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Le portrait photographique

Suivant les termes d'un grand écrivain spécialiste de la matière, Lucien Lorelle, un portrait photographique est la représentation d'un visage. Mais il y a des conditions à respecter, et, en premier lieu, l'œuvre doit être voulue, car une photo documentaire prise fortuitement ne saurait être un véritable portrait.

Ensuite, il faut qu'il y ait technique personnelle de l'éclairage ou des effets de lumière, respect des formes et volumes, et enfin prise de conscience raisonnée ou intuitive de la psychologie.

On obtient alors — mais alors seulement — une œuvre d'art. A ce titre, on doit déplorer que les amateurs ne se donnent pas la peine d'acquérir quelques ouvrages clairs, simples et généralement peu coûteux, et ne les lisent avec attention pour mettre leurs conseils en application.

C'est là l'explication de beaucoup de déconvenues et déception, car on peut réaliser de magnifiques portraits avec des appareils simplifiés du prix de seulement mille francs et tout rater avec des équipements représentant deux cent mille francs.

D'abord, un grand principe doit dominer : c'est que tout appareil photographique permet de faire du portrait. Et le seul résultat obtenu est fonction de ce que l'amateur a élaboré.

Trois facteurs commandent essentiellement la prise de vue d'un portrait. Ce sont respectivement : l'orientation et les jeux de lumière ; l'angle de prise de vue et subsidiairement, pour les vues rapprochées, la distance du sujet à l'objectif.

Encore récemment les photographes se divisaient en deux camps : les partisans de la lumière naturelle, prétendant travailler selon les lois de la nature, et les tenants de la lumière artificielle, assurant employer une technique qui utilise les derniers progrès de la découverte.

Actuellement les portraitistes se sont rendu compte que l'argument romantique devait céder la place au seul concept scientifique. Il n'y a pas une école de lumière, mais de multiples sources que l'on doit savoir utiliser selon les cas. La lumière du jour est variable en sa composante suivant l'heure et donc la hauteur du soleil, mais aussi l'état de l'atmosphère.

Les lampes à incandescence sont de deux sortes : celles de projection, riches surtout en couleurs rouges, et celles d'ambiance, plus généreuses en teintes bleues. Les lampes éclair ou flashes restituent assez fidèlement la lumière diurne, comme les électroniques. Enfin les nouvelles venues sont les lampes luminescentes et fluorescentes, absolument parfaites, mais fatigantes pour l'éclairage permanent, avec des risques de conjonctivites et d'ophtalmies.

La qualité de la lumière n'est pas tout, il faut savoir aussi orienter sa source pour réaliser des ombres, esquiver un défaut et mettre en valeur certaines particularités. Pratiquement, il faut quatre sources lumineuses que l'on dispose selon les effets désirés, et c'est là un problème qui paraît compliqué alors qu'il suffit d'avoir une simple documentation et d'appliquer les conseils donnés.

L'angle de prise de vues est très important. On n'est plus au temps des photocaméras lourdes, et l'on peut maintenant utiliser l'évolution de la notion d'angle, de hauteur, d'élévation, et parfois réaliser volontairement des déformations de perspectives. Il en est de même de la distance entre le sujet et l'objectif. L'origine de ces applications provient de la notion de gros plans habituelle au cinéma.

Il est bon également que tout amateur photographe s'exerce à l'étude de la forme et de la structure de la tête de ses sujets et réalise des expériences multiples.

Pour citer quelques exemples, on notera que la prise d'un visage long aux traits accusés demande une lumière diffusée en deux places, mais une lumière dirigée pour un portrait de caractère, tandis qu'un visage rond demande un éclairage de trois quarts avec une partie du visage dans l'ombre. Un nez camus commandera une prise de vue au-dessus du plan médian ; des oreilles décollées imposeront d'éviter des effets de silhouette et commanderont la vue de trois quarts et jamais de face.

Le portrait peut encore être conçu selon deux formules : statique ou dynamique, c'est-à-dire vivant et animé.

Ce sont deux conceptions (techniques et esthétiques) totalement opposées.

Dans le cas statique, la personne devra se tenir aussi immobile que possible, et tous les réglages de lumières se feront posément. Le portrait animé utilise toutes les lumières comme tous les temps de pose. La personne à photographier n'est plus figée selon une décision, mais obéit aux suggestions de l'opérateur, change d'attitude, multiplie ses expressions. La caméra doit suivre ses mouvements grâce à une tête de pied interposée. Il ne faut toutefois pas exagérer et transformer le patient en supplicié de séance de guignol ... Cette méthode est la meilleure et donne de magnifiques résultats si l'opérateur a le sens de la psychologie et surtout une grande notion naturelle de l'esthétique.

Et ceci est très important, car il y a des visages photogéniques et d'autres sans expression ni caractère. On y remédie par le maquillage, qui autorise alors des portraits magnifiques en noir et blanc, mais aussi directement en couleurs naturelles.

Les principes de maquillage photographique sont quelque peu différents de ceux pratiqués dans la rue ou au théâtre, et il sera bon d'acquérir quelques opuscules de conseils pratiques. Également un portraitiste, même simplement amateur, doit posséder une collection de fards, poudres, rimmels et rouges à lèvres, exactement comme un peintre achète des couleurs pour ses tableaux. Un portrait réalisé peut demander des retouches sur négatifs ou positifs. On ne devra pas les tenter sans quelques expériences préalables.

Les débutants oublient d'une manière générale l'intérêt de l'attitude du buste et des mains, et ils se privent de rares moyens d'expression de la personnalité. Fort heureux encore quand le sujet n'acquiert pas alors par ce fâcheux oubli l'aspect grotesque d'un pantin désarticulé ou d'un mannequin de vitrine fort sophistiqué.

Les portraits d'enfants demandent des attentions toutes particulières, et l'on doit déjà distinguer les portraits de bébés du premier âge de ceux des enfants au sens strict. L'essentiel est de capter des expressions et des mimiques plus que des attitudes ou des gestes.

Enfin on ne saurait oublier des cas spéciaux qui demandent des atmosphères ou des ambiances : premiers communiants, jeunes mariés, vieillards, portraits d'apparat : professeurs, magistrats, etc. ...

On pourrait penser que, dans toute cette énumération de conseils, on a oublié les effets combinés de la durée du temps de pose et ultérieurement de celle du développement. Ce serait une erreur. La vérité est que ce sont là des conditions très secondaires en matière de portrait, tout l'inverse de ce que l'on doit respecter pour des prises de vue documentaires d'extérieurs comportant des sites ou monuments.

Pour être complet, ajoutons que le vent dans les cheveux (même artificiellement obtenu avec un électro-ventilateur) est une source puissante d'expression.

Il y a également des domaines peu explorés et qui, cependant, peuvent faire du simple amateur un grand artiste : ce sont ceux de la solarisation grâce à des contrastes exagérés, mais judicieusement choisis, et la photosculpture obtenue en faisant par contact un positif avec un négatif. Au tirage, on obtient des effets aussi intéressants qu'inattendus.

Sylvain LAJOUSE.

Le Chasseur Français N°653 Juillet 1951 Page 443