L'organe des anciens du cyclisme, dénommé amoureusement Cyclette-Revue,
a révélé, il y a peu de temps, sous la signature de Victor Breyer, un cas de
doping sensationnel.
Dommage seulement que l'auteur ait mis exactement trente-trois
années à étaler le fait publiquement. Il semble qu'il ait attendu d'être
couvert par une sorte de prescription.
Car, s'il a hésité durant un tiers de siècle, Breyer, cette
fois, n'y est pas allé avec le dos de la cuiller. La malheureuse victime de ce
doping est identifiée soigneusement, et la course qui l'installa dans un
triomphe éphémère contée, datée et située par le menu.
Notre plume se refuse à écrire un nom.
Mais nous sommes désolés qu'un tel assassinat n'ait point servi
aussitôt de point de départ à une campagne frénétique contre l'usage du doping,
de la drogue, de la dynamite — appelez cela comme vous voulez.
Et notre conscience de sportif se révolte.
La belle affaire d'attendre trente-trois ans pour déclarer
qu'au cours d'un match triangulaire contre l'Anglais Parlby et le Hollandais Meyers,
l'un et l'autre grandes vedettes, un coureur français inconnu laissa ses
adversaires sur place dans les deux premières manches, puis fut incapable, par
la suite, de courir la troisième.
Pourquoi dire aujourd'hui seulement que le pauvre coureur,
étendu sur un banc, livide, défiguré, la bave aux lèvres, n'était plus qu'une
loque ?
Mais pourquoi, enfin, avoir attendu si longtemps après
l'événement (c'était en 1898) pour mettre en lumière le propre aveu du fautif ?
Car il y a un mais ...
Dès 1918, le coureur aurait avoué qu'il avait pris lui-même
de la drogue et ruiné son organisme, qu'il allait sans doute en mourir — ce qui
se produisit quelques mois après, — alors que cet homme, qui jouissait de par
sa profession d'une certaine considération (il était docteur en médecine !),
n'avait que quarante-deux ans ...
Qui nous prouve que, par ignorance, d'autres stupéfiants
n'aient pas tué, ou amené plus tôt à la mort, ou diminué, ou rendu fous
d'autres coureurs sans moyens physiques ... ou, s'ils en avaient, qui
voulaient encore les intensifier, et ce depuis le jour de 1918 où il eût été
possible d'ouvrir une utile et persévérante campagne ? ...
Tous les champions (ou présumés tels) ont-ils pu, l'âge de la
retraite sonné, retrouver une qualité d'homme, disposant de tous les moyens
physiques qu'une pratique sportive rationnelle devait leur conserver intacts ?
Selon Breyer, les Anglais paraissent avoir été les
inventeurs du doping. (Ils en sont aujourd'hui les adversaires acharnés.)
« Rien, dit-il, n'a été fait jusqu'ici pour combattre
le fléau ... Car c'en est un (et de taille) que la recherche par tant de
jeunes athlètes du coup de fouet qui stimule momentanément leur rendement
musculaire, mais lève sur leur capital santé une hypothèque lourde de
conséquences. »
Et il ajoute, après avoir, en quelque sorte, établi
l'existence du doping :
« Du fait de leur quasi-carence, les dirigeants
fédéraux endossent une terrible responsabilité. Au lieu et place de cette
stagnation, ne devrions-nous pas assister à une campagne énergique où, étant
donnée l'importance du but à atteindre, tous les moyens licites seraient bons ? »
Parfait ! Et facile à écrire ... A condition que
tous ceux qui peuvent éclairer la lanterne des pontifes n'attendent point six
ou sept lustres pour le faire ...
Victor Breyer est aujourd'hui plus qu'octogénaire. Son
esprit et sa plume sont demeurés les mêmes, sa causticité aussi. Il pratique la
bicyclette comme vous et moi.
C'est donc qu'il n'usa jamais de stupéfiants. Nous en sommes
personnellement fort aise.
Lorsqu'il nous dit qu'en hippisme on a enrayé le mal au
moyen de prélèvements sur la salive des chevaux, mais que le système est
inapplicable sur les hommes, où les épreuves sont nombreuses et groupent des
centaines de concurrents (en cyclisme ou en course à pied, par exemple),
prétend-il, il n'a pas absolument raison.
En effet, les prélèvements peuvent toujours être opérés au
moyen de sondages fréquents et inopinés.
La responsabilité réside surtout dans le fait d'avoir gardé
le secret sur un tel acte, sur un tel attentat porté au sport et à la personne
de ses pratiquants, sur un aussi flagrant constat ...
Le « héros » lamentable du match de 1898 aurait
avoué en 1918 — outre son méfait — qu'il ne possédait aucun moyen physique ...
Seule la drogue avait fait de lui un vainqueur irrésistible ...
d'où ses deux seuls triomphes, acquis en moins d'une heure, et ébauchant une
indigence perpétuelle ...
Tout cela est très grave, car le néophyte est conduit,
malgré soi, à craindre —- ou à croire — que tout passage fulgurant dans la
carrière d'un coureur, que toute éclipse apparemment inexplicable, que toute
défaillance est le fait du doping ... et que l'exception fait règle.
Telle étoile éteinte en pleine gloire, tel espoir non
confirmé n'étaient donc que des manipulateurs de la drogue ?
Halte-là ! L'imagination irait trop loin qui ferait
supposer qu'un jeune et si bel athlète admiré à vingt-cinq ans ne serait plus
qu'un pauvre hère aux environs de la quarantaine, par la grâce d'alchimistes ...
Non ? ... Oui ? ... Non ? ...
Allez, les gars du vélo ... ouvrez vos valises,
donnez-nous vos bidons à « sentir », laissez-vous palper, ausculter ;
acceptez tous les prélèvements que le contrôle sollicitera de vous ...
Il y va de la renommée de notre sport chéri : le vélo ...
Il y va de la vôtre.
Il y va de votre santé, de celle de vos enfants.
Il y va de la race humaine ... qui vaut bien la race
chevaline.
Et s'il est parmi vous des imprudents, cessez immédiatement
tout usage de ce genre.
René CHESAL.
|