Nuits sans moustiques

Voici l'été, le soleil, la joie de vivre ; mais aussi, trop souvent, dans certaines villes, dans les maisons de banlieue ou de campagne, les nuits chaudes et les fenêtres ouvertes aux moustiques, qui vont s'en donner à cœur joie sur les visages, les cous, les mains, les parties découvertes des dormeurs. La chasse à ces insectes est peut-être un sport nocturne qui développe l'adresse, mais qui laisse des traces sur les murs et les plafonds, et les réveils sont souvent désagréables : figures boursouflées, démangeaisons cuisantes, après une nuit où les sifflements et les piqûres vous ont agités, réveillés, agacés, exaspérés, rendu tout repos impossible.

Que de personnes sont obligées de quitter un lieu de villégiature, une ville où elles auraient aimé séjourner quelques jours ! Combien d'autres supportent stoïquement, comme un mal inévitable, cette calamité, dans leur maison de campagne ou leur domicile habituel ! Et pourtant, neuf fois sur dix, pour ne pas dire toujours, vous pouvez dormir tranquilles, avec un minimum d'effort et des frais insignifiants.

Quel est donc ce moustique qui vous pique, la nuit, dans votre appartement, dans votre lit ?

Il existe de nombreuses races de moustiques, mais on peut dire que, sous notre climat, le moustique qui pique la nuit, à l'intérieur des maisons, est le Culex autogenicus, ou moustique urbain. Il s'agit d'un moustique domestique, qui prend naissance dans la maison, y vit, y trouve sa nourriture et s'y reproduit. Mais, fait essentiel, on ne le trouve que dans les immeubles possédant une fosse d'aisance à chasse d'eau. .Dans les villes où les w.-c. sont branchés directement sur l'égout, dans celles où les fosses sont vidangées et ne reçoivent pas de chasse d'eau, il n'y a pas de moustiques. Dans de nombreux immeubles de ville ou de campagne où n'existaient autrefois que des fosses fixes vidangées régulièrement, les moustiques étaient inconnus. Par besoin de confort, de propreté, de commodité, d'hygiène, d'économie, les habitants ont installé des chasses d'eau et branché leur fosse sur un égout ou un puits perdu. Ce faisant, sans tenir compte de la perte causée à l'agriculture ou au jardin familial, les hygiénistes (?) ont créé une nouvelle race de moustiques qui se sont empressés d'utiliser ces réservoirs d'eau, bien ombragés, à l'abri du vent, à température douce et nourriture abondante. Et le malheureux amateur de « progrès » a fait connaissance avec l'insomnie, les piqûres douloureuses, sans se douter le moins du monde qu'il était lui-même la cause de ses ennuis. Si vous êtes importunés la nuit par des moustiques, vous avez très probablement dans votre maison une fosse d'aisance et des chasses d'eau.

Le Culex autogenicus, comme tous les moustiques, a besoin d'eau pour se reproduire : la femelle pond donc ses œufs, nombreux, dans l'eau qui remplit la fosse ; ceux-ci, après quelques jours, se transforment en larves, puis en nymphes deux jours avant l'éclosion de l'insecte parfait. Elles trouvent dans ce milieu une nourriture abondante constituée par les matières organiques dont l'eau est chargée. Si vous possédez l'une de ces fosses, soulevez le couvercle, et vous serez effrayés par la danse infernale de ces nymphes et de ces larves ...

Cependant une certaine température est nécessaire pour que ce développement s'effectue ; en hiver, sauf si la fosse est située dans un sous-sol près d'une chaudière de chauffage central, le cycle ne s'effectue pas ; au printemps, il est, de l'œuf à l'insecte, de vingt-cinq jours environ ; en été, il est plus rapide ; n'excède pas huit à dix jours et recommence immédiatement. A ce rythme, le nombre de moustiques croît en progression géométrique, et, quand arrive l'automne, il devient vraiment excessif ; l'on s'en aperçoit d'autant plus qu'à l'approche de l'hiver la femelle éprouve encore plus le besoin de piquer et de se gorger de sang. Il faut, en effet, préciser que seules les femelles se nourrissent de sang dans les jours précédant la ponte ; le mâle, lui, n'est pas sanguinaire.

Au moment où la femelle éprouve ce besoin, elle s'échappe de la fosse ; elle a le choix entre le tuyau d'aération qui débouche sur le toit, le tuyau de déversement à l'égout, ou le w.-c. lui-même si le siphon est désamorcé ; c'est ce qui explique que, dans les maisons à plusieurs étages, tantôt les habitants de l'étage supérieur, tantôt ceux du rez-de-chaussée sont plus attaqués que ceux des étages intermédiaires.

Il existe, bien sûr, dans notre pays, d'autres moustiques que le Culex autogenicus, surtout à la campagne : Culex rural, Culex hortensis, anophèles, aèdes, theobaldia, etc. ... ; tous pondent dans des pièces d'eau stagnante, des trous d'arbres, mais la plupart piquent de préférence le bétail, les oiseaux, les grenouilles, et ne s'attaquent que rarement à l'homme ; s'ils le font, c'est dans la journée, à la tombée de la nuit, mais presque toujours à l'extérieur, au grand air, et ils ne pénètrent qu'exceptionnellement dans les maisons.

Les insecticides de synthèse, D. D. T., hexachlorohexane (H. C. H.), d'autres encore, ont permis de lutter avec succès contre le Culex autogenicus et de le supprimer ; son unique lieu de ponte est la fosse d'aisance ; il est donc logique de détruire sa progéniture et de l'empêcher de naître plutôt que de poursuivre les adultes dans tous les recoins d'une maison ou à l'extérieur. Les larves sont tuées par des doses infimes de ces produits : une concentration de 1 pour 100 millions (1 gramme de D. D. T. pour 100 mètres cubes) ou de 1 pour 20 millions (1 gramme de H. C. H. pour 20 mètres cubes) suffit pour les détruire ; le D. D. T., réputé insoluble dans l'eau, est cependant très légèrement soluble à 1 pour 50 millions, ce qui est largement suffisant ; le H. C. H. est soluble à 1 pour 5 millions ; cette solubilité permet le passage des insecticides dans les différents compartiments des fosses septiques. Les nymphes, elles, ne sont détruites qu'à des concentrations plus fortes.

Il suffira donc de verser dans la cuvette du w.-c. une petite quantité de D. D. T. ou de H. C. H. et de tirer la chasse d'eau pour que les larves et les œufs, au fur et à mesure de leur éclosion, soient rapidement détruits dans la fosse. Le volume de celle-ci varie de 1 à 20 mètres cubes ; les plus grandes sont exceptionnelles. En pratique, pour les fosses courantes, il suffira de verser 15 grammes de poudre D. D. T. à 10 p. 100, soit 1gr,50 de D. D. T. pur, pour être débarrassé des larves et, par conséquent, des moustiques adultes : une simple cuillère à soupe bien pleine de poudre ou d'huile émulsionnable. Avec le H. C. H., on doublera ou triplera la dose.

Il faut signaler que ces insecticides n'entravent pas le fonctionnement des fosses septiques ; au contraire, ils augmentent l'activité des microbes chargés de la liquéfaction.

Mais, si votre fosse est débarrassée de moustiques, d'autres, provenant de maisons plus ou moins éloignées, peuvent venir y pondre de nouveau, bien que le Culex autogenicus soit peu voyageur. Aussi est-il nécessaire que l'eau de la fosse ne demeure pas sans pouvoir larvicide plus de vingt jours au printemps, six jours pendant les chaleurs.

Il faudra donc, à partir du 15 avril jusqu'à fin mai, verser dans la cuvette des w.-c. la dose voulue tous les quinze jours ; du 7 juin jusqu'au 15 septembre, tous les sept jours, puis le 30 septembre et le 15 octobre, soit une vingtaine de traitements par an, ou 300 grammes de poudre à 10 p. 100. C'est-à-dire qu'avec un peu d'attention, de ponctualité, d'exactitude et vraiment sans efforts, pour une dépense vraiment minime, vous pourrez dormir tranquilles.

Mais n'oubliez pas un seul traitement et, si vous avez plusieurs fosses, traitez-les toutes ; de même, traitez avant de partir en vacances et, à ce moment, fermez le robinet d'alimentation de la chasse d'eau : vous n'aurez pas ainsi à craindre les fuites, qui dilueraient rapidement l'eau de la fosse, ce qui permettrait de nouvelles éclosions dont vous souffririez à votre retour.

Des résultats étonnants ont été ainsi obtenus dans une grande ville française où, depuis l'ère des chasses d'eau, il était impossible de dormir sans moustiquaire. Les mêmes résultats ont été constatés dans des cités ouvrières situées en pleine campagne : les maisons d'ingénieurs, de contremaîtres, munies de chasses d'eau, étaient envahies par les moustiques ; les maisons d'ouvriers, possédant des fosses fixes vidangeables, ignoraient leur existence. Les piqûres nocturnes ne sont plus maintenant qu'un mauvais souvenir.

Ce procédé n'est évidemment qu'un palliatif ; mais vous avez deux moyens radicaux de vous débarrasser de ces insectes agaçants :

— Si le règlement municipal le permet, branchez directement votre w.-c. sur l'égout, et comblez votre fosse.

— Si vous habitez la campagne, et s'il n'y a pas d'égout, supprimez votre chasse d'eau et votre puits perdu ; si vous y perdez en commodité, du moins ne serez-vous plus importunés par ces hôtes désagréables, et votre potager y gagnera.

Maintenant, si, par extraordinaire, vous étiez piqués dans votre lit par d'autres moustiques que le Culex autogenicus, vous pouvez encore vous éviter ces inconvénients en pulvérisant sur les murs (au-dessus de la tête du lit de préférence) une solution de D. D. T. à 10p. 100 tous les huit jours ; vous aurez ainsi l'avantage de supprimer également les mouches, si vous pulvérisez en même temps les suspensions électriques et les fenêtres ; mais la dépense sera beaucoup plus élevée ; la pulvérisation vous demandera quelque effort, et le résultat sera moins brillant que celui qui peut être obtenu contre le Culex autogenicus.

Il ne vous restera plus qu'à convaincre vos voisins pour obtenir d'eux qu'ils pratiquent les mêmes traitements que vous, afin de débarrasser toute une zone de ces moustiques inopportuns.

Dr POULAIN.

Le Chasseur Français N°653 Juillet 1951 Page 429