L'histoire documentaire des instruments à cordes et archet
ne remonte guère au delà du XVe siècle.
Iconographiquement et épi-graphiquement, poètes et peintres
se sont acharnés à confondre cithare et lyre, en même temps que lyre et
guitare, et luth et harpe. Il en résulte que les documents représentatifs ou
descriptifs ne sont d'aucun secours pour retrouver les ancêtres des violons
actuels. Pratiquement, les miniatures les plus précises ne représentent que des
violes et des rebecs, avec des variantes, des fantaisies ou des erreurs.
Les instruments à cordes ont été joués d'abord « pincés »,
encore que ce terme usuellement adopté ne soit pas exact. On grattait les
cordes, à la main ou avec une plectre, mais on ne les pinçait pas. De son côté,
l'archet existait antérieurement au moment où le violon acquiert sa forme et
ses caractères définitifs.
Tout ce que l'on peut dire de l'origine des instruments à
cordes, c'est qu'ils sont extrêmement anciens. Ils sont « zoomorphes »,
c'est-à-dire qu'ils tirent leurs formes d'éléments animaux. Originairement, la
caisse de résonance provient d'une carapace de tortue recouverte d'une peau
desséchée, sur laquelle ont été fixées deux cornes de petit bœuf ou de gros
mouton, dont les extrémités étaient réunies par un joug servant à fixer une
extrémité des cordes. Ceci est l'origine d'une lignée d'instruments toute
différente de celle de la harpe, qui, elle, provient de l'arc musical.
Dès qu'ils sont largement pratiqués, les instruments à corde
se scindent en deux groupes, ceux de la cithare et ceux de la lyre.
Le groupe de la lyre comporte une caisse de résonance
hémisphérique, fermée par une table d'harmonie en bois. Devenant plus longue,
la lyre donnera le rebec, qui, pour la première fois, se joue avec un archet.
Ce dernier est extrêmement ancien, car il est connu deux à trois mille ans
avant J.-C., et on l'attribue au roi de Lonka à Ceylan.
A son origine, la lyre ne possède qu'une unique corde. Le
rebec, qui lui succède, paraît au XIIIe siècle, simultanément avec son
semblable, le rebab, chez les Arabes. Il est caractérisé par sa cheville
renversée et sa table d'harmonie recouverte par une fausse table en bois ou en
métal. Au XVe siècle, il sera suivi de la gigue polonaise, issue d'une extrapolation
de format du rebec.
Le groupe de la cithare comporte des instruments à caisse de
résonance plate des deux côtés, munie d'un manche distinct. Trois instruments
en sont tout spécialement caractéristiques : la viele (à ne pas confondre
avec la vielle à roue et à clavier, instrument de ménétriers), qui est
essentiellement l'apanage de musiciens cultivés ; la rote, qui n'est autre
qu'une grande viele, avec des variantes de dimensions : basse ou alto ;
enfin le crwth gallois, mais celui-ci n'est pas joué avec un archet
avant le Xe siècle.
C'est sur ce fond instrumental qu'au XVe siècle vont
paraître les violes, pendant que le rebec restera entre les mains des simples
ménétriers. Une viole n'est autre qu'une viele en cours de perfectionnement et
aussi de prolifération à l'instar du quatuor vocal : soprano, alto, basse,
et enfin contrebasse ou violone. Elle comporte six cordes accordées par quarte,
sauf les troisième et quatrième, en tierce majeure. La tension de ses cordes
est moyenne et inférieure à celle du violon actuel. Elle se joue à plat sur les
genoux, et sa faveur est grande sous la Renaissance.
Pour les virtuoses, mais seulement pour eux, on crée alors
deux « filles » de la viole : le « pardessus de viole »
ou viole soprano, de petit format, et sans la sixième corde au grave, et le quinron,
avec une cinquième corde en sol au-dessus de la chanterelle, baissée d'un ton,
en ré.
A la fin du XVe siècle, paraît le violon, qui affirme ses
formes éclipsant celles de la viele par bombement de la table et du dos, mais
qui est alors plus grand que l'actuel alto. Il compte cinq cordes normales,
tendues, plus deux à quatre bourdons, graves, que l'on pince à vide.
Exactement, sous cette forme, c'est la « lira da braccio ». En 1520,
l'évolution est terminée, et on trouve le « vyollon » presque actuel
en ses lignes, en 1523, à la cour de Savoie et, en 1529, à celle de France.
Rabelais en fera état en 1546.
La « viole d'amour », chère aux poètes, n'a jamais
été qu'un instrument d'exception pour virtuoses et n'a jamais eu sa place dans
les concerts. Elle tient à la fois du violon et de la viole, avec une caisse
plate à six ou sept cordes et un manche large. De la taille d'un alto, elle se
joue à l'épaule. Sa caractéristique unique et essentielle est qu'elle possède
un second jeu de cordes, que l'archet ne touche jamais et qui vibre uniquement
par « sympathie ». Elle donne ainsi de sept à quatorze accords
diatoniques ou chromatiques.
Dès 1520-1530, le violon a acquis sa plénitude, et l'on en
trouve, en 1556, une description détaillée par Philibert Jambe-de-Fer,
l'opposant à la viole, qu'il veut réserver aux gentilshommes.
Le plus ancien violon que l'on possède est de Ventura Linorolo
et il date de 1581. Ses dimensions et ses caractéristiques sont à peu près
celles des violons actuels.
A partir de ce moment-là, on ne perfectionnera que des
détails : le chevalet sera plus bombé, le haut deviendra droit et le
manche se renversera quelque peu pour obtenir plus de sonorité. On assistera
encore à l'ascension du diapason pour équilibrer l'augmentation de tension des
cordes. Enfin, en 1785, Viotti créera un nouveau manche qui subsistera jusqu'à
nos jours.
Ce qui est essentiel, c'est que, dès 1730, Antoine
Stradivarius a fixé les canons et que ceux-ci sont définitifs.
Les luthiers, depuis cette date, ne réalisent que trois
améliorations, par extrapolation, faute de pouvoir modifier utilement le violon
lui-même. Par augmentation de l'étendue sonore au grave, ils réaliseront le
violon alto au moyen d'une cinquième corde. Puis on tentera de ressusciter la
viole ténor afin d'obtenir un quatuor échelonné à intervalle de quinte avec
l'alto, pour remplacer l'actuel quatuor, qui comporte deux violons identiques.
En variante de cette tentative, en 1898, on essaiera même de situer deux
instruments entre le violon et le violoncelle, soit un alto de plus grand
format et un « violoncellin ». Enfin, en 1913, Léo Six tente de
perfectionner le quatuor à cordes en lui substituant un dixtuor avec six
instruments nouveaux. Cette transformation du quatuor en orchestre ne saurait
être qu'une vue de l'esprit. Dans l'état actuel de la technique musicale, la
seule solution à trouver réside dans le remplacement du second violon du
quatuor à cordes.
Janine CACCIAGUERRA.
|