Je me souviens qu'étant encore jeune, je rencontrai, un jour
où je venais d'admirer son beau tableau de la Salle des Illustres, au Capitole
de Toulouse, le maître déjà vieux H. Martin. Il avait encore sa palette à la
main ; les gardiens me confièrent qu'il venait de « rafraîchir »
certains rouges de son tableau que le temps—les couleurs des impressionnistes,
hélas ! ne furent pas toujours très solides — avait atténués. Ainsi donc
H. Martin ne se contentait pas de créer, il veillait encore lui-même aux soins
et peut-être, qui sait ? aux légères retouches, c'était bien son droit,
que le perfectionnement de la vision ou la méditation lui commandait de faire.
Je ne sais si ce fait est habituel chez les artistes qui ont le privilège de
vivre à portée de leurs œuvres, mais il me paraît plein d'enseignement et de
modestie pour les jeunes que la passion anime. Il est rare qu'au moment de la création
l'oeuvre « n'emballe » pas l'artiste. Le temps apporte souvent un
meilleur jugement, le sage compte sur lui pour porter ce jugement.
Voilà bien, direz-vous, un drôle de préambule pour nous
parler d'une mouche ! C'est que, sans aucune prétention et tout en restant
tout en bas de l'échelle, il en est de mon Oligo-Spent comme du tableau d'H. Martin.
Depuis que je l'ai conçue et créée, cette mouche n'a cessé
de me préoccuper. J'en ai déjà parlé ici même — voir Chasseur Français,
n° 609 ; à ce moment, je préconisais de faire des ailes à plat en « utilisant
un hameçon à ergot ou un autre procédé ». Je ne tardai pas à trouver cette
façon trop lourde. Certes j'ai pris quand même des poissons avec elle au coup
du soir ; mais, voyez-vous, ce n'était pas ça, je sentais qu'il devait y
avoir possibilité de faire mieux, même pour le petit fly-maker amateur
que je suis, et plus simple.
Tous les ans, quelques jours après le 14 juillet, date à
laquelle apparaissent les premières éclosions, qui mettent quelques jours pour
activer pleinement les poissons, j'ai repris ma mouche et mon coup du soir avec
mon spent. J'ai eu des déceptions — le coup du soir, est parfois
décevant, — j'ai eu aussi de jolis succès, j'en ai été régulièrement satisfait
cette année-ci. J'ai trouvé l'an dernier une meilleure façon de faire ma mouche ;
ce sera, sans doute, la « der » des « der ». Avant d'en
parler, j'ai voulu l'éprouver encore une saison. Malgré la pénurie du poisson
et des insectes, je suis pleinement satisfait et je considère qu'il était de
mon devoir de vous en faire part. C'est la dernière tache d'un rouge solide
apportée par le maître à son vieux tableau. Espérons qu'elle lui survivra ...
Mais, avant de vous dire comment je fais maintenant ce spent,
il faut tout de même vous reparler de technique à adopter au coup du soir. Il
n'y en a qu'une : c'est la mouche sèche lancée en amont et suivie sur le
courant jusqu'à fin du parcours. Mouche très flottante, voilà le secret, et
vous n'aurez plus de « désespoir » absolu du pêcheur. Certes il y a
des jours meilleurs que d'autres ; mais ne cherchez pas ailleurs, ces
différences sont dues au temps qu'il fait et surtout qu'il a fait dans la
journée. Par beau temps clair, avec haute pression, vent des régions Nord-Ouest
et température élevée, vous êtes à peu près sûr du succès. Par temps voilé,
orageux, lourd et chaud, ce succès n'est pas aussi brillant. Enfin péchez les
courants, quelquefois les très forts courants rapides. Vous y verrez des
gobages qui vous invitent, qui vous pressent d'y lancer votre mouche ;
n'hésitez pas, allez-y et vous accrocherez à toute vitesse les grosses vandoises
qui s'y trouvent à l'aise et qui, durant tout le jour, y sont restées cachées.
Cela ne vous empêchera pas de faire aussi les courants moins rapides, à allure
plus agréable, surtout en fin de séance, quand la nuit est presque venue et que
ça gobe, dans vos pieds, à 30 centimètres d'eau, les derniers spents que
l'eau emporte.
Pour pêcher ainsi, il faut être sûr que la mouche est bien
flottante. Si elle se noie, elle n'est pas prise. Alors faites une bonne mouche
bien flottante, comme indiqué plus loin, et graissez-la quelque temps avant les
opérations et, malgré que le temps soit très précieux à ce moment, n'hésitez
pas à la graisser, après séchage évidemment, encore deux ou trois fois pendant
la séance. Connaissez bien vos coups, ne lancez pas trop loin, n'utilisez pas
l'épuisette, employez au moins du 20/100. Attention aux truites, aux gros
chevesnes ; la vandoise, c'est du « tout cuit », mais tout de
même ! quand il y en a deux d'une livre (je pêche avec deux mouches) au
bout de la ligne en plein courant ...
C'est du sport et, sans prétendre au purisme, Skues ne le
dédaignerait pas, car on pêche avec la mouche qui actionne le poisson et
pas une autre plus ou moins voisine, ce qui n'apporte au pêcheur, comme il le
disait, qu'une « simple récréation, celle de prendre du poisson ».
J'espère que vous saisissez la nuance.
Montage de l'Oligo-Spent.
— Matériaux : plumes de camail de coq gris (2). Choisissez
de belles plumes longues à barbules de longueur moyenne. Hameçon numéro 12, fin
de fer, mais solide. Mieux vaut un hameçon fort et lourd, qu'un hameçon fin qui
se casse ou plie. Fil de soie ou de coton mercerisé gris clair bleuté, ciré
entre les doigts. Quelques barbules longs pour les cerques.
Ainsi muni, monter une forte araignée avec cerques, tourner
la plume très serrée quinze à dix-huit fois sans revenir dessus, si possible,
sur une longueur de trois à quatre millimètres environ jusqu'à l'oeillet, qui
imite les yeux noirs de l'insecte. Tailler ensuite les barbules : 1° pour
faire les pattes que, contrairement à la réalité, nous laisserons plus
nombreuses, et plus longues, pour obtenir une bonne flottabilité. Nous les
taillerons dans un plan horizontal parallèle à la hampe de l'hameçon, à un
millimètre environ, au-dessous du dard ; 2° pour faire les ailes à plat.
Supprimer aux ciseaux tous les barbules verticaux et obliques au-dessus du
thorax de l'insecte. Tailler à ras pour dégager le thorax, ne laisser que les
barbules horizontaux. Fignoler ensuite la forme des ailes — triangle allongé
aux angles arrondis — en coupant délicatement l'extrémité des barbules ;
dégager l'abdomen des barbules qui peuvent s'y trouver. Les cerques doivent
être laissés plus nombreux et plus longs que nature pour la navigation. Quand
vous ferez le corps, enroulez le fil sur deux ou trois tours sous les cerques,
ce qui les maintiendra horizontaux. Si vous avez un peu de goût, ce sera
parfait et meurtrier. Si vous êtes un « as », agrémentez votre fil
d'un peu de dubbing de lapin gris bleu (3), vous obtiendrez alors la
translucidité du corps vide de l'insecte qui a pondu ; mais ce n'est pas
indispensable. Je ne le fais pas moi-même, mais qui sait ? Quand je vous
le disais : la « der » des « der » !
P. CARRÈRE.
(l) Il s'agit de l'éphémère ou Oligoneuriella rhenana,
la « mouche d'août » ou « mouche du Rhin », signalé dans le
Jura, dans l'Allier et dans le Midi. C'est, pour ma part, en Ariège que j'ai eu
si souvent l'occasion de l'étudier.
(2) La couleur de l’Oligoneuriella c'est le gris. Si
je cotais de 0 à 100 l'échelle des gris, c'est-à-dire du blanc au noir, je
donnerais la cote 30 à 40 aux ailes de l’Oligoneuriella C'est dire que,
vue en silhouette sur le ciel clair du crépuscule, c'est encore une impression
sombre que le poisson doit avoir. Les pattes sont plus claires, les yeux noirs.
(3) Le dubbing s'obtient en filant parcimonieusement
du poil de la fourrure du lapin sur de la soie de montage poissée et tordue. On
peut faire, en variant les fourrures, toutes sortes de dubbing. Le dubbing
s'emploie surtout pour les mouches noyées.
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