IEN n'est nouveau sous le soleil, a-t-on coutume de dire
parfois, et cet adage est très juste lorsqu'il s'agit des modes féminines. Celle
des cheveux coupés, par exemple, remonte à la plus haute antiquité et possède
de véritables lettres de noblesse.
Certains érudits ont évoqué à son sujet les curieuses
statues des princesses égyptiennes et ont noté chez ces dernières des coiffures
très originales. Le plus souvent il s'agit, très probablement, de perruques,
mais traitées d'une manière assez particulière. La princesse Nafrit, de
l'époque memphite, est représentée le chef couronné de cheveux artificiels
retenus sur le sommet par un large ruban, orné de dessins géométriques, et
divisés sur le front en deux mèches plates par une raie médiane qui permet
d'apercevoir sous la crinière « empruntée » les véritables, cheveux.
Ces « transformations », pour employer le terme
élégant des artistes capillaires, étaient, au temps des pharaons, assez
étranges. Elles étaient formées de tresses de chanvre réunies en faisceaux et
recouvertes d'une véritable toison humaine. Un savant historien nous apprend
qu'à l'époque memphite cet accessoire de la toilette se terminait brusquement
suivant un plan horizontal passant un peu au-dessous du lobule de l'oreille ;
à l'époque thébaine, il était, au contraire, beaucoup plus long et atteignait
de grandes dimensions.
Laissons de côté Suétone et les déesses gauloises, et
arrivons-en à quelques exemples bien français.
Jeanne d'Arc pourrait être adoptée pour patronne par nos
modernes figaros. En effet, l'article 12 de son acte d'accusation, document
historique authentique, en l'absence d'un portrait ancien, nous dit, en effet :
« Renonçant tout à fait aux habits de son sexe, ladite Jehanne s'est fait
couper les cheveux à la manière des varlets. » A l'époque, cette coiffure
fit scandale !
Il en fut de même à la fin du XVIIIe siècle, où les
contempteurs des modes nouvelles et les tenants des vieilles mœurs se moquèrent
de l'habitude prise par les élégantes de sacrifier leur plus bel ornement à la
mode du jour.
Après les sanglantes exécutions de 1793, lorsque le peuple
de Paris commença enfin à respirer, les figaros du temps lancèrent la « coiffure
à la victime », souvenir des prisons révolutionnaires, à la vérité d'assez
mauvais goût ; ils vendaient même un peigne recourbé, destiné à attacher
les cheveux courts.
A l'époque du Directoire, les femmes changent constamment
leurs boucles et leurs nattes ; elles adoptent également des perruques,
sorties, il est vrai, des mains habiles des plus adroits faiseurs. « L'arrivée
des statues antiques du Vatican, écrivent Marcel et Èze, donna lieu de tailler
ses cheveux à la Caracalla ou à la Titus. Les cheveux à la Titus étaient portés
très courts et frisés, et leur vogue fut telle qu'elle dura jusqu'à l'Empire et
fit tomber les perruques ; du moins ne mit-on plus dès lors de perruques
avouées. »
Ceci, on le conçoit aisément, fit la joie des railleurs, et
le Dr Akerlio nous dépeint ainsi une voiture de dame et sa propriétaire :
« Dénués de tout luxe étranger, les cheveux de la jeune conductrice
semblent menacer le ciel, et cependant, de leur racine à leur cime, ces nains
insurgés ne comptent qu'un pouce de hauteur. Une tète ainsi coiffée est l'image
d'un porc-épic. Ne craignez rien pourtant, toutes les roses ne piquent pas ;
sous une perruque à la Titus, nos belles n'ont de cruauté que l'apparence.
Combien de Titus à jupe, au retour du Bois, peuvent dire chaque soir, en dépit
de la chanson : « Je n'ai pas perdu ma journée. »
» Héritière de la Titus, la Caracalla, plus nouvelle, a
des formes moins austères. Ses pointes, au lieu de s'élancer à pic,
s'arrondissent en boucles légères ; quelquefois elle aime à s'orner d'une
guirlande de mousse, à mêler à ses flocons leurs parfums les plus exquis.
Alors, si la beauté qui s'en pare marche chaussée de cothurnes, si sa taille,
émule du léopard et du tigre, est bigarrée d'une shall à mouches, si ses
oreilles sont chargées de perles scintillantes, alors, dis-je, voilà le
triomphe de la perruque romaine, et la grecque ose à peine lui disputer le pas. »
Commentant ces lignes écrites en 1799, Jules Quicherat, le
meilleur historien du costume, note fort justement : « Alors
commençaient à se montrer des perruques de femme à la Titus ou à la Caracalla,
sans chignons ni pendants d'aucune sorte, perruques dont l'effet fut de
procurer aux dames qui les adoptèrent des têtes pareilles à celles des
citoyens, leurs adorateurs ; car c'est par les hommes que commença la mode
des Titus et des Caracalla. »
Les grands figaros du temps sont alors de véritables
dictateurs, des despotes intraitables : Legros, Duplan, ancien valet de
chambre du grand acteur Talma, Doisy, d'autres encore imposent leurs goûts, que
les merveilleuses et leurs filles suivent avec la plus grande docilité …
Il y a encore toute une série d'artistes capillaires.
Léonard est bien oublié. Larseneur, qui, au déclin de la monarchie, « accommodait »
les grandes dames de la Cour, a fait, lui aussi, son temps. Ils sont remplacés
par Rey, puis par Dumas, « parfumeur de cheveux », rue de Richelieu.
En 1810, la coiffure dite à la Titus est toujours portée, et
une très curieuse brochure de l'époque va nous donner, à ce sujet, quelques
précisions intéressantes. C'est à cette date que parut l'Éloge de la
coiffure à la Titus pour les dames, œuvre signée de J.-N. Palette,
coiffeur, domicilié au n° 5 de la rue Neuve-des-Petits-Champs. Ce « friseur »
des élégantes voulait répondre à un factum de Ruthe de Nogent, qui avait
critiqué très violemment cette mode. Palette débute en affirmant qu'une femme
coiffée à la Titus est « une rose épanouie ». Puis il s'attaque
vivement aux cheveux tressés et aux nattes, parfaitement inutiles, selon lui,
et que d'ailleurs on peut toujours se procurer en tout temps grâce aux
postiches. Enfin, il nous donne son avis et traite même de la technique de la
coiffure au temps de Napoléon 1er. Laissons-lui un peu la parole :
« Va-t-on demander à une femme coiffée si ses cheveux tiennent à la tête
par la nature ou par un effet de l'art ? Une Titus bien coupée fournit les
moyens de rendre l'illusion complète (c'est pourquoi les dames ne doivent
confier leurs cheveux à couper qu'à leurs coiffeurs habituels, ou au moins à un
coiffeur de femmes), mais, en parlant de Titus, on n'entend point parler de têtes
rasées, qui ressembleraient en effet aux roses effeuillées ; je ne veux
pas dire non plus que les dames aient des cheveux coupés comme ceux des hommes,
mais une Titus massée qui forme des ondes que l'air puisse agiter, des
boucles flottantes auxquelles le moindre mouvement donne du jeu : voilà ce
qui donne de l'expression à la physionomie, ce qui semble animer la figure la
plus froide ; un arrangement désordonné où l'art se cache : il couvre
un défaut et laisse voir ce qui est avantageux ; c'est alors qu'on peut
dire qu'une femme coiffée à la Titus est une rose épanouie. »
Enfin, Palette ajoute que ses clientes n'ont pas besoin de
diamants ni de plumes pour parer leur crâne. Ceci est, sans doute, un appel aux
maris économes ! II aurait pu ajouter aussi que, suivant une ancienne
croyance, la malice se cachait dans les longs bandeaux de nos compagnes, d'où
la nécessité pour l'homme d'y mettre le fer ... Mais le bon artiste
capillaire du temps de l'Empereur n'était pas méchant et a seulement voulu
prouver l'utilité d'une chevelure disciplinée, mais élégante, dont nos
contemporaines ont compris l'intérêt pratique et le charme.
Roger VAULTIER.
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