Les vignerons qui ont vécu avant la crise phylloxérique
avaient des moyens bien simples pour la reproduction de leurs vignes : les
vieux procédés, encore employés, de marcottage et de provinage, le premier
surtout. Le greffage était alors réservé aux arbres fruitiers dont la culture,
en certaines régions, était très en honneur.
L'apparition de l'insecte-fléau a complètement bouleversé
les méthodes de reproduction ; que de ruines n'a-t-il pas causées dans nos
familles vigneronnes, et certaines contrées, garnies jadis de ceps, font
maintenant de la polyculture sur des sols qui n'ont pas cette vocation. Mais
passons !
Après des années de tâtonnements et d'insuccès, on en est
arrivé au greffage, tandis que, parallèlement à ce dernier, se développaient
les hybrides. Le greffage a fait naître une industrie, celle des porte-greffes,
et des pépiniéristes se sont efforcés et ont réussi avec succès à résoudre ces
questions toutes nouvelles pour eux, comme par exemple trouver des
porte-greffes s'acclimatant à nos sols calcaires et pouvant « se marier »
avec les cépages européens dont le nombre était impressionnant.
On peut dire aujourd'hui que la question porte-greffe-greffon
est à peu près résolue. Il ne reste plus qu'à améliorer quelques cas particuliers.
Soyons reconnaissants à tous ceux, techniciens et
praticiens, qui, par leur persévérance, ont sauvé le vignoble occidental.
Au mot greffage, le dictionnaire est bien sobre : action
ou manière de greffer. Précisons et complétons cette définition en écrivant
que le greffage est une opération qui consiste à fixer sur un sarment, qui
formera le support et jouera avec ses racines le rôle de nourricier, un autre
sarment d'une variété différente, qui fournira la partie aérienne et les
fruits. On a appelé le premier porte-greffe et le second, greffon.
On devra choisir des sarments sains, bien aoûtés, de même
grosseur, provenant de souches en bonne santé et dont le feuillage est assez
fourni.
Dans l'opération du greffage, il faudra tenir compte que les
tissus de soudure se forment bien entre 22 et 30° C ; on devra assurer aux
soudures une aération modérée de façon qu'elles ne soient pas attaquées par des
moisissures.
Enfin le milieu dans lequel seront placées les greffes ne
devra être ni trop sec ni trop humide.
Parlons maintenant d'une condition très importante :
celle de l’affinité de deux sujets que l’on veut associer. Selon Chancrin,
l'affinité est : « la sympathie, l'union intime, l'harmonie qui
existe ou doit exister entre greffon et porte-greffe, de façon que la
végétation du nouveau cep n'éprouve aucun trouble résultant de l'opération du
greffage ». Voilà une définition claire et précise.
C'est surtout par l'expérience que l'on a pu établir le
degré d'affinité porte-greffe X greffon. Étant donné le nombre assez important
des premiers, le nombre considérable des seconds, la diversité des sols et des
climats, on conçoit aisément que la chose n'a pas été facile et que, si elle
est résolue dans ses grandes lignes, il y a, comme nous venons de l'écrire, encore
beaucoup de points de détail à trouver. Reconnaissons, toutefois, cette réserve
faite, que les pépiniéristes viticoles ont effectué un travail considérable et
qu'ils le continuent dans des conditions souvent ingrates.
De ces expériences on a tiré des remarques. Par exemple, les
cépages européens ont une affinité plus grande pour les franco-américains que
pour les américano-américains ; il fallait, du reste, s'y attendre ;
elle est aussi plus grande quand le porte-greffe a été croisé avec un cépage de
même nature que le greffon, quoique ce dernier n'influence pas la facilité de
la soudure ; enfin, c'est surtout par la perfection de cette dernière
qu'on aura un indice d'une bonne affinité, à la condition toutefois que les
conditions soient égales dans l'opération du greffage et que, par exemple, le
porte-greffe et le greffon aient bien le même diamètre dans chaque greffe. On a
constaté aussi qu'une bonne affinité croît avec l'âge.
On a pu se demander, au début de la reconstitution, si le
porte-greffe n'allait pas communiquer ses qualités au greffon, par suite au
raisin, et par conséquent au vin, le goût de foxé caractéristique des raisins
américains. On peut répondre par la négative ; en effet, P. Pacottet, vigneron
de naissance, a écrit à ce sujet : « Aucun fait, suffisamment
vérifié, ne confirme cette théorie (goût foxé). Les vignes greffées sont
sujettes à des variations au même titre que les vignes franches de pied. »
Tous les consommateurs (dignes de ce nom) sont d'accord sur ce point.
On a néanmoins pu déterminer les règles suivantes,
rapportées par Chancrin :
1° Un plant servant de greffon placé sur un sujet très
vigoureux peut être plus vigoureux que non greffé (ou franc de pied). Exempte :
le Gamay greffé sur Mourvèdre X Rupestris n° 1202 est plus vigoureux
que non greffé ;
2° Sur un porte-greffe faible, le greffon est plus faible
que non greffé : c'est le cas de la plupart des vignes greffées sur Riparia ;
3° Un greffon vigoureux augmente la vigueur de son
porte-greffe, un greffon faible en diminue la vigueur.
Il résulte donc qu'une vigne greffée sur un porte-greffe peu
vigoureux présentera une bonne fructification, n'aura pas la coulure, mûrira
plus tôt que la même vigne non greffée ; de même le greffon placé sur un
porte-greffe vigoureux sera sujet à la couleur et mûrira plus tardivement.
En somme, le porte-greffe agit un peu comme le sol lui-même.
Le greffage permet une fructification plus hâtive (deux ans au lieu de quatre),
donne des grappes plus nombreuses et augmente ainsi la productivité.
La durée du vignoble n'est pas diminuée, mais elle est
subordonnée aux façons culturales et aux fumures.
Tout ceci, bien entendu, sous condition que l'affinité soit
excellente, ce que l'on constatera par l'importance du bourrelet de soudure.
Dans notre prochaine étude, nous verrons le greffage
proprement dit.
N. B. — Dans Le Chasseur Français de mars dernier,
nous avons, dans notre visite rapide du vignoble français, longé les côtes de
la Bourgogne, depuis le Châlonnais jusqu'au Dijonnais ; mais, pressés,
nous avons omis le vignoble dit des « Hautes Côtes », lequel,
parallèle au premier, s'étend sur une longueur voisine de 40 kilomètres, à des
altitudes moyennes de 350 à 400 mètres. Dans ces formations calcaires
ensoleillées, on cultive le Pinot fin et le Gamay en rouge et en
blanc, l'Aligoté, qui produisent les appellations de bourgogne,
bourgogne aligoté et bourgogne passetoutgrain.
V. ARNOULD,
Ingénieur agronome.
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