Contre cette terrible maladie, heureusement peu répandue, la
médecine reste sensiblement impuissante, m'écrit un lecteur, qui me demande
cependant de lui consacrer une causerie.
Ordinairement décrite parmi les maladies de la moelle, les
lésions qui la caractérisent sont le plus souvent disséminées sur toute la
hauteur de l'axe cérébro-spinal, depuis le cerveau jusqu'à la moelle, y compris
les racines nerveuses, antérieures et postérieures, sous forme de taches rosées,
d'aspect gélatineux et transparent, que l'on compare à de la chair de saumon.
A leur début, ces taches sont tumescentes et font saillie ;
ensuite, envahies par la sclérose, elles sont déprimées ; on constate,
mais pas d'une façon constante, des lésions d'endo- ou de péri-artérite. Pour
les uns, la lésion primitive serait une prolifération du tissu névroglique,
peut-être secondaire à une altération de la fibre nerveuse ; d'autres
admettent que ces lésions seraient elles-mêmes secondaires à une altération primitive
des vaisseaux.
Mêmes incertitudes sur la cause probable de ces lésions, provoquées
parfois par un traumatisme ou une émotion vive ; on a invoqué l'hérédité névropathique,
les froids humides, l'abus des veilles, le surmenage intellectuel, les excès
vénériens ; on a songé aussi à une origine infectieuse pour laquelle on a
incriminé les maladies les plus diverses, depuis les fièvres éruptives de
l'enfance, la fièvre typhoïde, la fièvre puerpérale, la diphtérie, l'érysipèle,
la dysenterie, le choléra, la fièvre paludéenne, sans négliger la syphilis
(presque toujours à tort) ; on a encore mis en cause des intoxications
parfois relevées dans les antécédents (alcoolisme, saturnisme, traitement
mercuriel, oxyde de carbone).
Une fois déclarée, la maladie se manifeste par quelques
signes qui, sans lui être exclusifs, sont néanmoins caractéristiques ; en
première ligne, le tremblement et le trouble de la parole. Le tremblement est à
oscillations lentes, se situant aux membres, aux yeux et, également, à la tête et
au tronc. C'est un tremblement « intentionnel », n'existant pas au
repos et n'apparaissant qu'à l'occasion d'un mouvement volontaire ; il
s'exagère sous l'influence de l'effort ou de l'émotion.
Au membre supérieur, le premier signe en est une écriture tremblée
jusqu'au point de devenir illisible ; un des actes les plus typiques se
manifeste lorsque le malade porte un verre à sa bouche ; les oscillations
augmentent d'amplitude lorsque le verre s'approche des lèvres, il choque alors
les dents avec violence en répandant le liquide contenu.
Au membre inférieur (où le tremblement peut être unilatéral
comme au membre supérieur), ce tremblement se présente même au lit, lors des
essais de certains mouvements ; il se manifeste davantage lors de la
démarche, à laquelle on décrit différentes formes (peut-être dues au siège des
lésions).
Dans la forme « cérébello-spasmodique », la plus
fréquente, les jambes sont écartées, le pied se lève et retombe brusquement en
frappant le sol ; le malade ne peut suivre une ligne droite : on dit
qu'il « festonne ».
Dans la forme « spasmodique pure », les jambes et
les pieds sont en extension ; le malade marche sur la pointe des pieds, en
se dandinant ; dans une forme « cérébelleuse pure », plus rare,
la démarche devient hésitante, pouvant aller jusqu'à devenir ébrieuse.
Dans une période plus avancée, les membres inférieurs sont
devenus incapables de tout mouvement, même au lit ; le malade est alors
atteint de paraplégie spasmodique.
Sur le tronc, le tremblement apparaît lorsque le malade,
étant au lit, veut s'asseoir ; n'étant plus soutenu, le corps prend des
mouvements d'inclinaison antéro-postérieure ou latérale. A l'œil, le
tremblement (signe très fréquent) prend le nom de nystagmus ; il est plus
souvent dans le sens latéral que vertical.
Le tremblement atteint aussi la langue et il devient visible
quand elle est tirée hors de la bouche. La mastication est difficile, ainsi que
la déglutition.
La parole est lente, scandée ; chaque syllabe est
nettement détachée et paraît expulsée de la bouche, d'où le nom de « parole
explosive ».
On a aussi signalé un tremblement des cordes vocales.
La force musculaire, généralement conservée au début, peut
diminuer à la longue et aller jusqu'à la paralysie, avec ou sans contracture.
Ces troubles paralytiques prédominent parfois d'un côté, soit sur le membre
supérieur seul (monoplégie), soit aussi sur le membre inférieur du même côté
(hémiplégie). On constate aussi, peu fréquemment, de l'atrophie musculaire. Les
réflexes cutanés ou tendineux sont conservés et, souvent, exagérés.
Les troubles de la sensibilité sont habituellement peu
marqués et se manifestent sous forme de paresthésies : piqûres,
fourmillements aux extrémités, engourdissements, sensations de froid ou de
chaleur ; les véritables douleurs sont plus rares, pouvant prendre le type
de névralgies.
Dans de nombreux cas, on note une diminution de la
sensibilité au toucher, à la chaleur ou au froid, sans aller jusqu'à
l'anesthésie. Parmi les autres signes, on note parfois des vertiges, des
troubles visuels (strabisme, avec ou sans diplopie, rétrécissement du champ
visuel).
Les sphincters sont habituellement respectés et les cas de
rétention ou d'incontinence sont rares.
Il y a aussi parfois des troubles de la peau ; les plus
graves sont les escarres, survenant surtout dans la région du sacrum, dans les
formes prolongées et dues à la compression locale après un long séjour au lit,
d'où l'indication de toujours surveiller cette région.
L'état mental est peu touché ; les malades se
désintéressent généralement de ce qui les entoure ; des hallucinations, du
délire ne surviennent que dans les formes prolongées.
Quoique typiques, les symptômes, souvent disparates, qui
viennent d'être énumérés ne se trouvent qu'exceptionnellement réunis chez un
sujet ; il y a des formes frustes, où peuvent manquer ou n'être qu'à peine
ébauchés le tremblement, le nystagmus et les troubles de la parole, et des
formes anormales, où prédominent les paraplégies (monoplégie, hémiplégie), dues
probablement au siège des lésions, formes qui donnent lieu à des grandes
difficultés de diagnostic.
Nous trouvons encore de nombreuses variations dans le début,
l'évolution et la durée de la maladie.
Le début peut être brusque par une chute ressemblant à celle
d'une attaque d'apoplexie ou d'épilepsie, parfois précédée de vertiges, de
vomissements ; il peut être lent, avec apparition tardive des signes qui
ont été décrits.
Il n'y a pas davantage de précision dans la durée ;
elle peut être très brève dans les cas suraigus où la mort peut survenir quelques
mois après l'apparition des premiers symptômes, des formes lentes, avec
rémissions et améliorations ; le malade reste cependant affaibli, moins
résistant, pouvant succomber à quelque complication ou à une affection
cardiaque ou pulmonaire intercurrente.
Bien qu'échappant presque complètement à toute action
thérapeutique, la sclérose en plaques doit être différenciée des maladies,
surtout celles de la moelle, ne fût-ce que pour éviter de faire un traitement
intempestif, inutile ou nuisible.
Le tremblement mercuriel ne disparaît pas dans le repos ;
celui de la maladie de Parkinson est plutôt permanent, mais peut s'atténuer
sous l'influence de la volonté ; dans la chorée, il s'agit surtout de
mouvements désordonnés ; dans le tabès ou la paralysie générale (où il est
associé à des troubles psychiques), le tremblement, localisé aux extrémités,
est à oscillations menues ; la parole est lente, traînante, hésitante ;
le tremblement s'observe souvent aussi aux lèvres. Mêmes différences
minutieuses dans la plupart des maladies de la moelle ; les tumeurs du
cerveau présentent une céphalée persistante.
Après ces descriptions déjà bien longues, il faut être bref
pour ce qui concerne le traitement ; si l'emploi de l'iodure de potassium
a donné quelques espérances, la révulsion par pointes de feu, l'hydrothérapie
sont restées inefficaces.
On est presque toujours borné à formuler des règles
hygiéniques : mener une vie calme et régulière, éviter les émotions, les
fatigues de toutes sortes, s'abstenir de tout abus, de l'alcool, du tabac, des
veilles : tous conseils plus faciles à formuler qu'à suivre. La
rééducation musculaire est souvent utile et il est presque toujours indiqué de
conseiller des toniques généraux, en évitant ceux qui seraient susceptibles
d'exciter le système nerveux.
Certaines vitamines (B 12) ont donné des résultats chez des
malades présentant des signes d'anémie en même temps que ceux de leur sclérose.
Dr A. GOTTSCHALK.
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