Il y a déjà bon nombre d'années que l'on s'ingénie à
apporter un remède à la disparition continue du gibier, disparition provenant
surtout, il faut l'avouer, de la multiplication fantastique du nombre de
chasseurs. Cette multiplication des chasseurs, dont le nombre avoisine à
présent deux millions, est due à plusieurs causes, dont la principale est
l'extension extraordinaire des moyens de transport et des facilités de
déplacement. Qui chassait autrefois ? Surtout les campagnards, ceux qui
habitaient sur place. Parmi les citadins, seuls chassaient les propriétaires et
les actionnaires de chasses privées dont les moyens étaient suffisants pour
leur permettre de se déplacer. Encore n'étaient-ils pas très nombreux avant la
diffusion de l'automobile. On ne pouvait, en effet, avec une voiture à chevaux,
faire des 50, 100 ou 150 kilomètres pour passer une journée à la chasse ;
quant au chemin de fer, les gares ne sont pas toujours à proximité du lieu de
chasse ; on avait la ressource de la diligence. C'était là une véritable
expédition. La chasse se trouvait donc, ainsi, cantonnée parmi les habitants
des campagnes. Et même, parmi ceux-ci, combien s'y intéressaient ! Il
n'est que de comparer le nombre de permis d'il y a vingt ou trente ans et celui
de maintenant pris dans la même commune rurale.
Depuis que l'auto a pris l'extension que l'on connaît
actuellement, par suite de conditions de vie devenues plus larges, d'une
évolution sociale portée aux nues par les uns — ceux qui en jouissent — et
jugée désastreuse par les autres — ceux nés avant ce siècle (laudatores temporis
acti) ; depuis que le microbe de la bougeotte s'est infiltré dans les
mœurs du temps présent, il n'est pas un coin, le plus reculé soit-il, qui soit
à l'abri des incursions des citadins. Ainsi est née, parmi ceux-ci, l'habitude
d'aller à la chasse, habitude qui s'est rapidement transformée, pour bon nombre
d'entre eux, en une passion, un véritable besoin, nés d'un atavisme latent dans
le cœur de l'homme depuis les âges les plus reculés.
Devant, donc, cet afflux continuel, cette marée montante de
porteurs de fusils que, quoi qu'on fasse, on n'arrivera jamais à endiguer, il a
bien fallu essayer quelque chose pour que le gibier, largement suffisant à
l'époque bénie de la chasse d'il y a trente ou quarante ans, ne vienne pas à
disparaître totalement devant l'innombrable armée des hammerless et des armes
automatiques à cinq coups. Et le premier remède appliqué a été celui du
repeuplement.
On a pensé, tout de suite, que c'était là, une panacée universelle,
le remède miraculeux qui allait faire éclore d'innombrables compagnies de
perdreaux et naître bon nombre de nichées de lièvres et de lapins, pour ne
parler que du gibier le plus commun. Les chasseurs étaient ravis quand ils
recevaient ces paniers qu'ils s'empressaient d'aller vider de leur contenu dans
la nature avoisinante.
Hélas! il a fallu déchanter, et combien de déboires furent,
et sont toujours d'ailleurs, enregistrés, lesquels ont des causes diverses.
D'abord, la fatigue du gibier lâché. Venus, en général, des
pays d'Europe centrale : Bohême, Hongrie, Tchécoslovaquie, immenses
réserves de gibier qui est, là-bas, une véritable richesse, lièvres et
perdreaux arrivent souvent exténués, malgré la relative rapidité du transport
actuel. Il fut un temps, pas très lointain, où plusieurs jours étaient
nécessaires ; des correspondants assuraient bien l'approvisionnement en
cours de route, mais le gibier arrivait, malgré tout, fatigué. Et comme la
plupart du temps, il arrivait ainsi, directement et sans s'être reposé, sur les
lieux du lâcher, beaucoup de sujets disparaissaient le jour même, où leur était
donnée la liberté, sous la dent des nuisibles, des chiens errants et même, à
l'occasion, des renards à deux pattes. J'ai vu lâcher ainsi, maintes et maintes
années, des paniers de grises dont, à l'ouverture, il ne restait aucune trace.
En outre, la perdrix grise, qui est un oiseau sédentaire n'aimant vivre que sur
le coin de terre ou il est né, se trouve trop dépaysée par ces changements
brutaux de région. Pourtant, toutes précautions étaient prises, et le lieu et
l'heure du lâcher étaient étudiés du mieux possible. Car, ici, beaucoup de
fautes sont commises par certains chasseurs qui, quoique bien intentionnés,
lâchent le gibier au petit bonheur. Il est, en cette matière, des règles à ne
pas enfreindre. Je n'écris pas ces lignes pour tout le monde ; car 'il y
a, dans la plupart de nos sociétés cynégétiques, des gens avertis qui savent ce
qu'ils ont à faire et le font bien. Mais il y a, tout de même, pas mal de
néophytes, surtout dans les sociétés nouvellement créées, qui ne sont pas très
au courant et qui, souvent, tout en voulant apporter beaucoup de soin à ce
qu'ils font, mais étant mal informés, font tout le contraire de ce qu'il
faudrait. J'en ai eu plusieurs fois la preuve. Si donc ils peuvent tirer
quelque profit de ces lignes, c'est là le seul but de celles-ci.
En ce qui concerne la perdrix, certains croient encore qu'il
suffit de les lâcher par couples — mâle et femelle — pour obtenir une nichée.
C'est là une grande erreur. On pourra, en effet, lâcher en les disséminant
autant de couples que l'on voudra, sans pour cela avoir un seul accouplement.
Et ceci pour la bonne raison que l'on ne choisit pas à chacun sa chacune et
inversement, mais que mâles et femelles se choisissent eux-mêmes.
L'accouplement des perdrix est un véritable « mariage d'inclination ».
Une fois que mâle et femelle se sont choisis, rien ne saurait plus les séparer.
Un seul mâle lâché parmi sept à huit femelles ne servira pas, comme le coq dans
la basse-cour, toutes ces dames. Il élira sa compagne et, fidèle et monogame,
délaissera les autres. Voilà pourquoi, lorsqu'il arrive un panier de
repeuplement (cinq couples en général), son contenu doit être lâché ensemble.
Chacun choisira sa chacune. Voilà pourquoi, aussi, cinq couples ne produiront
pas généralement cinq unions, car les oiseaux ne trouveront pas tous l'âme
sœur, et certains resteront voués au triste célibat.
En outre, la perdrix doit être lâchée en un lieu et à une
heure favorables. Ne les lâcher ni en pleine lande, ni en plein bois éloignés
de toute culture. Vous comprenez bien qu'elles n'y resteraient pas longtemps,
ne trouvant pas à se nourrir. Le mieux est de le faire en bordure d'un bois,
d'un taillis bordant des terres cultivées. Sitôt sorties du panier, elles
trouveront à se dissimuler sans aller bien loin et sans prendre leur vol. Car,
tout effrayées qu'elles sont encore de leurs tribulations, elles chercheront,
d'abord, à se cacher et à se mettre à l'abri. Et, quand la faim les tenaillera,
elles auront à proximité de quoi la satisfaire. Semez même du grain aux
alentours du lieu du lâcher, ce qui les retiendra encore davantage. Mais, au
moins, ne les lâchez pas au milieu de la plaine pour le plaisir de les mieux
voir courir ; un coup d'aile aurait tôt fait de les emmener Dieu sait où,
et vous ne les reverriez plus.
Enfin, l'opération doit avoir lieu le soir, le plus tard
possible, même à la tombée de la nuit. Elles n'auront pas, de cette façon,
tendance à s'éloigner, ne demandant qu'à se reposer de leur long voyage. Ainsi,
après une nuit de repos et de calme, seront-elles revenues à leur état normal
et déjà commenceront-elles à s'habituer à leur coin. Si elles y trouvent,
aussitôt levées, de quoi manger, si, surtout, dans la journée, elles ne sont
pas dérangées, soyez assurés que c'est déjà une promesse de réussite. Que la
curiosité ne vous pousse pas, dès le lendemain, à vous rendre sur les lieux
avec votre chien pour voir si elles y sont toujours : ce serait le plus
sûr moyen, si vous les leviez, de les faire fuir et ne plus les revoir.
Alors, au bout de quelques jours, confiantes et acclimatées,
pour si peu que la région s'y prête et leur convienne, elles commenceront à
vivre normalement, puis, le moment venu, s'apparieront ; et chaque couple,
allant de son côté, ira mener sa lune de miel jusqu'au jour où s'ébauchera le
nid.
Quant aux lièvres, ils doivent être lâchés, au contraire,
dès le petit jour, puisque c'est là le moment où l'animal se gîte pour ne plus
bouger jusqu'au soir. Il doit être, lui, lâché au bois ou au fourré pour qu'il
puisse trouver immédiatement un gîte où se reposer de son voyage. Il aura
ainsi, toute la journée, le temps de voir tout autour de lui et de s'habituer ;
il attendra que la faim le tenaille pour sortir de sa cachette et aller pâturer
aux alentours. Peut-être même, encore sous le coup de sa grande frayeur, si ce
n'est pas un lièvre d'élevage mais un vrai sauvage repris au bois, restera-t-il
toute une journée et toute une nuit sans bouger si rien ne le dérange. Mais la
faim finira bien par le faire sortir du bois.
Pour lui, pas de précautions à prendre en vue de son
mariage. Maître Capucin est un impénitent coureur de belles et passe sans
vergogne de l'une à l'autre, n'aimant point avoir de fil à la patte. Aussi
vaut-il mieux, si le pays n'est pas entièrement dépeuplé, lâcher surtout des
femelles ; elles trouveront toujours quelque amoureux d'occasion prêt à
combler leur désir d'une nuit.
Enfin, pour le lapin, que l'on sème, vu son prix modique, en
bien plus grande quantité, une proportion de trois femelles pour un mâle sera
une des meilleures solutions, puisqu'il n'a pas, lui non plus, d'attache fixe
pour ses amours. Animal nocturne lui aussi, il sera lâché dès l'aube au bois, à
proximité de terriers naturels, ou artificiels, de tas de pierres ou de fagots
où il ira immédiatement se réfugier, et dans un terrain où il pourra creuser, à
l'occasion, tout à son aise. Mais gare pour lui aux cultures. N'allez pas le
lâcher à proximité afin de ne pas avoir d'ennuis avec les propriétaires. Vous
savez, d'ailleurs, que, pour le lâcher du lapin, un certificat du maire est
nécessaire attestant que les lieux où ils doivent être lâchés ne comportent pas
de cultures et que les lapins ne sont susceptibles d'y commettre aucun dégât.
Je clos là ces quelques réflexions. D'aucuns, les initiés,
les trouveront peut-être superflues. Elles auront, du moins, le mérite d'avoir
voulu être de quelque utilité pour ceux qui, jeunes encore ou non expérimentés,
ne sont point suffisamment informés de certaines questions aussi passionnantes
que la chasse elle-même.
FRIMAIRE.
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