Théoriciens et utilisateurs sont presque tous d'accord pour
considérer la finesse du nez comme la qualité première, essentielle, du chien
courant.
La vieille formule : « Le nez est la cinquième
patte », est à la fois très imagée et très juste. Le chien qui, grâce à
son nez, suit une voie sans hésiter et sans bricoler va finalement plus vite
qu'un chien plus rapide que lui, mais qui s'embrouille.
Cependant, je ne suis pas du tout de l'avis de ceux qui
pensent que la finesse de nez est la toute première qualité du chien courant.
Tout au moins jusqu'à ce qu'ils aient défini ce qu'ils entendent par finesse de
nez.
Il y a, en effet, deux finesses de nez.
L'une consiste dans l'odorat particulièrement subtil d'un
chien qui lui permet de découvrir des senteurs que d'autres ne perçoivent pas.
L'autre est la finesse de nez utile, c'est-à-dire celle qui sert au chien non
pas seulement à découvrir la voie, mais à la suivre et à la débrouiller ...
Il y a entre elles plus qu'une nuance. Il y a une différence
énorme, parce que le chien qui possède la plus grande finesse, au point de vue
absolu, n'est pas forcément celui dont la finesse de nez est la plus efficace.
La première, aussi longtemps que l'on n'aura pas découvert
un odoramètre et la manière de s'en servir, est bien difficile à contrôler
d'une façon sûre.
On peut certainement se rendre compte si des chiens ont du
nez ou n'en ont pas. Mais il me semble bien malaisé de pouvoir comparer la plus
ou moins grande finesse d'animaux bien doués.
On est souvent tenté de considérer comme très fin de nez le
chien très prompt à se récrier et très attaché à une voie que d'autres chiens
peuvent dédaigner. Cela ne prouve généralement absolument rien. Cela tient le
plus souvent à une différence de tempérament entre chiens chauds et chiens
froids.
J'ai eu un chien excessivement froid et qui ne s'intéressait
guère aux voies de la nuit. Parce qu'il était dur de nez, diraient certains !
Pas du tout. Sur un forlonger, par exemple, où la voie très légère fait le
triomphe de vrais rapprocheurs fins de nez, il était tout aussi appliqué et
aussi brillant que les meilleurs. Et, sur le debout, il était difficile de nier
qu'il avait la cinquième patte. Presque toujours en tête, il menait grand
train, et non pas en chien emporté, mais en chien très droit et très sûr, et
excellent chien de chemin.
Lorsqu'un chien donne de la voix, nous ne pouvons pas nous
rendre compte par nous-mêmes de ce qu'il sent !
Et, ma foi, j'ai remarqué que certains chiens, catalogués
comme superfins de nez parce qu'ils criaient beaucoup, criaient souvent sans
raison et parfois bien mal à propos. Ils ne sont souvent que des étourdis et
des bavards.
Si l'on pouvait réellement savoir ce qui se passe, on
s'apercevrait que, huit fois sur dix, les odeurs auxquelles s'attardent ces
superfins de nez n'en valent pas la peine et sont peut-être des pistes de
mulots, de belettes, de hérissons, ou même de quelque gibier à plume.
J'ai eu un chien, par ailleurs remarquable rapprocheur et
lanceur, que je n'ai jamais pu guérir de sa passion pour le hérisson et la
bécasse. En début de saison, avant que le hérisson ne soit endormi pour
l'hiver, ce qu'il m'en a rapproché et ce qu'il m'en a tenu au ferme !
En dehors de senteurs auxquelles ne devraient pas s'attarder
un vrai bon chien, il peut y avoir des voies ... de gibiers à chasser,
mais qui sont trop vieilles et qui n'aboutissent jamais à rien.
J'ai vu notamment un chien se rabattre sur une voie de
sanglier datant de vingt-quatre heures ... Il était complètement inutile
de la suivre.
Tandis que certains chiens sont prêts à s'attacher à une
voie quelconque, il en est d'autres qui savent ne s'intéresser qu'aux voies
sérieuses. Qui pourrait prouver que ces derniers sont moins fins de nez ?
Mon chien courant, très amoureux du hérisson et de la
bécasse, avait, par contre, une prescience pour savoir si une voie était utile
ou non. Je n'ai jamais vu lancer les autres sur une voie à laquelle il n'avait
prêté nulle attention.
Ce qui importe au chasseur est incontestablement la finesse
de nez utile.
Il s'agit donc de savoir si le chien strictement le plus fin
de nez est forcément le plus efficace et, par conséquent, le meilleur. J'en
doute.
N'avez-vous pas possédé vous-mêmes ou connu de ces chiens
excessivement fins de nez et qui traînaient sur la voie jusqu'à être musards ?
Ces grands hurleurs, lorsqu'ils ont découvert une senteur, vous les voyez
s'immobiliser, lever la tête et lancer leur récri vers le ciel. Ils font
quelques pas, mettent le museau à terre, reniflent, s'arrêtent et hurlent
encore. Parfois même, lorsqu'ils sont à bout de voie, ils ne trouvent rien de
mieux que de revenir sur leurs pas !
Il semble que ces chiens aient moins la passion de la chasse
et de la poursuite du gibier que la passion et la volupté de goûter ses odeurs.
Ils sont lents ... lents au possible, et leur nez ne leur tient pas lieu
de cinquième patte. Un chien moins fin de nez, mais plus débrouillard, ferait
beaucoup plus de travail utile.
C'est que la finesse de nez ne suffit pas. Étudions un même
chien courant à des périodes différentes de sa vie.
Observons un jeune chien courant bien déclaré, mais encore
inexpérimenté.
Dès qu'il trouve une voie, vous le voyez très affairé. II
est plus ou moins criant selon son tempérament. Il goûte la voie, il frétille,
il s'élance en avant ... mais il s'est vite embrouillé. Il va et vient,
très affolé ... Il ne sait pas encore suivre sa voie.
Observons-le la saison suivante. S'il est bien doué, il sait
maintenant se servir de son nez et empaumer gaillardement la voie. Je ne crois
pas que son odorat se soit amélioré. J'en trouve la preuve dans le fait que,
lorsqu'il se fait très vieux, il est encore infiniment meilleur. Tous les
chasseurs n'ont-ils pas le souvenir d'un vieux serviteur qui n'a jamais été
plus efficace que lorsqu'il était presque usé ? Bien souvent des veneurs
ont promené en voiture quelques excellents vétérans — qu'on ne mettait à la
voie que pour la dernière heure de chasse — parce qu'ils étaient encore les
plus capables de venir à bout des plus grandes difficultés.
Oserait-on prétendre que chez ces chiens vieillis, usés,
presque sourds souvent, dont toutes les forces et toutes les facultés
déclinent, l'odorat s'est perfectionné ?
Ce serait pure folie ! Il n'est pas plus fin de nez
qu'il ne l'était. Il n'est pas plus fin de nez que les jeunes. Mais il sait
mieux interpréter les odeurs. Il sait mieux se servir de son nez. Il s'est « rusé ».
C'est là sa grande supériorité. S'il s'est rusé, c'est parce qu'il était
intelligent. Un chien imbécile peut acquérir une certaine expérience. Mais seul
un chien intelligent peut devenir rusé.
C'est donc l'intelligence que je place au tout premier plan.
Paul DAUBIGNÉ.
|