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Causerie juridique

Bail de chasse et permission de chasser

Il y a quelques mois, un abonné au Chasseur Français nous avait demandé notre avis au sujet d'un procès dans lequel il se trouvait engagé : il s'agissait de déterminer si le contrat intervenu entre notre correspondant et un tiers constituait un bail de chasse ou seulement une permission de chasser. La question nous ayant paru présenter un intérêt général pour les lecteurs de cette revue, nous en avons fait l'objet d'une causerie juridique qui a paru il y a quelques mois dans nos colonnes. La distinction, d'ailleurs, dans la plupart des cas, est facile ; les deux situations sont, en effet, très différentes : le bail de chasse implique normalement rédaction d'un acte comportant un certain nombre de clauses concernant, notamment, la durée, le loyer, etc., tandis que la permission de chasser est le plus souvent simplement verbale, le permissionnaire étant couvert par la présence de la personne lui ayant donné la permission, ou par un mot émanant d'elle.

Malgré ces dissemblances, il se trouve des cas où l'hésitation sur la nature du contrat est permise. Nous en avons envisagé deux dans la causerie précédente sur ce sujet. Et le hasard vient de nous en fournir un autre exemple sous la forme d'un jugement du tribunal de Saint-Malo du 7 mars dernier, dans les attendus duquel nous avons retrouvé une bonne partie des arguments sur lesquels reposait l'avis que nous avions été amené à formuler.

En fait, si, malgré les grandes dissemblances existant entre les deux contrats, bail de chasse et simple permission de chasser, l'hésitation au sujet de l'intention réelle des parties est possible, c'est le plus souvent parce que l'acte intervenu entre les parties n'est pas conforme aux règles ordinairement observées ; par exemple, il s'agira d'un bail dans lequel le bailleur se réservera non seulement le droit de chasser personnellement, mais le droit de conférer à des tiers des permissions de chasser, ou d'un bail stipulant un loyer infime ou comportant une durée très brève ; ou bien, à l'inverse, il s'agira d'une permission de chasser donnée pour une durée anormale, par exemple portant sur plusieurs années de chasse, ou comportant stipulation au profit du titulaire du droit de chasse de certains avantages.

Dans le cas sur lequel s'est prononcé te tribunal de Saint-Malo, le 7 mars 1951, l'acte, bien que qualifié bail de chasse, comportait un certain nombre d'anomalies en raison desquelles on prétendait qu'il s'agissait d'une simple permission de chasser. En premier lieu, on se fondait sur ce que le propriétaire se réservait le droit de chasser pour lui-même et pour les futurs propriétaires éventuels et pour leurs invités ; on se prévalait, en outre, de la vileté du loyer stipulé (50 francs par an) et de l'existence de relations d'amitié entre le propriétaire et le bénéficiaire dû contrat.

Dans son jugement, le tribunal n'a retenu aucun de ces moyens. En ce qui concerne la réserve, pour le propriétaire, du droit de chasser pour lui-même ou les acquéreurs éventuels, ainsi que pour leurs invités, le tribunal remarque que cette clause est très usuelle dans les baux de chasse de la région. A ce sujet, nous croyons devoir faire observer que, si la réserve est tout à fait normale en ce qui concerne le propriétaire-bailleur et ses acquéreurs éventuels, elle l'est moins en ce qui concerne le droit pour ceux-ci d'inviter des tiers à chasser ; du moins serait-il utile de limiter le droit d'invitation à un nombre déterminé de personnes ou de séances de chasse, faute de quoi ce droit pourrait devenir souvent abusif.

Pour ce qui est de la minimité du loyer et des relations amicales existant entre le bailleur et le preneur, le tribunal relève à bon droit que, si l'existence d'un loyer sérieux est nécessaire pour qu'on puisse considérer le contrat comme un bail, l'obligation imposée au preneur, expressément ou tacitement, de faire garder la chasse constitue à elle seule une contrepartie suffisante pour équivaloir à un loyer, en raison de l'avantage qui en résulte pour le preneur.

Le tribunal complète sa démonstration en se fondant sur les termes de l'acte qualifié de bail et sur le principe suivant lequel le juge appelé à se prononcer sur la nature d'un contrat doit s'en remettre aux termes employés par les parties lorsque leur sens est clair sans pouvoir, sous prétexte d'interprétation, substituer au contrat mentionné dans l'acte un contrat différent. Tout ceci nous paraît parfaitement juridique, ainsi que la conclusion qu'en a tirée le tribunal, c'est-à-dire que le bénéfice du contrat (conclu pour dix ans) passe aux héritiers du locataire et que ceux-ci ont le droit de céder le bail à un tiers.

Paul COLIN,

Docteur en droit, avocat honoraire à la Cour d'appel de Paris.

Le Chasseur Français N°654 Août 1951 Page 450