisaient les nuisibles, étaient assez raisonnables pour se tenir
dans de justes limites.
La « plaie », c'est le braconnier ! C'est le
« tueur » ! C'est celui qui chasse pour tuer, pour bourrer son
sac de gibier quel qu'il soit, en tout temps et en tout lieu, de jour ou de
nuit, au fusil ou au piège, celui pour lequel seul comptent le tableau ou la
recette.
J'habite un département méridional dont on pourrait faire un
admirable pays de chasse. On y trouve de belles plaines à céréales, des vignes
innombrables, des coteaux broussailleux à souhait, des garrigues, de grands
bois de pins ou de chênes, des forêts de hautes montagnes et de magnifiques
étangs sur le littoral dans lesquels la sauvagine trouve un refuge idéal.
Quels sont les résultats ? Lamentables, catastrophiques !
En dehors de quelques propriétés où la chasse est gardée, partout ailleurs,
c'est le désert ! II y a bien, dans quelques coins, des lapins, mais il ne
reste plus un lièvre : quant aux perdreaux, mieux vaut n'en pas parler.
Plus rien ne subsiste. Les braconniers (connus de tous d'ailleurs) ont tout
détruit, tout ratissé. Les gardes n'agissent que si telle commune a rempli
telles conditions, a payé telle cotisation, etc. De plus, une douzaine de
gardes pour tout le département ! Sans commentaires !
Le chasseur, qui ne peut chasser, faute de relations, qu'en
chasse banale, en est réduit à promener son fusil à la bretelle « afin de
lui donner de l'air », comme ce pêcheur impénitent qui, trempant son fil
dans l'eau d'une rivière sans poissons, déclarait que c'était pour donner une
leçon de nage à ses asticots !
P. BOURREL.
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